Citations de Edward Albee (44)
MARTHA
[…] George qui est si bon pour moi et que je traîne dans la boue ; qui me comprend et que je repousse : qui peut me faire rire… mais moi, je crèverais plutôt que de rire ; qui me tient dans ses bras, la nuit, pour me réchauffer… et que moi je mords jusqu’au sang ; qui comprend tous nos jeux, même si j’en change tout le temps les règles ; qui sait me rendre heureuse… mais… je ne veux pas être heureuse ! (Un temps.) Ce n’est pas vrai : j’ai envie d’être heureuse. (Un temps.) George et Martha : c’est une histoire triste, triste, triste !
MARTHA
[…] Je pleure tout le temps. Et Jojo aussi pleure tout le temps. Nous pleurons tout le temps, tous les deux et après… Nous recueillons nos larmes et nous les mettons dans le frigidaire jusqu’à ce qu’elles soient toutes gelées… (Elle rit plus haut.) et… après… nous les mettons dans… nos… verres.
MARTHA (lasse)
[…] Tout est supportable… On s’invente des excuses… des vraies ?... c’est la vie… c’est de la merde… peut-être qu’il crèvera demain… des tas d’excuses. Mais voilà, un jour, une nuit… quelque chose se passe… et CRAC ! Ca casse. Alors c’est fini… on s’en fout… de tout !
George : Ça fait des années que tu es une grande championne, Martha... pour tout ce qui est abject, tu mérites la palme.
Martha : Ha, ha, ha, ha ! Amour... donne-moi à boire.
George : Mon Dieu !
Martha (tanguant) : Écoute, chéri, de nous deux, c’est toi qui roules toujours sous la table... ne t’inquiète pas pour moi !
Je ne t’écoute plus… ou alors, quand je t’écoute, je m’amuse à faire un tri… et je te réponds comme ça, mécaniquement, en me foutant éperdument de tout ce que tu dis…
GEORGE
Comment ils se sont mariés ? Eh bien ! ça s’est passé comme ça… Un beau matin, la souris s’aperçut qu’elle était toute gonflée ; alors elle trottina chez le Blondinet, lui colla son ventre sous le nez et lui déclara… « Regardez ce qui m’arrive… »
[…] « Regardez : je suis toute gonflée. » « Oh !... mon Dieu… » s’écria le Blondinet…
[…] … et après – pchchchchch…- elle se dégonfla… comme par enchantement… pchchchchch…
Pour pénétrer dans le cœur d’un homme, il faut passer sur le ventre de sa femme. N’oubliez jamais…
NICK
Je n’irais pas jusqu’à prétendre qu’il y a eu de la passion entre nous… même au début de notre mariage.
GEORGE (compréhensif)
Oui… J’imagine qu’après avoir joué au docteur à six ans, ça n’a pas dû être la surprise totale, la découverte merveilleuse du septième ciel, etc., etc.
GEORGE
Alors, comme ça, votre femme dégueule pour un oui ou pour un non, hein ?
NICK
Je n’ai jamais dit ça : j’ai dit qu’elle avait très facilement mal au cœur.
GEORGE
Ah !... pardon… par « mal au cœur » je croyais que vous entendiez…
NICK (un temps)
… Oui… c’est vrai… (Un temps.) Elle… elle vomit pour un oui ou pour un non. Quand elle s’y met… c’est pratiquement impossible de l’arrêter… Elle en a pour des heures. Pas sans interruption… bien sûr… mais… à intervalles réguliers.
GEORGE
Ça permet de remonter sa montre, hein ?
MARTHA
[…] Et voilà… (Soupir.) Voilà où j’en suis avec ce BIDE sur les reins !
[…]… avec la poubelle de la section d’Histoire sur les bras !
[…]… qui est marié à la fille du patron, qui devrait être quelqu’un et qui n’est personne ; rien qu’une punaise de bibliothèque, rien qu’un connard rêveur qui ne sait rien foutre de sa peau ; un pauvre type qui n’a jamais eu l’estomac de faire quelque chose dont on pourrait être un peu fier. Rien qu’une cloche. Ça va, GEORGE !
Quand on entend parler d'une idée, on ne sait jamais où elle va se nicher, ni quand elle va quitter l'état abstrait pour devenir... une idée concrète... une chose qu'on pourrait envisager, c'est-à-dire une chose à laquelle on pense, sérieusement, pour peu qu'on la décide, ou qu'elle s'impose.
Ann
Et vous savez ce qui m’est arrivé, à moi, conne que je suis ? Vous savez ce qui m’a pris ? J’en suis tombée amoureuse !
MARTHA (dure)
[…] Il a les plus beaux yeux verts du monde… Sans la moindre tache brune ou grise… ou noisette… tout verts… d’un vert profond, dur… comme les miens.
NICK (regardant MARTHA)
Mais vos yeux sont… bruns, non ?
MARTHA
Verts… (Un peu trop fébrile.) Oui… sous certains éclairages, ils peuvent paraître bruns… mais en réalité, ils sont verts. Moins verts que les siens… plus sombres… George, lui, a les yeux bleus… d’un bleu trop pâle… délavé… trop laiteux… Papa a aussi les yeux verts.
GEORGE
Absolument pas ! Ton père a de tout petits yeux rouges… comme une souris blanche ! (Comme si cela était d’évidence.) D’ailleurs, ton père est une souris blanche !
GEORGE
[…] Il y a un seuil que l’être humain ne peut pas dépasser…sinon… c’est la dégringolade jusqu’en bas de l’échelle de l’évolution… […] Drôle d’échelle… impossible de la remonter une fois qu’on l’a descendue…
GEORGE
[…] Eh oui ! c’est ça, la Nouvelle-Angleterre ! Vous ne trouvez pas ça extraordinaire ? (Il assène.) Tous ceux qui sont partis à la guerre, ici, en sont revenus ! Ça défie la statistique !
GEORGE
(ton de conversation mondaine et aimable)
Les goûts de Martha, en ce qui concerne les boissons, se sont beaucoup simplifiés, avec les années… ils se sont… épurés… Quand je lui faisais la cour –enfin… c’est une façon de parler, n’est-ce pas ?- mais, disons qu’à l’époque où je lui faisais la cour…
MARTHA (enjouée)
Où tu me prenais, mon chéri…
GEORGE
(apporte les verres à HONEY et à NICK)
Bref, lorsque je courtisais Martha, elle commandait des breuvages incroyables. Vous ne pouvez pas savoir ! Dès que nous entrions dans un bar, c’était toujours la même histoire… Elle fronçait les sourcils, se torturait les méninges et, brusquement, c’était la trouvaille : par exemple un Alexandra avec de la crème de cacao frappée, des cerises à l’eau-de-vie, du rhum flambé… Une explosion, quoi !
MARTHA
C’était rudement bon. J’adorais ça.
GEORGE
De vrais petits cocktails pour dames.
MARTHA
Hé ! il arrive mon alcool à brûler ?
GEORGE
(se dirige à nouveau vers le bar)
Mais, avec les années, Martha a appris à ne pas mélanger n’importe quoi avec n’importe quoi… Maintenant, elle sait qu’on met le lait dans le café, le citron sur le poisson… et que l’alcool pur (Il tend le verre à MARTHA)… tiens, mon ange… est réservé à la très pure Martha. (Il lève son verre.) A votre santé.
Si tu existais, je divorcerais…
MARTHA
[…] Tu ne veux pas m’embrasser ?
GEORGE (ton trop noble)
Non, non, mon chéri, car si je vous embrassais, j’en serais tout excité… J’en perdrais la tête et je vous prendrais là, de force, par terre… et nos charmants petits invités entreraient… et voyons… imaginez ce que votre père penserait de cette… histoire.
MARTHA
(Un temps. Elle le regarde avec attention.)
George ? (Il lève les yeux). Tu me donnes envie de dégueuler.
GEORGE
Pardon ?
MARTHA
Tu me donnes envie de dégueuler.
GEORGE
(réfléchit. Un temps.)
Ce n’est pas très gentil de me dire des choses pareilles, tu sais, Martha.
MARTHA
Hein ? Ce n’est pas quoi ?
GEORGE
Ce n’est pas très gentil.
MARTHA
J’aime bien quand t’es furieux… C’est même comme ça que je te préfère… furieux… Mais t’es quand même une lope, George...