Fabienne Raphoz. Maison de la poésie de Paris.
"Il y a au fond du conte, continuant de rêver, en état de rébellion à l'état pur, en état de splendeur à l'état pur, un jadis animal aussi intraitable que l'enfant incorrigible."
[Pascal Quignard, cité en exergue]
il se distingue…
il se distingue
à son aile déchirée
j’ai pris l’ami
de passage
le compagnon
de vie
pour témoins
les éthologies diraient
c’est un individu
usé
il est revenu
trois matins
c’est une relation
Fauvette…
Fauvette !
si mon chant
était semblable
au tien
j’aurais trouvé
le ton juste
petits carrés
de bleus
posés là à
deux
mains
[Pour Lucatti]
« charivari des varis ! »…
« charivari des varis ! »
dit l'enfant
makis & sakis se planquent
l'atlas éteint s'est rendormi
le crocodile ouvre sa gueule
il est huit heures
PROCELLARIIFORMES
(Diomédéidés)
Extrait 1
Les Albatros sont compagnons d’Ulysse
Les Albatros sont des moutons de mer
Mais ses ailes de géant
…
parut un Albatros
l’Albatros nous suivit
cet Albatros je l’abattis
mais
…
si la brise soufflait
c’était grâce à Lui
:
― de Toi j’ai peur
ô vieux marin !
…
(hommage au Dit du Vieux Marin)
L’envergure record de l’Albatros hurleur
Le bec Kill Bill de l’Albatros de Buller
L’Albatros hurleur vit en exil
L’Albatros hurleur est un Wanderer
L’Albatros hurleur hurle aussi en italien
Un Albatros de Laysan ne mit
que 32 jours pour retrouver son
nid de l’île de Midway dans le
Pacifique, alors qu’il avait
été lâché dans les Philippines.
PROCELLARIIFORMES
(Diomédéidés)
Extrait 2
L’Albatros à cape blanche est dit prudent
L’Albatros à cape blanche est dit timide
L’Albatros à cape blanche est l’ami des marins
Melville raconte :
« Je me souviens du premier albatros
que j’ai vu.
C’était au cours d’un voyage qui n’en
finissait plus, près des mers
antarctiques. De mon quart du matin
en bas, j’étais monté sur
le pont assombri, et là, plaqué contre
l’écoutille principale, je vis
une chose royale et emplumée, d’une
blancheur intacte, avec
un bec courbe, romain, sublime. De
temps à autre, elle voûtait ses
ailes d’archange comme pour enlacer
une arche sainte.
Des trémoussements et des battements
extraordinaires
la secouaient. Bien que physiquement
indemne, elle poussait des
cris, comme l’ombre d’un roi en surna-
turelle détresse.
À travers ses inexpressifs, ses étranges
yeux, je pensais atteindre
des secrets concernant Dieu. »
Ramier défie…
Ramier défie le lent élan claquant de l’aile
puis plane
Sous l’alouette lulu dégringolant sa flûte
labile
Il n’y aurait finalement que ça au monde
et toi
Puis les vents chassant les chants charriant mer comme
menace
C’est l’heure…
C’est l’heure élé
onore l’insecte remonte au ciel
de la prise au bec l’
élé
gance se tord en
vol
l’alouette huppée aiguise un chant
de terre
sur les ruines (des palais ?)
le Minoen a vu l’enfant couché l
a larme cor
moran
porterait plainte sur l’eau une
permanence de pierre travaille la
mer la
mer !
ce familier dans le nouveau
ce nouveau dans le familier
un faucon ?
[Xérocambos – 2700 av. JC-2019]
Yucatán
je crois que je suis
ce que j'ai vu
ce rêve !
le regard sans adjectif
de la baleine
gravité en tête
fut lumière du monde
combien d'ailleurs pour
cette clarté ?
p.20
Le journal fausse le passé, au moment de sa lecture, il force le souvenir. C'est un paradoxe temporel : écrit dans l'instant pour ne pas perdre l'instant, il laisse se perdre tous les instants qu'ils n'a pas consignés. Parfois, le journal fonctionne, à la manière du carnet, comme un déictique, un propulseur, la note lacunaire ouvre un champ que le poème, même condensé, saura, ou ne saura pas, exprimer, mais s'il est trop rédigé, le fragment se suffit à soi-même.