Je veux voir des bêtes plus grosses, des bêtes qui ne passent pas à travers le grillage. Ce serait con d'être venu à pied jusqu'ici pour n'avoir vu que des petites bêtes. Des petites bêtes, y'en a partout. Parfois même au bureau. Mais des grosses bêtes, y'en a qu'ici. C'est pour ça que je suis là.
- T'inquiète pas, je ne suis pas un psychopathe.
- Tu sais, je pense que tu ne serais pas le premier psychopathe à utiliser ce simple argument de la négation.
- Comment tu le sais ? T'en as déjà rencontré?
- Non, mais je me dis qu'ils doivent être assez malins pour ne pas dire qu'ils sont psychopathes dès le premier rencard !
- Oui, t'as raison, ça casserait l'effet de surprise.
Les pires abrutis peuvent parfois, par chance ou malentendu, avoir raison.
Aussi loin que je m'en souvienne, ma famille a toujours fonctionné suivant ce planning alimentaire a priori arbitraire et pourtant ancré dans leur estomac comme un esclave noir à son boulet de plomb : lundi, côte de porc, pommes de terre et haricots verts; mardi, boulettes sauce tomate et riz; mercredi, spaghetti bolognaise avec les restes de la sauce du jour précédent; jeudi, steak de bœuf, salade et frites ; vendredi, filet de cabillaud, petits légumes et purée de pommes de terre; samedi, macaroni au fromage et jambon; dimanche, poulet rôti, frites et salade. Le monde pourra connaitre mille métamorphoses, en son sein, il subsistera toujours des enclaves où les repères ne disparaitront jamais. Du moins, en ce qui me concerne, tant que mes parents seront vivants. Ensuite, ma vie sera une tout autre histoire…
Soudain, le bruit d’un élastique qui rompt retentit et je me retrouve propulsé au sol. Face à moi, mon collègue, blême, tient mon doigt dans sa main, et au dessus de moi, le chef, écarlate, qu’aucun de nous deux n’avait entendu entrer dans le bureau, vocifère:
-Mais qu’est-ce que c’est encore que ce bordel? Vous n’en avez donc jamais fini avec vos conneries? Allez, rangez-moi tout ce foutoir et au travail!