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EAN : 9782234084957
180 pages
Stock (17/01/2017)
3.22/5   18 notes
Résumé :
Résumé :

« Le premier jour d’absence il était descendu à l’heure du déjeuner pour l’attendre dans le parc, caché derrière l’arbre d’où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d’elle. »
Un jour, Eva Silber disparaît volontairement. Pourquoi a-telle abandonné son métier, ses amis, son compagnon, sans aucune explication ? Tandis que, tour à tour, ses proches se souviennent, le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Eva brille par son absence

Pour son troisième roman Emmanuelle Lambert nous livre quatre versions d'un fait divers «parlant»: la disparition subite d'une jeune femme. Étonnant et dérangeant.

Ce roman pourra, je le concède, déconcerter certains lecteurs. Ceux qui n'apprécieront pas la virtuosité et la poésie d'un récit qui ne traite pas d'autre chose que du vide, de l'absence, de la disparition. Les autres vont se régaler de ce fait divers et des perspectives vertigineuses qu'il implique, historiques, sociologiques, criminelles et romanesques. Un petit clic sur la page Wikipédia conscrées aux disparitions inexpliquées pourrait suffire à vous en convaincre. Mais venons-en à l'énigme Eva Silber.
Cette jeune femme n'a rien de particulier, sinon son statut d'observatrice d'un microcosme bien particulier: la grande entreprise qu'elle vient d'intégrer. Elle voit ce que les employés qui sont déjà là depuis des années ne voient plus parce qu'ils ont déjà intégré cette façon de fonctionner, à savoir le harcèlement permanent du chef de service dont l'activité préférée est l'espionnage. Les informations qu'il rassemble lui permettant ensuite de se consacrer à son petit jeu pervers. Aux allusions explicites il ajoutera la séance de masturbation en pensant à la «petite nouvelle».
Qui ne se laisse pas perturber pour autant, à moins qu'elle n'extériorise pas sa frustration. Même pour ses collègues, elle reste assez secrète et préfère écouter plutôt que de parler, laissant les discussions autour des séries télé, de la meilleure façon de cuire le potiron ou de payer ses impôts à ceux qui aiment parler, surtout lorsqu'ils ne connaissent rien au sujet. Son jeu à elle consiste à tenter de remettre un peu d'humanité dans une société où l'on répertorie les décès pour établir des statistiques et des modèles optimisant les rendements. La transgression suprême pour Eva vient le jour où elle décie d edonner un prénom à l'un de ces numéros. Un enfant mort qui va l'accompagner jusqu'à ce jour où… elle ne réapparaît pas.
La construction du roman est alors polyphonique. Les chapitres s'intitulent Franck, Marie-Claude, Paul et Eva. Quatre parties pour autant de versions tentant d'expliquer cette disparition. de leur point de vue, le patron, la collègue, l'amant comprennent qu'ils ne comprennent pas, qu'il est impossible de disparaître comme ça, qu'on ne saurait déserter. du coup, c'est bien Eva qui aura le dernier mot, qui va briller par son absence.
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Eva Silbert a disparu
Quatre parties dédiées à quatre personnages pour tenter d'élucider ce mystère
Frank, son patron qui abusa beaucoup d'elle, il faut bien le dire, et se sent responsable de cette disparition
Marie-Claude, sa collègue et amie qui s'interroge et se remet en question
Paul, son amant, un homme étrange, hors norme
Eva elle-même
Elle semble paumée cette Eva. Passive dans ses relations, trop impliquée dans son boulot, un peu portée sur la bouteille….
Une étrange histoire pour une étrange fille
Une angoisse et un mal-être planent tout au long de la lecture
Selon les personnages, leur vision d'Eva est différente
Mystère ? rêve ? réalité sordide ? folie ?
Elle nous fait passer par tous les stades cette Eva, et laisse pas mal de zones d'ombre.
Emmanuelle Lambert, d'une écriture originale et soignée, nous entraîne dans toutes ses dérives et la rend fascinante.
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Pourquoi disparait-on ? Comment du jour au lendemain peut-on volontairement s'effacer, en ne laissant aucune trace ?
Dans ce roman choral, Emmanuelle Lambert nous propose un fragment de la vie d'Eva Silbert évaporée sans plus jamais donner signe de vie.

Dans un premier chapitre c'est le chef de service d'Eva qui s'exprime. Nous découvrons un être froid, calculateur, harceleur. Il a l'habitude de noter les faits et gestes de ses subordonnés, n'hésitant pas à les suivre dans leurs vies privées. Eva particulièrement vulnérable est sa cible privilégiée.

Marie-Claude connait une toute autre Eva, elle était son amie et nous en parle avec tendresse.
Le ton change totalement, brutal dans la première partie, les mots se font caresses.
Paul l'amant mystérieux, essaie de parler d'Eva qu'il aime à sa façon.

Dans la dernière partie du roman, Eva prend la parole.

« La désertion » est un roman étrange et envoûtant. J'ai eu un peu de mal à entrer dans cette lecture, le début m'a semblé opaque et difficile à suivre.
Mais rapidement, un peu comme une fenêtre qui s'ouvrirait pour laisser pénétrer la lumière, l'histoire se met en place, les personnages prennent corps.

La fin est aussi inattendue qu'éblouissante.
J'ai trouvé ce roman raffiné et doux, entre rêve et réalité, tendre jusque dans les difficultés, émouvant et grave.
J'en ressors avec la conviction d'avoir rencontré à travers les phrases de l'auteur, une Eva magnifique qui a pris une place certaine dans un coin de ma mémoire.
Je ne connaissais pas Emmanuelle Lambert et je remercie très vivement les Editions Stock qui m'ont permis cette belle découverte via NetGalley.
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La désertion, un titre qui déjà éveille ma curiosité, est un roman de Emmanuelle Lambert qui m'a été chaudement recommandé par Valentine Layet. Ayant une totale confiance en ses conseils depuis plus de deux ans maintenant (merci pour ta confiance Valentine), j'ai profité des vacances de fin d'année pour le découvrir.

"Le présent. Il n'y a que le présent. C'est ici, c'est maintenant et après on meurt."

Eva a disparu du jour au lendemain. Que s'est-il passé? Est-elle malade? Est-elle morte? Est-ce "tout simplement" une disparition volontaire et assumée? Ses collègues, son patron, ses amis, tout le monde ignorent ce qu'elle est devenue. Elle a tout quitté, elle ne répond plus au téléphone, c'est un mystère complet. Jusqu'à…

« Si elle répétait volontiers que c'est elle qui avait disparu, qu'elle les avait laissés, qu'elle avait déserté, elle savait que c'était plutôt eux qui l'avaient éloignée, comme ils l'auraient fait d'un corps étranger, si agressif qu'il suscite des mécanismes de défense appelant l'expulsion définitive pour cause de survie sociale, morale et affective. »

Mystère, voilà un terme qui résume bien l'état d'esprit de cet ouvrage. Fantastique? science-fiction? mise en scène? réalité? L'auteur fait tout pour maintenir ce secret et donc attiser l'intérêt du lecteur.
C'est un roman court (un peu plus de 150 pages), qui peut donc se lire en une traite, découpé en 4 parties.

Dans la première, nous avons le témoignage de Franck Bourgoin, son boss. Nous avons donc la vue côté entreprise, côté business comme on dit aujourd'hui. La face « bien » que l'on doit obligatoirement montré pour éviter les jugements. C'est la partie qui m'a été la plus compliquée à lire tant l'ambiance est malsaine, dérangeante. Je me suis senti très mal à l'aise et ai par conséquent eu beaucoup de mal à rentrer dans le roman. On retrouve ici tous les mauvais côtés du patron, son sexisme, son côté "hautain et supérieur", l'illustration même de ce fait commun « je suis le patron, tout m'est permis, je peux surtout tout me permettre », la métaphore du dominant/dominé, du maître et de l'esclave ...

La suite a été bien plus facile et surtout agréable. On aborde la vue plus personnelle, plus intime de l'héroïne. J'ai lu avec gourmandise les deux parties suivantes: le récit de Marie Claude, une collègue devenue une amie, (mon préféré) et celui de Paul, son ami, son amant. J'ai noté une écriture très fluide, belle, propre, aux mots recherchés, subtilement choisis, mais également avec des temps de conjugaison rarement usités. Quel plaisir! le style élégant, poétique apporte finesse et douceur aux souvenirs de ses deux amis. Tout est parfaitement maîtrisé par Emmanuelle Lambert. Femme complexe mais humaine, Eva semble souffrir sans toutefois le montrer vraiment.

« Eva absente, il lui gardait son amour ; il avait fait le pari que, depuis la signification secrète qu'il avait accordée au mot de collision, les aléas des événements seraient les échos répercutés d'un chant qu'ils avaient entrepris tous deux, et dont la ligne mélodique perdurerait par-dessus le temps et par de-là leurs deux vies »

Enfin, la dernière partie est celle de l'héroïne Eva. Je pensais trouver la clé de toutes les énigmes, les explications de la principale intéressée... mais je suis resté un peu sur ma faim je l'avoue. Cette dernière partie, à l'instar de la première, ne m'a pas captivé. Je suis resté un peu en dehors contrairement aux deux centrales. Je m'attendais à autre chose. mais ce ne fut donc pas le cas. L'auteur a tenu à garder intactes des zones d'ombre afin de maintenir son lecteur dans les interrogations, même si elle révèle un fait inattendu expliquant un peu le pourquoi de cette disparition désirée. Parfaitement réussi en ce qui me concerne.

La désertion est vous l'avez compris, un roman qui remue le lecteur, un roman marquant et poignant, sorte d'enquête sans meurtre ni meurtrier. Son côté clivant ne plaira clairement pas à tout le monde. En fonction de chacun, son empathie, son degré d'implication dans la lecture, son état d'esprit au moment de celle-ci, on adhérera ou restera au bord du chemin. D'un autre côté, le choix des témoignages complémentaires (monde du travail et monde personnel) est une excellente idée qui apportera des clés de réflexion utiles.

"Avant, la vie allait de soi, les jours, les heures et les minutes, parfois elle pensait même aux secondes, les instants, la vie coulait, le travail, les rares amis, mais surtout le travail, ses missions, son importance, sa noblesse, oui, sa noblesse, et les rituels de la routine, la vie coulait, rythmée par le déroulé des jours, la répétition des tâches et des lieux, des choses à faire, des choses qu'on fait, prendre un café, faire une pause, voir les gens, sortir, sortir pour des dîners, des soirées, des apéritifs, avoir des discussions, appeler la famille, sa vie coulait, réglée, sans heurts, elle allait de soi jusqu'au jour où elle la refusa et elle ne saurait pas pourquoi. "

Ce qui est certain, c'est que cette intrigue, riche, m'a profondément troublé. Elle est toujours ancrée dans ma mémoire même un mois après avoir tourné la dernière page. J'ai toujours des interrogations: sur la vie, sur la mort, sur la maladie, le mal être, sur le pourquoi d'un tel comportement de Eva... mais aussi sur le regard et les interprétations d'autrui. Forcément, on compare cette histoire avec son vécu: que penserait-on de moi avec une telle attitude? Comment suis-je vu? Et si je faisais la même chose, vivrais-je mieux ?

Une belle réussite, un roman que je vous encourage vivement à découvrir à mon tour.

4/5


Lien : http://www.alombredunoyer.co..
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Contrairement à Tout le pouvoir aux soviets que je venais de terminer, écrit par un auteur, Patrick Besson, dont j'avais déjà entendu parler même si je ne l'avais jamais lu, l'auteur (auteure ? actrice ?) de la désertion m'était totalement inconnue. J'ai découvert ce roman dans le catalogue de la plateforme NetGalley.fr par l'intermédiaire de laquelle l'éditeur a accepté de m'envoyer gracieusement un exemplaire numérique de ce livre en "service de presse".

Le résumé de l'éditeur m'avait suffisamment intrigué pour me donner envie de découvrir ce roman :
« le premier jour d'absence il était descendu à l'heure du déjeuner pour l'attendre dans le parc, caché derrière l'arbre d'où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d'elle. »

Un jour, Eva Silber disparaît volontairement. Pourquoi a-telle abandonné son métier, ses amis, son compagnon, sans aucune explication ? Tandis que, tour à tour, ses proches se souviennent, le fait divers glisse vers un récit inquiétant, un roman-enquête imprévisible à la recherche de la disparue.

La disparition soudaine d'Eva est le point de départ et le coeur du récit. Celui-ci est composé de quatre parties successives, dans lesquelles nous découvrons un narrateur différent :

- Franck, le directeur pervers, voyeur et harceleur d'Eva
- Marie-Claude, la collègue bienveillante et conventionnelle d'Eva
- Paul, l'étrange ami-amant avec qui Eva avait une relation avant sa disparition
- Eva, elle-même, pour conclure
Ces gens défilaient dans son bureau armés d'une sorte de servilité qu'il n'avait connue qu'à l'école. Elle obéissait à la règle informulée stipulant qu'on devait, toujours, et avec férocité, taper sur le plus faible pour ne pas paraître faible soi-même.

J'ai bien aimé cette construction chorale où chaque personnage nous fait partager sa vision d'Eva, de sa vie, et ses relations aux autres, et de sa disparition. A l'image d'un puzzle que l'on reconstitue pièce par pièce, chacun des points de vue apporte une lumière nouvelle sur Eva, un personnage difficile à cerner, que ce soit avant ou après sa "désertion", pour reprendre le terme choisi pour le titre du livre. Il faut attendre le récit d'Eva elle-même pour mieux comprendre ce qu'il lui est arrivé et la cause de sa disparition du jour au lendemain.
Ne lui restait que sa mémoire et, pire, ses sentiments, soit la part de lui-même la plus éloignée de lui, celle qu'il mettait au pas depuis toujours pour exécuter son plan - réussite sociale, normalité, accomplissement, utilisé. Fin de la honte de soi.

A travers le destin singulier d'Eva, le roman dresse un panorama triste mais sans doute réaliste de notre société. Emmanuelle Lambert nous décrit un monde du travail déshumanisé, où le processus est roi, où tout est affaire de statistiques, d'indicateurs, où le rôle des managers se résume à une autorité basée sur la surveillance permanente, la recherche de fautes et de coupables. Dans son roman, les relations sociales - faute de pouvoir être qualifiées de relations humaines - sont figées dans des conventions hypocrites où le savoir-vivre et les apparences prennent le pas sur l'honnêteté ; les amitiés sont superficielles, éphémères, fragiles, elles ne tiennent pas le coup face au poids des blessures qu'on refuse de voir.
Je n'ai jamais compris pourquoi les gens me renvoyaient tous que j'étais étrange, mais j'ai fini par m'y faire. Il ne faut pas du tout exclure que j'aie cru, un temps, être malade parce que les gens le croyaient pour moi, cela avait du sens après tout ils n'avaient jamais repéré que les choses que je leur livrais. Lorsque tout le monde vous voit comme malade, vous avez besoin d'un peu de temps pour changer la focale.

Au fil du roman, j'ai appris à apprécier la personnalité d'Eva, qu'on découvre progressivement au fil des pages. Elle apparait comme une personne déroutante, décalée, dérangée peut-être, mais c'est peut-être le personnage le plus humain du roman. Ses failles sont compréhensibles et on excuse aisément ses difficultés à y faire face, dans une société cruelle où l'humain doit rester anecdotique. On assiste, impuissant, à sa chute, qu'on voudrait éviter, qu'on voudrait lui épargner, car on s'attache à elle.
A quel moment ? Quand a-t-elle commencé à chuter dans le désintérêt, dans le dégoût des autres, de la vie, des choses qu'on fait, qu'on aime ? Elle ne pouvait répondre. Pour cela, il lui aurait fallu immobiliser ce moment le plus ténu, ce, ces moments où, d'un coup, tout dissone, rien ne va, rien ne coule, où l'esprit se désintéresse de lui-même, de sa vie, de son corps. Pour cela, il lui aurait fallu être capable d'arrêter le temps pour le contempler.

La désertion est un roman court (160 pages), troublant mais prenant, que j'ai lu avec plaisir et intérêt. le style est simple mais plaisant. Il y a quelques passages très finement écrits et pleins de sens ; je me suis permis d'en citer quelques uns ici. Au-delà de l'enquête sur la disparition d'Eva, qui sert de fil rouge au récit, c'est aussi un livre qui fait réfléchir, et c'est toujours bon signe en littérature.
"Pour un être sensible, la pitié, souvent, est souffrance"

Herman Melville, dans "Bartleby le scribe", cité en exergue du roman
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Quatre jours après sa disparition, il s’était rendu en bas de son immeuble. Il était resté longtemps immobile, face à la porte cochère ; elle n’était pas apparue. Il avait aussitôt regretté son inertie des premiers jours. Il était revenu le lendemain, le surlendemain et le jour d’après. Jamais elle n’était venue. Même, le cinquième jour, il s’était rendu dans le nord de Paris, en bas de chez l’homme qu’elle fréquentait et jusque chez qui, un soir, il l’avait suivie.
Il craignait alors que cette pute, cette petite misère stupide, ne se fût suicidée en laissant une lettre qui l’aurait accusé. Il avait souhaité mettre à profit les quelques jours restant avant le déchaînement administratif à venir (procédure de licenciement, signalement aux personnes disparues, enquête) pour tenter d’y voir clair, et peut-être la retrouver. 
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Toute organisation humaine appelle une verticalité.
Toute association de personnes étant faite de leurs humeurs, de leurs incohérences, de leurs hauts et de leurs bas et de leur vanité et surtout, la plaie des plaies, de leur opinion, toutes ces personnes, lorsqu’elles sont réunies dans un but productif, ont besoin d’instances supérieures, rationnelles, décisionnaires, pour donner forme et nécessité à leur agrégat.
Il le croyait, il le savait.
Et quand bien même ces fonctions d’encadrement sont remplies par des êtres de chair, avec leur psychologie et leurs sentiments – avec leurs limites –, elles sont nécessairement inhumaines. Ou plutôt, non humaines. Ou encore, hors humaines.
Chaque matin, face au miroir, il se disait : « J’incarne l’ordre nécessaire à nos missions », avec une variante : « La mission est belle, elle est noble. » Et tous les matins, il se rêvait l’incarnant toujours plus, toujours moins humain, dissous dans l’idée de lui-même jusqu’à la disparition finale de son être réel.
Il le savait, cela lui convenait. Sans ordre, pas de société, pas de progrès, pas de réalisations ; une bouillie dépourvue de destination ; une purée de chaos. Cela lui convenait, même, cela lui plaisait. Il était un Cavalier luttant contre l’Apocalypse de la confusion.
Il exultait à l’idée de bientôt se fondre dans le tout d’une vie (par vie, entendez la vie à la grande échelle, la vie sur terre et non ce qu’il tenait pour ses irruptions aléatoires, les êtres humains) dont les mouvements seraient tous prévisibles et donc, encadrés – par des gens comme lui, des fantassins de la raison. Croyant sans Église, il se savait répondre à une autorité supérieure lui conférant une puissance secrète. Sa fonction était sacrée. Sans lui, pas d’ordre. Pas d’organisation. Ceux qui l’avaient recruté ignoraient la part mystique de son être ; lui, avait des renseignements sur tous.
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Avant, la vie allait de soi, les jours, les heures et les minutes, parfois elle pensait même aux secondes, les instants, la vie coulait, le travail, les rares amis, mais surtout le travail, ses missions, son importance, sa noblesse, oui, sa noblesse, et les rituels de la routine, la vie coulait, rythmée par le déroulé des jours, la répétition des tâches et des lieux, des choses à faire, des choses qu’on fait, prendre un café, faire une pause, voir les gens, sortir, sortir pour des dîners, des soirées, des apéritifs, avoir des discussions, appeler la famille, sa vie coulait, réglée, sans heurts, elle allait de soi jusqu’au jour où elle la refusa et elle ne saurait pas pourquoi. Elle ne saurait pas car ce n’était pas la question ici, la question, c’est un mouvement de bascule, la vie coule et, d’un coup d’un seul, tout s’effondre, tout.
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Eva absente, il lui gardait son amour ; il avait fait le pari que, depuis la signification secrète qu'il avait accordée au mot de collision, les aléas des événements seraient les échos répercutés d'un chant qu'ils avaient entrepris tous deux, et dont la ligne mélodique perdurerait par-dessus le temps et par de-là leurs deux vies
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Cela n’avait pas duré bien longtemps, peut-être une dizaine de jours, et un matin elle n’était pas venue, un jour, deux jours, une semaine, deux semaines, tout le monde s’était inquiété, on l’appelait sur son téléphone portable, elle ne répondait pas, on lui écrivait chez elle, les lettres revenaient. On s’était même demandé si elle était morte et comment on licenciait une morte sans certificat de décès, puis ils s’étaient repris : si l’annonce de sa mort n’avait pas été faite, elle devait être vivante, quelque part et loin d’eux, ce qui lui avait été confirmé par un mot qu’elle lui avait fait porter au bout de trois semaines d’absence. Franck Bourgoin avait alors été contraint de la licencier, ce que Marie-Claude avait pris avec une forme de résignation douce.
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