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Critiques de Erwin Mortier (18)
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

Papa ! Voilà ce que j'aurais écrit. Voilà ce que j'ai crié en mon cœur silencieux et muet.



Pa❤ ❤ . Voilà ce que vous auriez pu déchiffrer, car de mon cœur déchiré, deux larmes,

sur le papier vélin.



Au delà des mots, il n'y a que les larmes.



L'ordinateur n'a pas la douceur de la plume.

Et ce Pa qui s'accroche. Et cet autre noyé. Ce Papa à moitié effacé, déjà.

Je ne pourrais le raconter.



Dieu soit loué, Papa n'a pas Alzheimer. Mais n'empêche ...

Fragile, courbatu, fourbu, plié, courbé, fatigué, claudiquant, tâtonnant, ahanant, remâchant ...

Diminué

Courageux, encore, pour un temps...

Portant son âge comme une croix

Tellement recroquevillé



C'est lui que je cœure en lisant les Psaumes balbutiés d'Erwin Mortier à sa mère frappée par la maladie d'Alzheimer. Qu'ils sonnent beaux, ces psaumes ! Qu'ils plaident tendres ! Qu'ils caressent chauds ! Qu'ils humanisent profonds ! Qu'ils tissent l'au-delà !



Ce livre est poésie. Un voile de tendresse sur des sentiments exhumés, graves et autrement muets. Las, des perles de pluies masquent cette goutte à goût salé sur ma lèvre émue au sourire dissipé. Le rythme de la phrase, le velouté des mots bercent comme une vague mon cœur chaviré. Et, une onde profonde, syncopée, abyssale émane de lui, parcourt ma peau tout soudain devenue sourd tambour, tam-tam animal. Ces mots sont autant de caresses adressées à mes yeux embués, ils me portent en des cieux inconnus que seul le poète avait vus. Hélas, ils disparaissent bleu à bleu, dissipés eux aussi, dans les brumes d'un cerveau trop usé.



Après les noms, les visages,

Ensuite les gestes,

Puis le regard, et le reste

Il n'y a rien qu'elle ne ravage



Etre de brume

Voile du regard

Egaré, hagard

Brouillard

Au fil des heures

La peur, les pleurs

Douleur

Plus de mots, des maux

La rime s'enrhume



Et moi qui ne dis rien



Mon cœur à marée lasse.



Mais c'est Erwin qu'il faut lire. Erwin Mortier cet émouvant écrivain belge que je remercie Babélio et les éditions Libretto de m'avoir fait découvrir par l'entremise de l'opération Masse critique de septembre. Erwin Mortier qui couvre si délicatement d'une dentelle de Bruges la Morte l'indicible dépouillement de l'humaine décrépitude dans ses Psaumes balbutiés.
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

Quel livre ! Pas un mot de trop , une écriture d'une rare maîtrise , concise juste comme il le faut , des phrases , des mots qui m'ont remuée , bouleversée .

L'auteur parle de sa mère mais aussi de la vie , de l'instinct de vie , de la mort .

Je n'ai même pas envie d'écrire que cette mère de 66 ans a la maladie d'Alheizmer , oui bien entendu c'est de ça que ça parle aussi mais le dire ainsi est si réducteur .

C'est parfois triste , émouvant mais en même temps qu'est ce que cette lecture paradoxalement m'a rendu vivante , touchant la vie au plus près , il y a des phrases qui peuvent paraître banales et qui ne le sont pas , elles touchent au plus profond , parfois font mal car elles décrivent un moment de bonheur passé , qui ne reviendra plus , on sent , enfin je l'ai ressenti comme une morsure le bonheur de cette famille touchée par un drame indicible , voir une mère disparaître de son vivant , oubliant ses mots , perdant sa personnalité , sa façon d'être . Blessure faite par le temps qui passe, qui nous rappelle ces moments de bonheur fugaces .

Je viens de terminer ma lecture et j'écris de suite mon ressenti de peur de l'oublier , il y avait longtemps qu'un livre ne m'avait pas touchée comme ça , il y a un tel contraste entre ces phrases parfois lapidaires et l'émotion ressentie .

Et puis tant de questions sans réponse évidemment , comment vivre une telle situation , comment vivre sans se sentir coupable de devoir placer sa femme , là je me pense au père , le père qui dit à son fils que c'est une trahison d'abandonner quelqu'un qu'on connaît depuis 50 ans , père qui ira au bout de ses forces

Et d'autres questions , où s'arrête la dignité , quand faut - il renoncer , enfin je pense que chaque lecteur se posera ses propres questions .

Une sorte de confession , de portes intimes entrouvertes un instant , un partage d'âme , moi - même je ne sais expliquer , un talent hors norme .

J'ai eu l'impression poignante de connaître l'auteur , de partager un moment de vie indicible , désolée je n'ai pas d'autres mots .

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Ma deuxième peau

Voilà donc ma critique comme promis .

Aux premières pages du roman , on est au début des années 60 , dans une famille composée du père , de la mère et de leur fils unique mais aussi par quelques vieilles tantes et un vieil oncle qui entourent l'enfant de leur tendresse ou de leur simple présence selon leurs personnalités .

Il y a la tante qui n'a jamais trouvé chaussure à son pied , celle qui ne rit pas facilement , celle qui est toujours coquette , l'oncle Michel qui ne se promène pas sans sa canne, et puis imperceptiblement , la vie s'écoule doucement , l'oncle Michel est le premier à disparaître .

L'enfant qui est aussi le narrateur est alors un très jeune enfant , il ne comprend pas le côté inéluctable de la mort , c'est très bien écrit , je trouve que rares sont les écrivains qui savent écrire les souvenirs d'enfance avec talent et du talent Erwin Mortier en a .

On passe sans trop s'en rendre compte aux années 70 par de douces descriptions , et au fil des pages , l'émotion monte , doucement mais sûrement , il n'y a pas d'effet de style , l'écriture est concise .

On partage la période de l'adolescence du narrateur comme si on y était , et puis , je ne raconte pas , il faut le lire , tout à coup , une émotion mais sans pathos , une retenue incroyable qui ne fait que souligner ce qui atteint le coeur , ça m'a ému aux larmes . Je ne m'attendais pas du tout à ça , les pièces s'emboîtent avec une grâce infinie .

Oh l'auteur sait évoquer les années 60 du point de vue d'un enfant et puis les années 70 du point de vue adolescent .

Ce livre m'a été conseillé par une nouvelle connaissance , grande lectrice comme moi et je l'en remercie .

C'est le genre de livres qui me touche , j'aime beaucoup les romans où tout est évoqué en finesse et c'est le cas de ce livre .

Je découvre enchantée ce côté de la littérature belge , la littérature néerlandophone , j'ai déjà lu de cet auteur Psaumes balbutiés dont j'ai fait récemment la critique , livre également tout en retenue .

Je découvre cet auteur après Tom Lanoye , auteur néerlandophone lui aussi , ou faut - il dire flamand pour les différencier des auteurs des Pays - bas ? , moi je préfère dire flamand .

Ces deux auteurs ont le même âge que moi , c'est la première fois que ça m'arrive de lire des livres d'auteur du même âge et ça donne un petit plus émouvant , leur histoire n'est pas la mienne , mais il y a une belgitude commune , des souvenirs en commun comme me l'avait dit l'amie lectrice qui me les a conseillé tout deux .

Ce qui est remarquable également c'est que j'ai lu deux livres de chaque auteur et le hasard de mes lectures fait que les thèmes sont semblables mais évidemment ils sont traités différemment , pour moi , aucun des deux n'est supérieur à l'autre , ils sont tous les deux de grands écrivains .

Voilà je voulais rendre un petit hommage à la littérature belge de l'autre côté de la frontière linguistique , si j'insiste un peu c'est parce que je trouve qu'un roman est une porte ouverte vers une autre culture , une façon de découvrir un peuple , je ne pense pas toucher beaucoup de lecteurs français ( ou d'autres pays francophones , j'ai aussi des amis suisses et canadiens sur le site ) mais si par hasard , vous rencontrez un de ces quatre romans , j'espère que vous partagerez avec moi un petit regard sur cette douce belgitude .



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Marcel

On sait tous que la réaction devant des événements exceptionnels peut être très différente d’un homme à l’autre, d’un pays à l’autre. Il y a toujours ceux qui se taisent, collaborent et ceux qui dénoncent, se battent.

Je vous propose un roman qui pourrait porter en sous-titre : Quand on choisit le silence...........



La Flandre, un pays qui dans les années 70 vit encore sous le poids d’une histoire que beaucoup voudraient oublier.

Une ville flamande comme les autres, une maison qui « ressemblait à toutes les autres de la rue : plus très d’aplomb après deux siècles d’occupations, de tempêtes et de guerres ».

Une famille flamande presque comme les autres.



Le narrateur vit chez sa grand-mère, une maîtresse femme qui « a rarement tord », elle connaît tout le monde dans la ville, Andréa, elle occupe toute la place dans ce roman.

La vie s’écoule doucement « personne ne se déplaçait librement dans la maison. Chacun suivait le chemin de son habitude »



Dans une petite ville les langues vont bon train, quand Mademoiselle Veegaete, l’institutrice, vient pour renouveler sa garde robe, c’est l’effervescence car c’est une cliente privilégiée, on sort le service à liséré d’or, les magazines de mode. Ces jours là le narrateur voudrait « être une petite souris qui voit tout et n’oublie rien ».



Parfois on fait des visites « la grand-mère nous avait empaquetés, le grand-père et moi comme une cargaison vivante », l’occasion de découvrir de nouvelles photos : « Une multitude de visages d’hommes (...) Au dessus des têtes, une houle de bras levés »

Ce jour là le narrateur découvre qu’il ressemble à Marcel.



Le même Marcel qui trône dans la vitrine où la grand-mère aligne les photos de tous les morts de la famille. « Dans leurs cadres chic, pareils à de précieux carrosses ils paraissaient faire la queue à la douane ».

Une kyrielle de tantes, d’oncles, tous disparus. Chaque photo raconte une histoire. Andréa époussette les cadres avec soin, elle va entretenir leurs tombes au cimetière. Elle raconte sans se lasser l’histoire de chacun. Sauf pour Marcel, parce que,Marcel, si il y a bien sa photo dans la vitrine, il n’y a aucune tombe à fleurir au cimetière et personne ne connaît la date de sa mort.

L’enfant aime le grenier et tout ce qu’il y trouve, c’est sa curiosité qui va déclencher la tempête, quand pour un travail scolaire il se sert d’une lettre ornée d’un aigle magnifique...



Un roman court, sobre et habile pour restituer cette part de l’histoire longtemps cachée. Le monde de l’enfance est décrit avec virtuosité et est empreint de trendresse mais le passé que l’auteur explore à travers ce récit est plein de culpabilité et de honte.

Voici ce que dit l’auteur dans une interview :

« Marcel était pour moi l'occasion de m'exprimer en tant qu'arrière-petit-neveu d'un collaborateur mort en Russie, sur le front de l'Est. Âgés de vingt ans, mes grands-parents ont sympathisé avec les Allemands. Ce passé a marqué mon enfance, même si je suis né vingt ans après la fin de la guerre.» © La Libre Belgique 2003



La langue est superbe et la traduction a value à Marie Hooghe un prix bien mérité.
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

« Je voudrais me souvenir de toi comme de la femme que tu étais avant que la maladie ait commencé à tisser sa dentelle ajourée dans ton esprit, ne pas toujours buter sur cette obscurité, sur le linceul grinçant de ta douleur et ta souffrance infinie. »



Raconter la déchéance de sa mère rongée inexorablement par la maladie d’Alzheimer peut vite sombrer dans le pathos, le glauque, ou au contraire dans le savant sans le moindre intérêt pour le lecteur qui est abreuvé à longueur de journée d’une foule de détails et d’informations.



Presque à bâtons rompus, avec des manières différentes, Edwin Mortier parvient à faire « la de la poésie » avec un sujet qui d’ordinaire ne s’y prête pas vraiment. Parce que les mots manquent à sa mère, l’auteur s’attache à mettre en mots cette fin aux allures de parcours du combattant pour chacun des membres de cette famille, et en particulier le mari qui assume vaillamment presque jusqu’au bout.



Ce texte, superbement traduit, émouvant, intériorisé, comme chuchoté, laisse transparaître tout le désarroi, et la violence qui l’étreint ; mais de manière contenue ; comme pour rendre plus acceptable cette désintégration corporelle et cérébrale qu’il est si difficile pour tout un chacun d’intégrer, ou d’imaginer.



Je remercie les éditions Fayard pour l’envoi de cet ouvrage, et l’heureuse découverte d’Edwin Mortier dont je suivrai avec attention les autres écrits.




Lien : http://leblogdemimipinson.bl..
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Marcel

Marcel c'est le récit d'un secret de famille vu par des yeux d'enfants .

Marcel c'est le jeune frère de la grand - mère du narrateur , dont on parle peu , sa photo trône avec les autres photos des morts de la famille , photos dans des cadres dont la grand mère prend grand soin .

Marcel a choisi le mauvais camp pendant la guerre , il a fait la guerre au côté des allemands , par idéalisme , par fidélité à ses idées , il rêvait de combattre le communisme mais surtout il rêvait d'une Flandres puissante .

L'auteur ne prend pas parti , il se positionne en tant qu'enfant qui écoute , interprète , ne comprend pas tout , il va fouiller dans le grenier de ses grands parents , découvrir des objets , des livres , des lettres appartenant à Marcel , Marcel qui n'est pas revenu du front de l'est , Marcel à qui il ressemble .

L'enfant tend l'oreille , il comprend confusément qu'il s'agit d'un secret .

Ce livre est un pan de l'histoire de la Flandres , il n'explique pas mais est tout en nuances .

En temps de guerre , il est parfois difficile de rester fidèle à ses idées .

C'est une très belle lecture .
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Sommeil des dieux

Enfin, j'ai lu le roman Sommeil des dieux d'Erwin Mortier. Il a dû m'attendre pendant un moment. Cependant, les circonstances n'étaient pas idéales: un voyage d'aventure très occupé n'est pas le moment pour vraiment apprécier ce chef-d'œuvre. Cette fête de langue et de beauté a besoin de repos et de contemplation. J'ai été surpris par la langue. Le néerlandais est une belle langue quand elle vient du stylo d'un virtuose comme Erwin Mortier. J'ai également vu beaucoup de clins d'oeil proustiens. Mais malgré tout, le Sommeil des dieux n'est pas vraiment ma tasse de thé. Je n'aime pas trop le langage un peu trop maniéré et la démonstration de virtuosité stylistique de certains auteurs néerlandophones. Je préfère alors la modernité de Herman Koch, par exemple. Surtout dans Villa avec piscine.
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

Voici une compilation de fragments dans laquelle l'auteur décrit la décrépitude de sa mère suite à un Alzheimer.

J'ai trouvé ce livre d'un ennui mortel. Certes, le sujet est fort et touche tout le monde de très près (c'est peut-être pour cela que les critiques sont bonnes) mais, si on prend du recul vis-à-vis du sujet, le propos est vide. Cela tourne en rond, encore et encore. Il n'y a aucune substance. L'auteur a probablement plus voulu exorciser ses démons qu'autre chose, un peu à l'image des autobiographies ou témoignages (le plus souvent à compte d'auteur).

L'écriture est très complexe, ce qui rend la lecture difficile. L'auteur se cache derrière des envolées poétiques pour masquer le vide de son propos. Il faut aussi être honnête: quelquefois on ne comprend rien au fragment écrit.

Je n'ai pas du tout adhéré.

Quelques passages sont tout de même beau: mon préféré est celui de la p.82, quand on regarde son/sa compagnon/compagne et qu'on se demande qui sera le premier à mourir...

Lecture à déconseiller
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

Dans un texte fragmentaire plus poétique que dramatique, Erwin Mortier, auteur belge néerlandophone lauréat du prix du Meilleur livre étranger en 2013, décrit la lente décrépitude physique et psychologique de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Cette décrépitude se traduit par des gestes simples que cette femme ne sait plus faire, des mots qui lui échappent, s’enfuient et s’oublient tout à fait. Peu à peu, la maladie grignote le cerveau et, partant, l’âme de cette femme qui fut mère de cinq enfants et épouse aimante d’un mari qu’elle est bientôt le seul à reconnaître. Les visages des siens lui deviennent étrangers et ainsi l’apparence physique familière ne devient plus qu’une enveloppe vide. La mère, cette victime de ce mal sournois, se cache derrière le père, son mari, qui la protège de tous ces inconnus qui l’entourent et lui veulent pourtant du bien.



Naturellement, la maladie engage une interrogation profonde sur la mort. De manière pragmatique, il faut penser à celle prochaine de cette femme, et cette mort certaine aura, ses enfants le savent, le goût amer de la libération. Pire, il faut penser à la placer en centre d’accueil spécialisé, ce qui se traduit chez les proches par un fort sentiment de trahison, d’abandon. Au-delà de l’épuisement physique de tous ces êtres, il y a une fidélité à une femme qui fut le noyau central d’une vie familiale, laquelle, comme partout ailleurs, eut ses hauts et ses bas, ses joies fugaces que l’on retient volontiers. La maladie engage aussi chez le narrateur une réflexion sur sa propre mort, qui véritablement l’obsède pendant une partie du livre et, légitimement, l’inquiète. Cette angoisse se traduit en rêves morbides et en désirs inaboutis, en un regret aussi que personne, à l’heure de sa mort, n’ait pu « noter sur un bout de papier de quoi il retourne, ne serait-ce que : c’est pas grand-chose. C’est tout de suite fini » (p. 136).



Le livre est particulièrement sobre et pudique. Le langage y a une grande importance et révèle aussi son paradoxe : le langage représente l’humanité et, bien plus, l’intellect. Mais l’intellectualisation des concepts et des émotions signifie aussi une prise de distance par rapport à ces évènements si tristes et si banaux, à savoir la perte d’un proche, avec la différence qu’ici Erwin Mortier et les siens ont assisté à une disparition lente qui dura plusieurs mois. Et tandis que le fils tâche de rendre par les mots les plus justes la précision de ce sentiment horrible, sa mère, elle, perd le fil des mots qui ne jaillissent plus de sa bouche comme autrefois, mais se perdent dans le labyrinthe de son âme qui se mortifie.



La forme fragmentaire révèle enfin l’état de choc du narrateur, qui développe néanmoins une pensée cohérente en cela que son objet demeure le même, à savoir cette mère qui disparaît devant ses yeux.



L’œuvre de Mortier oscille ainsi entre poésie et hommage filial, et résonne tendrement et douloureusement comme le chant du cygne d’une famille désormais, forcément, désunie.
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Marcel

Il y a dans Marcel de l’écrivain belge Erwin Mortier, qui écrit en néerlandais bien qu’il parle et écrive le français — ce qui lui a permis d’apprécier la traduction qu’a faite Marie Hooghe de son roman et pour laquelle elle a obtenu le prix Amédée Pichot —, quelque chose du Chagrin des Belges d’Hugo Claus. Probablement parce qu’y est traité le déchirement des personnages avec pour tout témoin un enfant qui ne comprend pas.



Comment, en effet, pourrait-il comprendre ces sentiments qui ne sont pas les siens, l’attachement de sa grand-mère à ses morts, cette guerre dont son oncle Marcel n’est jamais revenu et sur lequel semble porter le poids d’un lourd secret?



Dans ce village de Flandre où il est élevé par ses grands-parents, alors que le spectre de la dernière guerre plane encore alors que nous sommes au début des années 70, le jeune garçon écoute, regarde, retient. Il finira bien par dénouer les fils entourant le choix de Marcel et à lui seul, par un geste symbolique, fermera la parenthèse, ce que nul ne semble être en mesure de faire. Parce qu’il faut un cœur d’enfant pour le faire.



Un très beau roman d’atmosphère que celui d’Erwin Mortier, avec lequel vous pouvez faire connaissance en visitant ses pages, si vous lisez le néerlandais.
Lien : http://lalitoutsimplement.co..
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Miroitements

« Miroitements », son nouveau livre, traite pourtant d’un sujet ressassé : un soldat a survécu aux tranchées de 14-18 et, comme tous ceux qui ont vécu cet enfer, il ne parvient pas à s’en libérer.

« Je ne savais pas qu’être rappelé du néant pouvait être aussi atrocement douloureux, comme si les lois naturelles se révoltaient d’être défiées », confesse-t-il. Dans une sinueuse cérémonie des adieux, cet ancien soldat, Edgar Demont, parcourt les couloirs du temps, façon de se souvenir des bras des garçons qui émerveillèrent son existence.

Matthew, rencontré à l’hôpital militaire et qui fut à la fois son amant et l’époux de sa sœur Hélène (la narratrice du « Sommeil des dieux », un précédent roman d’Erwin Mortier) ; Pierre, resté avec lui après les combats et qui deviendra son domestique, tout en se glissant la nuit venue dans les draps de son maître ; Heinz, le juif allemand de Berlin durant la montée du nazisme ; Paul, le peintre aimé à Londres sous les assauts de la Luftwaffe ; Noburu d’Osaka, devenu aveugle en 1945 durant les bombardements américains. On ne comptera pas les aventures d’un soir et les élans sous un porche.

Ce sont là anecdotes, envolées lyriques, et, soudain, scènes d’un érotisme torride qui se succèdent, pour rendre compte d’une double impasse : impossible de comprendre le monde, entre destructions, espoirs, pas cadencés (Nous « restons pour notre espèce tant la pire abomination que la pire bénédiction »)… et impossible de comprendre l’autre, celui que nous croyons posséder, et qui nous échappe. Car, « même dans les étreintes les plus intimes, le bien-aimé est comme un mot qui nous reste toujours sur le bout de la langue ». Le monologue d’Edgar est de bout en bout éblouissant, faits de fragments épars, lumières du passé, éclairs de demain, le travail de la mémoire en somme.

Tout est chair, tout est incarné, les paysages comme les hommes. Une expérience physique, tendre, âpre et sensuelle. Pour dire que l’étreinte des corps n’est peut-être pas si éloignée d’un champ de bataille. Combats d’une vie pour exister, se faire accepter, se faire comprendre. Puisqu’en ce monde, « il n’y a que des alphabets et des prières, tout le reste est bruissement ».



Paraît simultanément en poche, « Psaumes balbutiés », son ouvrage précédent, une pure merveille récompensée en 2013 par le prix du Meilleur Livre étranger. Maman perd la boule, elle s’affaire comme un lion en cage, elle panique et pleure sans cesse. Alzheimer. Le déclin est à la fois lent et violent. Papa est épuisé, mais ne se résous pas à la placer. L’éternelle culpabilité. Les enfants se relaient et parmi eux Erwin, l’écrivain, qui tient ce « livre d’heures ». Tout devient insupportable : se souvenir de qui elle était avant la maladie ne la frappe ; assumer ce qu’elle devient, ce délabrement sans répit, sans retour. Un monde s’en va : « Vous étiez le centre, toi et papa. Nous étions des enfants et vous étiez des parents. Un univers gravitait autour de vous ». Un univers qui s’effiloche, part en lambeaux. On s’interroge sur ce que représente la vie en fin de compte. Pas grande-chose quand on voit cette femme, autrefois si dynamique, n’être plus que l’ombre d’elle-même. Un fantôme hors de contrôle, « comme si j’étreignais un sablier d’os et de peau ».
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Sommeil des dieux

Une très vieille dame, Héléna, se remémore sa vie qu'elle consigne dans des cahiers que personne ne lira. Les dialogues avec Rachida, l'infirmière marocaine qui s'occupe d'elle, constituent son seul contact avec le monde depuis les décès de son père, de son frère et de son mari. De famille bourgeoise, elle part à la recherche de son mari anglophone parti en tant que reporter sur le front durant la guerre de 14 – 18. Des moments de retrouvailles torrides où la toute jeune fille découvre le plaisir, l'amour, l'indépendance. L'urgence qui tenaille face à la possibilité de la mort, le regard porté sur les choses et les gens par cette toute jeune adulte sont émouvants et intéressants.

Un roman à la fois romantique et incisif .



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Sommeil des dieux

La grande originalité de « Sommeil des Dieux » est qu'il évoque la première guerre mondiale de manière très indirecte : en bribes de souvenirs d'une dame désormais très âgée, Hélène Dumont, qui a vécu le grand incendie mondial dans la maison natale de sa mère dans le Nord de la France, uniquement à distance d'écoute du front. Donc, pas de scènes de tranchées dramatiques, horribles et douloureuses, mais des rangées ordonnées qui avancent ou des soldats qui reculent de manière désordonnée, des villages tranquilles qui sont soudainement surpris par des mortiers mal ciblés, des soldats en congé nus sur la plage, etc. Mais l'approche indirecte de Mortier n'est pas moins horrible ou expressive.



Mais ne vous y trompez pas : ceci n'est pas vraiment un roman sur la Première Guerre mondiale ! Plus encore que l'horreur de la guerre, la relation difficile entre une fille à l'esprit libre et une mère rigide est centrale ; dans ce cas, l'auteur nous présente le récit de la fille, Hélène, et nous entendons ainsi une histoire très subjective et assez désordonnée. La fille et la mère sont les personnages essentiels de ce roman et Mortier honore magnifiquement la complexité des deux personnalités, et surtout la complexité de leur relation. Sa description des autres figures (le père, le frère, l'amant puis le mari) est un peu moins aboutie, elles restent assez unidimensionnelles, parfois même assez caricaturales.



Un aspect important de la langue et du style est le caractère proustien des souvenirs d'Hélène : elle tourbillonne dans des phrases qui couvrent régulièrement une demi-page, le verbe déterminant n'apparaissant qu'à la toute fin. Ce style donne à la lecture sa saveur particulière, mais il est vraiment fonctionnel, car Hélène veut consciemment affronter les phrases réservées et serrées de sa mère. Et c'est aussi fonctionnel car Hélène est consciente des insuffisances du langage pour mettre des mots sur la réalité. Elle sait que les mots ne sont que des reflets très imparfaits d'expériences réelles, et que vous ne pouvez en donner une impression qu'en utilisant beaucoup de mots, dans un mouvement circulaire.



Ici, Mortier pointe la couche métaphilosophique du roman, qui, je crois, est le véritable noyau du livre. Et ce n'est pas seulement une question de langage et de mots qui échouent : il s'agit aussi de s'emparer de la vie elle-même, de se connecter avec des personnes très proches de soi, de se connecter à des expériences passées, ... Dans toutes les tentatives qu'Hélène entreprend pour y parvenir, elle note encore et encore qu'ils soient inadéquats, qu'il n'est tout simplement pas possible de saisir ou de se connecter, et c'est fondamentalement la tragédie de la condition humaine.



"Sommeil des Dieux" n'est pas une lecture facile, en fait c'est un roman plutôt indiscipliné, et il est difficile de mettre le doigt sur ce qu'il représente. En ce sens, il reflète parfaitement le caractère volatil, peu fiable, très subjectif d'une vieille femme pensant au passé et au présent, les confondant, confrontant ses sentiments intensément subjectifs avec des événements historiques soi-disant nus/objectifs, et les pressant à peine dans un récit cohérent. La lecture peut être difficile et parfois frustrant. Je ne connais aucun autre roman en langue néerlandaise avec un langage aussi créatif, vivant et parfois très poétique, mais il faut aussi concéder que parfois c'est un peu trop, et les superlatifs linguistiques, renversés les uns sur les autres, tournent à quelque chose d'oppressant, au point que ça devient assez pénible, des acrobaties qui tournent au verbiage et au maniérisme pur.



Ce n'est donc pas un roman parfait, mais je suis sûr qu'à l'avenir je reprendrai ce livre entre mes mains, en l'ouvrant au hasard, et avec un plaisir intense je goûterai au divin nectar que Mortier nous a offert.
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Miroitements

Fayard publie pour cette édition 2015 de la rentrée littéraire le septième roman d’Erwin Mortier, un auteur belge flamand néerlandophone qui fêtera cette année ses 50 ans. Infirmier de formation, celui qui débuta sa carrière en psychiatrie se consacra par la suite à l’écriture de romans, de poèmes, d’essais historiques ou encore de chroniques pour un quotidien flamand progressiste, De Morgen.



Dans Miroitements, il retrouve l’époque de la première guerre mondiale, époque qui lui tient à cœur et dans laquelle il avait déjà plongé sa plume lors d’un précédent roman, Sommeil des dieux.



Edgard Demont est homosexuel, et se raconte sans pudeur dans ce récit en filigrane, où il est question de ses amants. Il y a Matthew, le mari britannique de sa sœur (la narratrice du Sommeil des dieux) avec qui il vit une histoire aussi belle que clandestine durant de nombreuses années, qu’il rencontra dans l’hôpital militaire où il fut soigné pour ses blessures lors de la première guerre.



Il y a Pierre également, un jeune homme qui reste à ses côtés comme un domestique, et qui troque son rôle de valet lorsque la nuit tombe pour se glisser sous les draps de son maître. Il y a le cousin Paul, il y a les garçons d’un soir, et ceux des gestes brusques dans l’intimité d’une ruelle. Et probablement ceux qu’Edgard ne raconte pas.



De ce récit de vie se dégage une grande mélancolie, l’histoire se raconte comme un bilan désabusé, des blessures restées ouvertes, des cicatrices qui défigurent. C’est un roman complexe et douloureux à la fois, mêlant une écriture parfois poétique aux passages grivois sans prévenir. Miroitements s’achève comme un pincement au cœur, se referme sur les illusions d’Edgard.



Je regrette néanmoins les très nombreux dialogues en anglais, et certains en allemand, qui ne sont traduits qu’en fin d’ouvrage plutôt qu’en note de bas de page, et qui saccadent la lecture si l’on n’est pas anglophone (on retrouvait ce procédé fastidieux dans Les Bienveillantes, de Jonathan Littell).
Lien : https://www.hql.fr/miroiteme..
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

Erwin Mortier assiste à la lente descente de sa mère atteinte d’Alzheimer. Comme un superbe poème qui parle de l’essentiel de notre vie, de la stupéfaction d’être là.
Lien : http://www.lalibre.be/cultur..
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Sommeil des dieux

Acheté sur la foi d’une quatrième de couverture alléchante, je m’attendais à tout sauf au profond ennui que cette lecture fastidieuse m’a procurée. Pour faire contre-poids aux autres PURGE, L’HOMME EST UN FAISAN SUR TERRE et autres joyeusetés, envisager la guerre sous l’angle de fêtes, de découverte de soi, la Belle Epoque, pourquoi pas. Ce livre traîne sur mes étagères depuis deux ans. Par sept fois, j’ai tenté d’en venir à bout jusqu’à sauter plusieurs pages en espérant que quelque chose déclencherait ma curiosité. Aucun de mes efforts n’a été couronné de succès. Jamais parvenue à dépasser la page 40 et des brouettes, les reprises de lectures s’arrêtant plus tôt que prévu. Les mots défilaient sous mes yeux sans passer par la case mémoire. Tourner la page tenait du projet. Une torture, un réel déplaisir. J’optimiserai cet achat inconsidéré en transformant ces pages en papier hygiénique mais à 22€ le rouleau ça commence à faire mal au fondement. Ca m’a littéralement fait chier. Cet avis n’engage que moi bien sûr.
Lien : http://www.immobiletrips.com..
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Ma deuxième peau

Il y a des livres qui ne payent pas de mine et qui laissent des traces. Ma deuxième peau de l'auteur néerlandais Erwin Mortier en fait indéniablement partie.



J'ai mis du temps à plonger dans ce livre. D'abord, il était sur un étagère dans ma chambre depuis plusieurs mois, dans la pile des livres achetés depuis longtemps et que je lirai quand j'en aurai le temps. Je m'y mis la semaine dernière, quand son tour est venu. Le début est lent, laborieux. Dans les premiers chapitres, l'auteur y réussit le tour de force d'avoir pour narrateur un nourrisson ; c'est joliment fait, on s'y croirait presque, mais le récit n'est pas passionnant. Cela s'améliore par la suite, quand Anton grandit et rencontre Willem, un camarade de classe avec lequel il se lie rapidement. La relation entre les deux garçons est au coeur du roman, même si sa véritable nature n'y est que suggérée, avec beaucoup de subtilité.



La fin m'a pris par surprise, je n'ai rien vu venir alors que le résumé en quatrième de couverture laissait entrevoir une telle issue. J'ai dévoré les dernières pages d'une seule traite, bouche bée. J'ai refermé le livre avec une drôle de sensation mais avec une sérénité dont je ne me serais pas cru capable il y a quelques mois encore. Je le relirai dans quelques mois, calmement, un peu comme un hommage.
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Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère

Ce livre est superbe, bouleversant et plus encore. Le grand écrivain néerlandophone, dont on a pu lire déjà cinq romans en français, fait ici paraître un texte sur l’effacement progressif de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Lien : http://www.humanite.fr/cultu..
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