Lectomaton, Ceci est ton corps, de Gabriel Ringlet, Foire du livre de Bruxelles 2009, Stand de la Communauté française
Tantôt brûlant et tantôt froid,
maintenant timide et hardi tout à l'heure
nombreux sont les caprices de l'Amour.
Mais en tout temps il nous rappelle
notre dette immense
envers son haut pouvoir,
qui nous attire et nous veut à lui seul.
Tantôt gracieux, tantôt terrible,
proche maintenant et lointain tout à l'heure :
pour qui le connaît et se fie à lui,
ceci même est joie souveraine.
Comme Amour
dans un seul acte
frappe et embrasse !
Tantôt humilité, tantôt exalté,
caché maintenant, manifesté tout à l'heure,
pour être un jour comblé par la dilection
il faut risquer mainte aventure,
avant d'atteindre
ce point où l'on goûte
la pure essence de l'Amour.
Tantôt léger, tantôt pesant,
sombre maintenant et clair tout à l'heure,
dans la douce paix, dans l'étouffante angoisse,
donnant et recevant,
double vie,
sied à l'esprit
qui se perd dans l'Amour.
L'Amour, dira encore Hadewijch,
Poème
qui défie toute mélodie !
[...]
Mélodie
qui défie tout poème !
Frère François écrit même la « percussion » en voyant dans la poésie la
« science la plus exacte qui soit au monde ». Comme il a raison. J'ai pu le vérifier en fréquentant de près plusieurs laboratoires de recherche. À la manière de la science, la poésie déteste le verbiage et, comme elle, elle a besoin de temps.
Accepter son déclin, ce n'est pas nécessairement se retirer en pleine forme comme Lance Armstrong et se cacher avec ses derniers lauriers. C'est parfois continuer "au risque de faire moins bien". Voilà qui amène à changer de regard sur l'usure et le vieillissement. Peut-être sur la mort.
Entendue en son sens le plus large, la spiritualité n'est pas un département de la théologie, de la religion en plus fin, mais une qualité de présence, et d'abord de présence à soi, une manière de vivre avec intensité. A travers la pesanteur et la grâce d'une existence, nous choisissons. Par delà les habitudes et les déterminismes, nous cherchons une cohérence. Quel est le fil rouge ? Qu'est-ce qui décide de la couleur d'une vie, de sa tonalité, de sa liberté ? (...)
La vie de l'homme est une vie respirée, et il lui appartient d'entretenir cette respiration. En développant son intelligence, sa sensibilité, son émotion, sa foi.
Ce qui me pose problème, c'est le trop plein.
Et d'abord, le trop plein de foi, ça, c'est l'indigestion.
Et c'est pourquoi, la religion s'écroule.
Dans le journal "Le Soir" du 03/09/2021.
La liturgie est d'abord un récit. Célébrer, c'est raconter. Ce qui suppose un lieu, des objets, des mots, des gestes, des mouvements, des musiques, des personnages, une intrigue... Célébrer ne fait pas la morale. Célébrer n'enseigne pas une doctrine. Célébrer ne défend pas des valeurs. Mais célébrer retourne un sol pour qu'un sillon se creuse chez celles et ceux à qui l'histoire est racontée. En faisant mémoire, célébrer rend présente une parole.
Cette parole qui s'est incarnée dans un tout petit territoire, on la reconnaît à son accent particulier, à son vocabulaire concret, à sa phrase où le verbe est premier, à son odeur... Ce n'est pas une odeur forte. Elle ne sent pas la dévotion. Juste un léger parfum de transcendance. Une humble parole araméenne qui n'a rien de glorieux. Elle arrache à la mondanité et donne envie de marcher.
En espagnol, mettre un enfant au monde se dit "dar à luz", le donner à la lumière. Mais il n'y a pas de mots, je crois, pour le donner à la nuit. Il le faudrait pourtant, car donner à la nuit, c'est aussi donner? t Dieu sait qu'il coûte, ce don-là.
Jamais je n'oublierai cette chambre au bout du couloir, tout au fond de la maternité. Une chambre qui parlait sobrement. On eût dit qu'elle savait comment accueillir la détresse au lever d'un jour sombre. Aujourd'hui encore, je garde au coeur sa précieuse fraternité.
J'ai choisi d'évoquer ici, parmi d'autres, trois soins auxquels je suis particulièrement attentif : le soin poétique, le soin jardinier et le soin eucharistique. Ma manière à moi de parler du soin spirituel
Et nous allons suivre son invitation.
Célébrer ta beauté de ce soir.
Célébrer ton histoire, jamais racontée.
Célébrer ton angoisse, la mienne.
Quand tout est dit et qu’il faut bien ranger les vêtements du dimanche dans la valise, il reste encore à célébrer l’arrivée de la nuit.
Célébrer les bruits du couloir.
Célébrer le va-et-vient des infirmières.
Célébrer les éclats de rire dans la chambre à côté, et les plaintes et les respirations difficiles, et les échos, plus loin, d’un feuilleton télévisé.
Célébrer les derniers moments d’un malade que j’ai caressé d’un peu d’huile tout à l’heure, et dont le délire si joyeux m’a mis de très bonne humeur…
Célébrer la confiance. Essayer du moins.
Avec du pain et du vin, mais ce n’est pas obligé.
Célébrer n’est pas réservé.
Célébrer n’est pas croyant ou non croyant.
Célébrer n’est pas que religieux. Et même quand c’est religieux, il reste encore à célébrer pour donner à l’humanité plus d’humanité.
Je suis sûr d'une chose : la parole que propose la célébration, il ne faut pas seulement la parler, pas seulement l'écouter, mais la manger. « Je parcours depuis longtemps les Saintes Ecritures sans un souffle de foi », confie Erri De Luca. « Dans ma lecture, je savoure l'ancien alphabet, ma connaissance se fait par la bouche. L'hébreu ancien tourne comme un morceau entre langue, salive, dents et voûte du palais. Ouvert à chaque réveil, c'est un reste de manne, il prend les parfums désirés sur le moment, comme dans les baisers...»
Dans ma tradition, avec un souffle de foi, et puisque la parole à laquelle je me réfère a voulu se faire chair, il faut aussi qu'elle prenne chair en moi. Y compris liturgiquement.