Colette by Deborah Levy, Michèle Roberts, Emmanuelle Lambert & Diana Holmes.
Once a figure of scandal, now a literary icon Colette (1873-1954) is being hugely celebrated in France as 2023 marks the 150th anniversary of her birth. Acclaimed authors Deborah Levy, Michèle Roberts, Emmanuelle Lambert and Diana Holmes join the celebration with a discussion on her colourful life but above all on her luminous writing, with its implicit feminism and affirmation of a profound joie de vivre.
Fri 19 May 2023 - 6.30pm, French Institute, London
C'est au collège que nous avons lu, pour la première fois, Jean Giono. Nous n'y avons strictement rien compris.
Je me souviens du -Chant du Monde-, de ses longues phrases et d'une réalité qui m'était parfaitement, hermétiquement étrangère. La montagne. Les radeaux. Les paysans. Tout cela était loin dans l'espace et dans le temps, le livre charriait des mots, des métiers et des lieux disparus ou inventés. Nous n'étions pas coutumiers d'une langue si vivace. (...) Disons-le : à la première lecture, tout cela m'a beaucoup ennuyée. (p. 98)
La lecture, cette réaction chimique née du frottement entre deux imaginations, celle du lecteur et celle de l'auteur.
(" Giono, furioso")
Mon temps perdu ou mon paradis perdu, c'est cette photo épinglée dans le temps d'avant. Mon pays perdu est celui où mon père, encore jeune, me lit des histoires dans la lumière jaune de l'été.
On peut sans trop s'avancer dire qu'en termes de chaleur maternelle, de protection, de fusion, on a vu mieux. Si ces qualités, culturellement attendues chez les mères, sont déniées à Pauline, c'est aussi parce qu'elles sont attribuées à Jean-Antoine. C'est lui qui remplit la fonction éternelle de soin: il lave, soigne, rassure et veille. (...)
Sur les photos de sa famille, il a ainsi souvent un bébé ou l'autre dans les bras. Ses petites filles, il les touche, les soulève, les embrasse, quant tant d'hommes de sa génération ne s'intéressaient aux enfants qu'une fois doués de langage et d'autonomie. C'est un père charnel. (p. 118)
La guerre profite au capital. Pas à la vie, pas à l'avenir. Et dans "Recherche de la pureté", une fois qu'il a compris que la chair tendre des enfants jouant au soleil n'est que "viande bouchère", une seule chose lui reste à faire : "pleurer".
Son pacifisme n'a rien d'une philosophie de planqué, comme il serait aisé de le croire depuis aujourd'hui, tant il est simple de crier à l'irresponsabilité d'autrui quand on n'a jamais eu à risquer sa peau. C'est le cri de désespoir de celui qui dit ce que la guerre fait : rien, sinon déshumaniser les humains, et engraissent les industriels. (p. 152)
Dans ma bibliothèque, on trouve, au premier rang, au moins deux poètes autodidactes et merveilleux façonnés par leurs lectures grandioses. Leur langue est une chose si personnelle qu'on ne peut les rapprocher d'aucun de leurs contemporains.Littérairement, Ils sont sans famille.
il y a vous, Giono, et votre cadet de quinze ans, Jean Genet. (...)
Si vos oeuvres n'ont rien à voir, votre rapport à la langue et à la culture est le même : il est strictement, rigoureusement intime. vous vous foutez tous deux des passages obligés. On ne vous commandera pas.
Vous avez d'ailleurs atterri dans la même prison militaire, à Marseille, à un an d'écart. Aujourd'hui, vous avez tous deux des manuscrits dans les archives de la Bibliothèque nationale et un dossier dans celles de la justice militaire. Tous les deux, vous n'êtes pas bien commodes. (p. 59)
Quatre jours après sa disparition, il s’était rendu en bas de son immeuble. Il était resté longtemps immobile, face à la porte cochère ; elle n’était pas apparue. Il avait aussitôt regretté son inertie des premiers jours. Il était revenu le lendemain, le surlendemain et le jour d’après. Jamais elle n’était venue. Même, le cinquième jour, il s’était rendu dans le nord de Paris, en bas de chez l’homme qu’elle fréquentait et jusque chez qui, un soir, il l’avait suivie.
Il craignait alors que cette pute, cette petite misère stupide, ne se fût suicidée en laissant une lettre qui l’aurait accusé. Il avait souhaité mettre à profit les quelques jours restant avant le déchaînement administratif à venir (procédure de licenciement, signalement aux personnes disparues, enquête) pour tenter d’y voir clair, et peut-être la retrouver.
Ses seuls moments de repos véritable, en dehors du sommeil étaient ceux où il lisait : il pouvait s'abstraire de tout, n'importe où et demeurer immobile des heures durant, aussi bien sur un canapé qu'une chaise une serviette de plage qu'une table de restaurant, ou un banc. Il disparaissait de nos vies puis revenait de ses lectures à peu près calme. Sa vie explosive avait été prise dans une sorte de caisson qui l'avait contenue, le temps que la lecture le recompose, lui.
La lecture, cette réaction chimique née du frottement de deux imaginations, celle du lecteur et celle de l'auteur, est en effet affaire de tâtonnement, d'hésitation, parfois de joie ou de colère, et même de déception. C'est une lutte dans le corps, entre la sensibilité et l'intelligence et parfois un emportement d'enfant. C'est toujours un peu brouillon, parce que vivant. On lit, notre coeur s'emballe, bêtement, on veut que l'auteur qu'on aime devienne le nôtre, on se trouve des affinités avec ceux qui l'aiment à leur tour. On pourra même dans un moment de faiblesse légèrement honteuse souhaiter l'avoir découvert avant les autres.
Ce n'est pas qu'il s'ennuie. Giono est doté d'une faculté d'émerveillement à la fois épuisante et salvatrice. (...)
mais l'entrave du corps est plus forte que l'émerveillement. Il écrira plus tard qu'alors il était "enfermé entre deux plaques de schiste" où il devait "peu à peu devenir fossile". [*Giono était employé de banque]
Heureusement pour lui, il y a les livres. Il les accumule et les dévore en autodidacte. Le "Bleu" de Jean le Bleu est à la fois la couleur de son uniforme, et cette part de lui-même absolument personnelle, rêveuse, inaccessible à la contrainte. (p. 54)