Citations de Emmanuelle Favier (118)
D’une voix forte, elle profère les paroles rituelles, jure par la pierre et par la croix de rester vierge, de ne jamais contracter d’union ni fonder de famille. Elle regarde vers le bas, évitant les yeux ourlés de mauve de celui qu’elle fuit par le pouvoir des mots prononcés.
" Être femme est une infirmité naturelle
Dont tout le monde s'accommode.
Être homme est une illusion et une violence
Que tout justifie et privilégie.
Être est tout simplement un défi ."
Elle songe à ce qu’est le temps présent, au fait que tout procède d’une brume, expire en un halo, au fait que les êtres meurent de vivre sans y songer. Elle songe qu’il y a partout des histoires et qu’il est impossible et vain de les raconter. Elle songe à l’eau qui peut mettre trois semaines à digérer un corps."
Etre femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s'accommode. Etre homme est une illusion de violence que tout justifie et privilégie. Etre tout simplement est un défi.
Elle désigna les longues tiges des asphodèles, gradinées de fleurs blanches dont les étamines brandissaient leurs rousseurs vers les deux amantes.
Elle fit quelques pas hésitants, scrutant le paysage vierge dont les contours s'affinaient peu à peu. La couche uniforme se piquetait de taches rouges, les baies des buissons de grenadiers fouissaient la neige de leurs minuscules têtes laquées.
La mer brasillait dans le soleil excessif, ses nuances apaisant toute blessure.
Le monde qu'elle avait toujours connu était transfiguré, les impressions exacerbées. Tout était plus beau ou plus laid, ce qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarqué s'imposait à elle, que ce soit la splendeur d'une lumière d'hiver sur le couchant des montagnes ou la désolation sordide de la plupart des maisons qui l'entouraient. Un rien l'émouvait des paysages familiers qu'elle croyait à présent découvrir : levant la tête elle constatait des ciels de peintre, qu'elle observait longtemps se défaire entre les cimes et retomber au faîte des sapins en traînes dorées ou bleues; ou bien c'était la virtuosité d'un flocon de neige qui, tout à coup, lui livrait des finesses jusqu'alors ignorées.
Elle n'avait pas su venger la mort de sa femme, et dans son esprit les codes se brouillaient, une torturante confusion de devoirs et de craintes l'agitait au point qu'elle avait dû partir, de nouveau, malgré son attachement à la ville où elle avait trouvé une part d'elle-même; de nouveau, il avait fallu marcher de village en village pendant des mois, plus de quinze ans après sa première errance.
Le monde qu'elle avait toujours connu était transfiguré, les impressions exacerbées. Tout était plus beau ou plus laid, ce qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarqué s'imposait à elle, que ce soit la splendeur d'une lumière d'hiver sur le couchant des montagnes ou la désolation sordide de la plupart des maisons qui l'entouraient. Un rien l'émouvait des paysages familiers qu'elle croyait à présent découvrir : levant la tête elle constatait des ciels de peintre, qu'elle observait longtemps se défaire entre les cimes et retomber au faîte des sapins en traînes dorées ou bleues ; ou bien c'était la virtuosité d'un flocon de neige qui, tout à coup, lui livrait des finesses jusqu'alors ignorées.
Plus on s'enfonçait parmi ses ruelles, plus l'atmosphère était dense, les corps se frôlant et la touffeur s'épaississant d'haleines et de fumées.
Parfois, saturée d'autrui, elle tire un livre de son sac et se retire en elle-même. Parmi les autres passagers, elle goûte comme une libération, une audace même de s'autoriser à lire. Les pages sont un refuge où elle entend son coeur battre sereinement.
Ses sœurs pouvaient consoler, caresser les bleus de leur mère au lendemain de ces crises. Lui n’en avait pas le droit. Il devait conjurer ses tendresses.
Ses muscles étaient entraînés au-delà des exigences de son véritable sexe, et l'habitude de le dissimuler finit par se muer en conviction. Elle aurait presque fini par oublier qu'elle était une femme, à présent qu'on ne lui demandait plus de feindre d'être un homme. Elle n'avait jamais de difficultés à être accueillie ; sa longue physionomie brune et sa discrétion rassuraient. Les gens qu'elle rencontrait ne remplissaient pas uniquement leur devoir d'hôte, ils appréciaient sa compagnie. Elle n'avait pas eu l'occasion auparavant de mesurer l'affection qu'elle pouvait susciter, sa relation aux autres ayant été confinée dans les limites de la terreur exercée par son géniteur sur sa mère, sur ses sœurs et sur elle-même.
Un ciel de nuit plombé, voilé d'une lune tiède, eut couvert sa baignade mais il faisait plein jour et l'interdit subsistait. Elle aspira la lumière comme une marée.
le lynx regardait Adrian. Seule trace d'affolement dans sa fixité, les oreilles bougeaient, captant à toute vitesse des signaux qui échappaient à l'homme. Les fines flèches noires à l'extrémité de leurs triangles veloutés étaient deux antennes à la précision meurtrière. Une patte moussue en suspension au-dessus de la roche, les muscles prêts à onduler dans une détente nette, le lynx évaluait le danger, l'opportunité d'attaquer ou de fuir.
Ce fut cette nuit
Un orage extraordinaire
Tout tremblait et grondait
Pointait notre infamie
Non content d'annoncer le néant
L'orage nous accusait
C'est bien mérité
Disait-il
La petite maison grinçait
Sous les combles où tu dormais
Sourd
Je me suis collée contre ton dos
Très doux et un peu moite
Tes peurs
Plus anciennes que l'orage
Plus accusatrices encore
Ont dévoré les miennes
J'ai attendu la fin
Des miettes de peur traînaient
Ça et là entre nos peaux
J'ai attendu
Un sommeil poisseux
Qui n'est venu qu'avec l'aube
Et la voix atrophiée des éclairs
Elle observe les gens grimper dans le bus, se tenir aux barres de nickel, se fâcher ou rire alors que son Père est mort, et comprend que c'est bien cela qui nous tue, cette manière que chacun a d'oublier sans cesse qu'il court à sa perte.
Dans le flux des images défilant dans son esprit, Adrian forma alors une pensée ancienne, un de ces mouvements blets de la mémoire qu'elle croyait profondément endormis ; le souvenir se releva et l'enveloppa au bord de ce lac glacé, fatal, si obscène et si calme sous les montagnes : Adrian pensa à l'enfant, et pour la première fois elle y pensa comme à sa fille, et pour la première fois la pensée de son abandon lui fit atrocement mal.
Alors Adrian regardant le lynx vit tout autre chose. Dans la robe tachetée où jouaient les ombres, dans les yeux soulignés de blanc, dans la collerette de barbe douce et féminine il vit un salut, une promesse, une exhortation même, qui était aussi un avertissement. Il vit une image de sa solitude et la possibilité d’en faire une liberté.