07:20
- Cent un ans, un mois et quatre jours...
Juliette vérifiait son calendrier tous les matins à la même heure
Juste après avoir terminé sa Ricoré.
- ... et toujours vivante ! ajoutait -elle d'un petit air vainqueur.
Durant ces vingt dernières années, le pari de Juliette avait été "d"arriver" jusqu'au centième anniversaire.
Depuis que son but était atteint, elle se sentait dans un état étrange de constante survie, ou plutôt de sursis.
J'avais les yeux rivés sur ce misérable morceau de toile qui, avec une lenteur insoutenable, libérait de petits bouts de chair à vif, boursouflée, jaunâtre, suintante, replongeant à chaque mouvement le couteau dans la plaie. Ca n'en finissait pas. C'était affreux. J'avais le souffle coupé, des picotements sur le visage, les jambes tremblantes. J'en souffrais physiquement. J'aurais voulu arracher moi-même le pansement d'un coup, en dépit des conséquences catastrophiques que cela aurait pu avoir, ou même gifler le vieux médecin, hurler, tout pour mettre fin à cette scène insupportable de torture moyenâgeuse.
Je n'en fis rien.
J'étais devenue experte en dissimulation.
Les condoléances et la compassion font parfois plus mal que les souvenirs tenaces.
Jules Steinberg, mon père, le visage creusé par le chagrin, n’est plus qu’un vieil homme épuisé bien qu’il se tienne très droit, comme à son habitude, gardant fermement ma main dans la sienne. Digne.
Ce matin, Nunzia m’a vêtue d’une simple robe noire et a tressé mes longs cheveux bruns. Je me tiens aussi droite que mon père, ce qui, paraît-il, me fait lui ressembler de façon flagrante. Pourtant je n’ai que quatre ans, et lui presque soixante-deux.
Cette façon bourrue de ne pas en avoir l'air, de cacher sa joie et son émotion sous un ton proche de l'engueulade, c'était de l'amitié. Personne ne s'y trompait.
" cent deux ans ! Pile ! Couquin dé sort,ca c'est un bon jour pour mourir !"
pas mal, même si c'est invraisemblable. Se lit facilement; La fin se devine quand même assez vite.
– Cent un ans, un mois et quatre jours...
Juliette vérifiait son calendrier tous les matins à la même heure.
Juste après avoir terminé sa Ricoré.
– … et toujours vivante ! ajoutait-elle d'un petit air vainqueur.
La conversation avec un menteur potentiel crée un étrange échange dans lequel chaque parole peut être mise en doute.