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Critiques de Gabriela Cabezón Cámara (59)
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Les aventures de China Iron

Bouleversant ! Fort ! Puissant ! Intense !

Magnifique épopée féministe ! De l’amour ! La Liberté ! De la sensualité !

Je suis complètement tombée sous le charme de ce roman au parfum de liberté !

J’ai suivi avec un énorme plaisir l’épopée de China, Liz, Rosario et Estraya à travers la Pampa !

Nos 2 héroïnes veulent un monde nouveau ! Un monde libre !

Roman d’aventure, d’amour, initiatique..... ce roman est tellement de choses à la fois ! Impossible à classer, il se dévore, se savoure !

Je ne peux que le conseiller ! Enorme coup de cœur pour moi

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Les aventures de China Iron

Après Pleines de grâce, Gabriela Cabez6n Câmara subvertit à nouveau les codes de la littérature de genre, en s'attaquant non seulement au western mais à un monument de la littérature argentine: El gaucho Martin Fierro de José Hernandez (1872). Ici auteur comme personnage apparaissent d'abord sous leur jour le plus brutal, tandis que China -l'objet d'un seul vers dans l'œuvre originale- devient le point focal, celle qui se libère tant de ses chaînes que de l'invisibilité. Cette autrice à découvrir d'urgence rend alliés les oubliés de la littérature et les victimes des sociétés patriarcales et capitalistes et célèbre les marges comme terres d'autres possibles, débarrassées de toute forme d'autorité néfaste.
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Les aventures de China Iron

Gabriela Cabezon Camara revisite le mythe fondateur argentin du gaucho en effectuant une relecture entièrement féminine – et féministe – de Martin Fierro (1872), poème épique de José Hernandez (1834-1886). Les aventures réjouissantes de ces deux femmes à travers la pampa, aux côtés d’un autre gaucho rencontré en chemin, font écho, de façon drôle et fine, à celles de ce héros littéraire qui, recruté par l’armée pour combattre les Indiens, déserte pour rejoindre finalement une de leurs communautés.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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Beya

Un premier ouvrage de Gabriela Cabezón Cámara. Elle a publié une bande dessinée « Beya, le viste la cara a Dios » (Beya, t’as vu le visage de Dieu), illustrée par Iñaki Echeverría (2013). Histoire d’environ 150 pages, qui raconte à la seconde personne, l’histoire d’une fille piégée dans un réseau de traite. Beya en fait c’est une dame noble. Des journées de 15 heures à être battue, violée, droguée. Elle se fantasme une grossesse avec un cordon ombilical fait de barbelés. Elle s’observe en parvenant à sortir de son corps. Et ainsi à voir le visage de Dieu et parvenir à se racheter. Entre temps, une mention implicite à « La Belle au Bois Dormant ». Elle finira par aller dans un autre pays avec un faux passeport pour recommencer une autre vie.
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Romance de la Negra Rubia

« Romance de la Négresse Blonde » est le dernier épisode de la trilogie écrite par Gabriela Cabezón Cámara, après « Pleines de grâce » (2020, Editions de l’Ogre, 208 p.) et « Les Aventures de China Iron » (2021, Editions de l’Ogre, 256 p.), tous traduits par Guillaume Contré.

C’est une nouvelle d’environ 70 pages divisée en trois parties et deux annexes (Epilogue et Coda)

Tout commence par la violence, comme c’est souvent le cas pour les populations pauvres argentines. Menaces policières, expulsion sous l’œil des caméras de télévision, parce qu’il faut médiatiser la chose pour la justifier. Depuis « le jour de l'épidémie » ou « le sacrifice fondateur », comme ils l’ont dénommé, les expulsés combattent comme dans un camp retranché pour garder le mode de vie qu'ils y menaient. Sans référence géographique précise, mais la scène pourrait se dérouler dans n’importe quelle ville argentine. « Pour ordonner l'expulsion, une dizaine de policiers avec quelques types de costumes et de papiers judiciaires en main, le genre qui sont destinés, et sont parfois, plus éloquents que les armes car on sait que de ceux qu'ils ont tant, derrière les mots, qui n'en finissent pas, et puis quand ils te disent. « Fais tes affaires et sors. De cette façon, rien ne leur arrivera et nous leur donnerons d'autres maisons. Mais s'ils ne sortent pas, on les sort et ils vont vivre dans un fossé », on a compris que le « nous » n'était pas tant à cause d'eux qu'à cause de la centaine de cheveux gris qui se sont formés derrière eux dans un demi-cercle dans lequel les voisins se reflétaient avec le dos des juges sur les surfaces déformées des boucliers acryliques ». La bataille commence et les décombres, bouteilles, chaises et assiettes font face à des balles de plomb et de caoutchouc. Au milieu de ce tumulte, Gabi, une poète, Gabi. « À l'intérieur, il y avait du kérosène, ils avaient coupé le gaz quelques jours avant l'expulsion, et j'ai attrapé le bidon, me suis aspergé de liquide et pris le zippo comme s'il s'agissait d'une puissante arme ». Et Gabi s'enflamme. Elle est très sévèrement brûlée.

« Quand j'étais dans un coma pharmacologique depuis quelques minutes, avec un diagnostic de mort subite, et des heures d'agonie clinique, les miens ont eu l'indice ou le signal, et je dis les miens parce qu'ils m'ont fait le signal avec des indices précis en quelques secondes, ce qui a été copié de la télévision jusqu'aux portes de la Commune. Ils ont traversé le feu, bonze, torche humaine, ils ont titré chaud, gonflé de plaisir, presque roussis eux aussi, mais ils pouvaient à peine filmer l'ambulance qui partait au milieu du chaos et décrire l'odeur de barbecue rare qui restait : « comme n'importe quel barbecue, mais en plus doux », a expliqué l'un ».

Elle devient, après des mois de coma pharmacologique à l'hôpital del Quemado et des mois et des mois de douleur, l'héroïne de la Commune, la défenseuse des plus démunis. « Pour construire le pouvoir, il faut avoir du capital : ce ne peut être que de l'ambition, il suffit de démarrer, mais j'avais beaucoup plus. J'avais les cicatrices, j'avais la fureur folle qui m'avait amené au feu et le ressentiment du sacrifice ». Gabi devient alors la bonze noire. Elle est alors auréolée « d'un petit auréole de sainte que j'ai gagné quelques semaines après être entré à l'hôpital où j'ai passé une année entière ».

A partir de là, sa « résurrection » lui apportera des avantages infinis pour toute sa communauté : terres, propriétés, rêver d'un toit ... mais rien n'est gratuit : la télévision, les médias, la politique l'utiliseront comme une bannière. Martyr de la justice. C'est ainsi qu’elle rencontrera Elena, son amour. Avant sa mort, Elena lui promet qu'elle lui donnera son visage et c'est ainsi que Gabi reçoit la greffe après la mort de cette Allemande blanche à la peau de porcelaine. On a donc une trilogie entre « l’éclosion », « la bonze » et « la greffe ». Cette opération chirurgicale transforme la poète Noire en un hybride « La Négresse Blonde » après avoir été une bonze. Le masque ou le miroir, nouvelle forme de la monstruosité. « Le nouveau visage allumé, une année gonflée de larmes et de chirurgie, un an sans sourires et sans grimaces : mon masque était comme mort. Un an à me regarder dans le miroir émerveillé d'être et de ne pas être elle, perplexe devant la certitude d'être moi ».

On retrouve donc des affinités avec « La Virgin Cabeza » traduit en « Pleine de Grâce », le premier volume de la trilogie. En principe, tout tourne autour de l’identité et de l’altérité, le tout dans un contexte de montruosité. Assez bizarrement on retrouve trace de « La Belle au Bois Dormant » que l’on a déjà rencontrée dans « Pleines de Grâce ». « Moi qui étais l'Ombre Noire, maintenant je suis la Blonde Noire »

« Que le roi doive mourir pour que le roi reste en vie et tant de choses doivent être enterrées mortes car sans humus il n'y a pas d'amour pour la terre ou le propriétaire, pas de germes de soja, pas de monnaie du Trésor, pas de blé ou de cucumelos, pas de côtes ou de steaks, pas d'ombres solitaires qui font de nous nos oasis telluriques dans la pampa ».



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Les aventures de China Iron

« Les Aventures de China Iron » de Gabriela Cabezón Cámara, traduit par Guillaume Contré (2021, Editions de l’Ogre, 256 p.) forme le second tome de la trilogie, qui débute avec « Pleines de grâce » (2020, Editions de l’Ogre, 208 p.) et ensuite « Romance de la Négresse Blonde ». C'est une relecture de « Martin Fierro », le grand classique de la littérature gaucho argentine.

Ce poème épique de José Hernândez (1872-1880) est considéré comme la source de la littérature argentine, un peu comme la « Divine comédie » ou « Don Quichotte ». il a été traduit par Juan Carlos Rossi « Le Gaucho Martin Fierro » (2008, Regis Brauchi Editeur, 80 p.). Il faut lire ce qu’en écrit Jorge Luis Borges dans le Prologue d’« Artifices » où il reconnait que c’est «un livre fameux dont j’ai été le premier à approfondir, ou du moins à éclairer le contenu.». Un court texte intitulé « Martin Fierro » figure au début de « El Hacedor » (L’Auteur) suivi d’un essai « El Martin Fierro » dans lequel Borges écrit « La conception selon laquelle chaque pays doit avoir un livre est fort ancienne et elle fut au départ de caractère religieux. […]. Carlyle a écrit que l’Italie se résumait à « La Divine Comédie » et l’Espagne au « Quichotte » ; […]. Nous, les Argentins, possédions déjà ce livre canonique et que prévisiblement c’était « Martin Fierro » ». Et ce Martin Fierro « rédigea avec des métaphores de métaux la vaste chronique des couchants tumultueux et des formes de la lune. Ces choses maintenant sont comme si elles n’étaient jamais arrivées ». Et pour terminer ce court texte. « ce qui arriva une fois se reproduit indéfiniment ; les années visibles sont parties et il reste un misérable duel au couteau ; le rêve d’un homme fait partie de la mémoire de tous ». par ailleurs, on retrouve Martin Fierro dans « Gravity’s Rainbow » de Thomas Pynchon.

« Martin Fierro » est un gaucho pauvre mais libre, qui parcourt la pampa. Le poème est divisé, et est parau, en deux parties, « Ida » (1872) et « Vuelta » (1879), c’est-à-dire « L’Aller » et « Le Retour ». Il est illégalement engagé pour défendre une frontière contre les « Indiens » en Argentine, en fait les extermine. C'est la période où le concept de « civilisation » mis en place par le discours ethnocentriste du Facundo (1845) de Domingo Sarmiento légitimait ouvertement l'appropriation des terres appartenant aux Indiens. Mais, devant la tâche, Martin Fierro finalement déserte. Une fois qu’il rentre chez lui, c’est pour s'apercevoir que tout ce à quoi il tenait lui a été arraché : femme, enfants, patrimoine. Il devient alors un brigand généreux. A la fin de cette première partie, il perd la trace de ses deux fils. Le poème de Hernândez montre donc dans sa première partie la frontière entre la civilisation et la barbarie, frontière où vont se perdre les deux gauchos. Puis, Cruz, le compagnon de misère de Fierro, meurt de la peste. Martin Fierro prend la fuite en emportant avec lui une « captive » qu'il a réussi à arracher à un « barbare inhumain ». Le portrait stéréotypé de la captive ensanglantée et maltraitée par l'Indien illustre la cruauté et la bestialité attribuées aux Indiens. Elle joue le rôle de la figure protectrice, comme une tante, « la tia ». A sa mort, le juge chargé de veiller sur le second fils de Martin Fierro le dépouille de son héritage et le condamne à la misère. Le rôle du juge est toujours présenté négativement dans le poème; c'est également un juge qui est à l'origine de l'extrême pauvreté de Fierro.

La seconde partie du poème « Le Retour » est consacrée à la récupération de la mémoire via les enfants, dévoilant le côté négatif du personnage qui erre dès lors « comme le tigre / auquel on prend ses enfants ». Survient un épisode où il est forcé de se battre contre « Le Noir ». C’est la partie la plus poignante du récit, et une bagarre fondée sur un malentendu. Le Noir, en effet, n’est qu’un prétexte à une bagarre dont il sera forcément le vainqueur. La mort de ce dernier est le nécessaire préalable à l'émergence du gaucho comme reflet de l'argentinité dans le texte de Hernândez. En contrepartie, l'extinction du Noir est nécessaire à l'épanouissement du « désespoir » du gaucho déraciné. On peut rappeler que le terme de gaucho dérive du mot quechua « huacho » qui veut dire orphelin, abandonné. Dans un premier temps, Borges conçoit Martin Fierro comme un personnage de tango, hésitant et geignard avant la lettre. « Ce type de gaucho plaintif composé par Hernândez tout en devançant Carlos Gardel est une calamité ». Il va donc très vite en modifier le caractère pour en faire le héros du peuple argentin.

Dans « Les Aventures de China Iron », la femme de Martin Fierro et Liz, ainsi qu’un chien Estreya (Etoile), partent à la conquête d'une nouvelle manière de vivre ensemble, en dehors des mythes fondateurs de nos sociétés. Les personnages tout d’abord. China Iron, la femme abandonnée de Martin Fierro. Avec ceci de semblable ou différent, que China, qui n’a rien à voir avec la Chine, mais se réfère au quichua pour désigner la femme. Et Iron, le terme anglais pour le fer, ou Fierro en espagnol. Elle est très jeune, une quinzaine d’années. Quant à Liz, c’est une jeune femme écossaise, fille d’un artiste-fermier. Elle parcourt la pampa à la recherche d’un mari, bien qu’elle en ait eu un, Oscar. Très vite un voyage en train fait se rencontrer les deux femmes. « Elle m'a regardé avec méfiance, m'a passé une tasse de liquide chaud et a dit « thé » en anglais, supposant, à juste titre, que je ne connaissais pas le mot. 'Thé' m'a-t-elle dit, et ce mot - qui en espagnol, 'ti', sonne comme un cadeau 'à toi', 'pour toi' - est apparemment une coutume quotidienne en Angleterre, et c'est ainsi que j'ai appris mon premier mot dans cette langue qui était ma langue maternelle. Et le thé est ce que je bois maintenant, alors que le monde semble assailli par l'obscurité et la violence, par un bruit furieux qui n'est en fait qu'un des orages fréquents qui secouent cette rivière ». Liz va initier China aux libéralités amoureuses de l’empire britannique, et lui ouvre les yeux sur les beautés de la flore et faune, et de la culture argentine.

C'est un roman sur la libération d'une femme, une histoire d'amour et d'aventures, un western queer et féministe. C'est aussi un appel à fonder un monde libre où les créatures s'embrasseraient avec désir et jouiraient du même amour pour les rivières, les oiseaux et les arbres. Et elles ne se sentiraient plus jamais seules. « L'odeur des feuilles de thé presque noires arrachées des montagnes vertes de l'Inde qui voyageraient en Grande-Bretagne sans perdre leur humidité, et sans perdre le parfum vif né des larmes versées par Bouddha pour la souffrance du monde, la souffrance qui voyage aussi dans le thé: nous buvons des montagnes vertes et de la pluie, et nous buvons aussi ce que boit la reine. Nous buvons la reine, nous buvons du travail, et nous buvons le dos cassé de l'homme plié en deux en coupant les feuilles, et le dos cassé de l'homme qui porte Grâce à la vapeur, nous ne buvons plus le coup de fouet sur le dos des rameurs. Mais nous buvons des mineurs de charbon étouffants. Et c'est la manière du monde: tout ce qui est vivant vit de la mort de quelqu'un ou de quelque chose d'autre. Parce que rien ne vient de rien ».

Tout comme le Martin Fierro original, le roman est en deux parties « Les Pampas » et « Le Fort » auxquelles il faut ajouter une troisième partie « Le Territoire Indien ». La première est une ode à la culture, la faune et la flore de la pampa. « Parce que l'immobilité est l'état naturel de la pampa ; l'activité se déroule principalement sous terre, dans cet humus qui est à la fois substance et continent, qui est plus une matrice qu'autre chose. L'Argentine est une terre d'aventure botanique ; la chose la plus importante qui se passe là-bas arrive à la graine, cela arrive invisible et inouï, cela arrive dans cette boue primordiale d'où nous venons et vers laquelle nous allons sûrement: la graine dans l'obscurité est gonflée d'humidité […] A ce moment-là une vache apparaît et engloutit ce petit brin d'herbe qui est né dans la terre et la vache se reproduit, et se multiplie lentement et sûrement en générations d'animaux qui finiront, presque tous , en train d'être abattu. Leur sang tombera sur la terre où reposent les graines, et leurs os feront un délicieux squelette pour les caranchos et les vers, et leur chair sera réfrigérée et expédiée en Grande-Bretagne, une autre veine, sanglante et congelée, dans ce réseau de veines qui court du monde entier jusqu'au cœur vorace de l'Empire ».

Elle se termine par une rencontre orageuse avec le Colonel Hernàndez, celui qui a enrôlé de force Martin Fierro. Il possède une vaste estancia sur la frontière avec les indiens. Après une beuverie avec les gauchos, les deux femmes trouvent refuge dans une paisible communauté indienne où les traditions européennes ont évoluées depuis longtemps, dénotant une évolution féministe, tendance LGBTQ. « Le jour se levait, la lumière filtrait à travers les nuages, une pluie douce est tombée, et quand les bœufs se sont détachés, il y avait un moment qui était pâle et doré, et de minuscules gouttelettes de pluie scintillaient dans la brise, et la prairie était plus verte que jamais. Puis il a commencé à couler et tout a brillé, même le gris foncé des nuages; c'était le début d'une autre vie. C'était un présage radieux ».



Il faut considérer « Les Aventures de China Iron » comme un essai d’introduire un mode de vie ou sorte de « matérialisme posthumain » selon Gabriela Cabezón Cámara. Le roman est présenté comme une description horizontale, non hiérarchisée de la place de « l'humanité » sur la planète dans laquelle la pampa ou le « désert » argentin rassemble tout ce qui est animal, végétal et minéral dans un mélange ingouvernable et fertile.

En réécrivant « Martin Fierro », l’auteur veurt en faire un nouveau fondateur de l'identité de la nation argentine, la fable d'une « patrie » queer qui engloberait diverses créatures de plusieurs espèces et royaumes

En cela le roman rejoint les thèses de Donna J. Haraway de l’University of California at Santa Cruz (UCSC) qui y a développé le cyberféminisme et le concept de connaissance située. Dans le premier cas, illustré par le « Manifeste Cyborg » (2007, Editions Exilis, 333 p.) repris de son essai de 1991 « A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century », elle développe des concepts en réaction au « pessimisme de l’approche féministe des années 1980 qui insistait sur le caractère intrinsèquement masculin de la techno-science ». ces concepts sont à l’origine des études de genrres et de leur « fabrication » avec des outils issus des nouvelles technologies qui seraient des « toys for boys » (des jouets pour garçons) en opposition aux modèles de poupées-cuisines pour filles. Plus tard, elle affinera ces concepts avec la connaissance située (ou le savoir situé). C’est le thème de « Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature », traduit par Oristelle Bonis (2009, Actes Sud, 485 p.). Et son dernier livre « Vivre avec le trouble » (2020, Les Editions des Mondes à Faire, 400 p.) traduit par Vivian Garcia de « Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene ». Cette dernière notion étant avec l’anthropocène et le capitalocène des désignations pseudo-scientifiques des ères géologiques. Le grand récit de la catastrophe, se transforme en une multitude de petites histoires impliquent les asymétries de pouvoir, les modes de destruction et de colonisation du monde, mais aussi toutes les relations de collaboration et de conflictualité qui s'établissent ou se poursuivent malgré tout entre les êtres humains, les animaux, les micro-organismes, les végétaux...

Le roman de Gabriela Cabezón Cámara propose via un exercice d'écriture qui reprend les histoires racontées par les habitants de la « Terrapolis » imaginée par D.J. Haraway. Il ne part pas de nulle part mais ne se situe ni plus ni moins dans le sillage du récit qui a forgé les valeurs de l'identité nationale argentine. Dans cette optique le poème gaucho de José Hernández serait d'éclairer le monde meurtri et abîmé lors de la description du gaucho héroïque et sacrifié, voyou et attachant. La réécriture commence dans le « désert », où apparaissent les « cavaliers, nomades, indiens, gauchos solitaires, soldats, déserteurs, muletiers, caravanes de charrettes, voyageurs créoles et européens, pulperos, éleveurs et péons », mais aussi « des chiens, des vaches, de la poussière, des caranchos, ossements », et à l'intérieur des terres, « rivières, prairies, ombres, oiseaux bleus ». Car le désert n'est pas vide, il est, comme nous verrons, un vaste « melting-pot » qui rassemble toutes sortes d’entités. Dans ce désert Iron China est la fille indicible, pure indétermination des lieux communs de la féminité (mère et Vierge, femme et fille), c'est aussi une pure instabilité sexuelle qui passe de « china à lady et de lady à young gentleman » et de là à « taraira » ou « tia » principe pur vital qui fait aussi grandir tout ce qui l'entoure les humains qui l'accompagnent sont indéterminés,

Par ailleurs, Liz, l'Anglaise qui l'accueille dans sa charrette et s'occupe de son éducation sentimentale et sexuelle, déstabilise l'immobilité de la figure de la « gringa » craintive et réservée qui a peur de devenir captive si elle franchit les frontières du monde barbare. Elle devient femme autonome et pragmatique qui prend des décisions pour l'ensemble hétérogène (bœufs, gaucho, chien, chevaux, vaches) qu'elle rassemble autour d’elle. On trouve alors Rosario, le gaucho métis indien qui les rejoint avec ses mille vaches marrons et son agneau orphelin, Braulio le tendre gaucho qui nourrit les animaux de la pampa (un lièvre, un cochon d’inde, un poulain) et qui s'excuse auprès des vaches lorsqu’il abat un veau.





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Pleines de grâce

Ce que vous lirez will blow up your mind.

Un récit mêlant danse et exil, entre les voix de Qüity et Cléo et la Vierge des Gueux. Une épopée qui mélange cultures et conflits d'intérêts dans une ode à la vie. Incontournable de modernité.
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Pleines de grâce

Pleines de Grâce parle de bidonville, de morts, de putes et de sainteté. Un étrange mélange qui raconte le divin de façon crue. Pire que ça, c'est une forme de vérité à l'état pur, c'est-à-dire pas nettoyée, c'est-à-dire sale, très sale. Quand la beauté passe par le morbide, il ne reste qu'un seul mot : bizarre...
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Pleines de grâce

La quatrième de couverture me vendait une histoire banale d'une journaliste un peu paumée qui cherche son grand scoop. Mais dès les premières pages on s'embarque dans une aventure remplie de drogues, de sexe, de misère et de foi. Parfois l'écriture est tellement franche et sèche qu'on a du mal à suivre mais c'est ce qui rend toute l'expérience unique. J'ai adoré Qüity et Cleopatra, deux femmes "pleines de grâce" et pleines de vie avec leur amour pas vraiment courant et pourtant si puissant, j'ai vibré dans la villa et ses milliers de carpes. C'était un bon roman pour commencer une année qui promet d'être riche en combats sociaux.
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Pleines de grâce

C'est l'histoire, racontée à posteriori, de Qüity et Cleo. Qüity, la narratrice principale, revient sur son arrivée et sa vie dans le bidonville d'El Paso, aux alentours de Buenos Aires. Elle est interrompue par Cleo, sa compagne, ancienne prostituée transgenre miraculée et prêcheuse de la vierge, qui vient corriger et ajouter son point de vue au récit de Qüity.

Si le sujet de ce roman et ses personnages m'ont beaucoup touchés, je suis peu habituée à ce style d'écriture et j'ai eu un peu de mal à m'y retrouver.

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Les aventures de China Iron

Après la lecture de Pleines de Grâces, j’avais hâte de découvrir le second roman de Gabriela Cabezón Cámara paru en 2017 en version espagnole puis en 2021 aux Éditions de l’Ogre. Finaliste en 2020 de l’International Booker Prize, Les aventures de China Iron est une ode à la liberté.



Le roman s’ouvre sur l’élan de liberté de China Iron. Mariée, mère de deux enfants, cette orpheline décide de quitter la pampa argentine avec Estreya, le chiot qu’elle vient d’adopter. À bord de la charrette d’Elizabeth, une britannique qui souhaite traverser le pays pour retrouver son mari, les deux femmes vont alors entamer un périple aux allures de western queer et nous faire voyager au cœur de l’Argentine du XIXème siècle.



La liberté est au cœur du roman et de son écriture. L’autrice revisite ici le poème de José Hernandez, Martin Fierro de 1872. Avec un point de vue féminin et féministe, Gabriela Cabezón Cámara nous offre un voyage initiatique au cœur de la pampa avec une vision très actuelle et moderne.

De nombreux thèmes sont abordés dans ce roman : le féminisme, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’esclavage, les écarts de richesse… Des thèmes abordés avec la plume incisive et engagée de l’autrice. Le roman est court, concis et nous offre un tableau rempli de grands espaces, d’évasion et d’émancipation. Portés par la voix de China Iron, nous découvrons des personnages diamétralement opposés, des histoires de vie bouleversantes, des peuples oubliés, des amours passionnés. Un roman surprenant, poétique et révolutionnaire.
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Les aventures de China Iron

Gabriela Cabezón Cámara revisite un mythique poème épique argentin, « El Gaucho Martin Fierro », pour s’intéresser à la femme de celui-ci et en faire un personnage de premier plan. Mariée de force à 14 ans à Martin Fierro, elle ressent une véritable libération quand celui-ci est capturé. Elle décide alors de partir, laissant ses deux enfants à des paysans. Elle se retrouve ainsi dans une charrette aux côtés de Liz, une Anglaise qui traverse la pampa pour aller s’occuper d’une ferme et qui lui donne le nom de China Josefina Iron. Toutes deux apprennent à se connaître, se séduisent et tombent amoureuses.

Roman d'aventures et des grands espaces, ce récit raconte comment ces deux femmes s'apprennent mutuellement leur culture et leur langue et s’éveillent à l’amour, tout en parlant de poésie et de chants. Avec un jeune marginal au passé tragique rencontré en chemin et un chien adopté, elles forment une communauté qui défie la violence des hommes, l’arrogance des militaires et des propriétaires terriens. Le roman décrit avec subtilité la réalité sociale et la beauté de la nature environnante, mais se teinte aussi de fantastique quand il offre des images de fleuves en crue, de festins orgiaques ou de personnages qui passent du masculin au féminin dans d'étonnantes métamorphoses. En choisissant de raconter cette histoire du point de vue d’une femme, l’autrice fait de ce roman un texte résolument féministe, qui exalte le corps, le désir et la possibilité d’une vie heureuse en harmonie avec les éléments.
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Tu as vu le visage de Dieu - Romance de la ..

Si t’as jamais lu Gabriela Cabezón Cámara je crois qu’il faut commencer par celui-ci ; ce sont deux romans très courts réunis en un recueil de 150 pages et qui pourraient servir de « préquel » à Pleines de grâce (dispo chez @editions1018).



L’autrice est à la littérature argentine ce que Kae Tempest est au slam ; elle pulvérise les codes de la littérature, faisant s’enchainer les phrases sur une musicalité teintée de mythologie religieuse occidentale, de mythologie grecque, de culture argentine aux couleurs criardes et fauves, elle mitraille à tout va, défonçant les protagonistes - lecteur.ices compris.es - sans gilet par balles. En toute subjectivité, j’adore cette meuf, j’adore sa plume et je t’invite sérieusement à adorer toi-même !



Mais (hinhin), je ferai mal mon taf si je disais que je pourrais conseiller ses livres à tout le monde ; ça baise hard, ça queer, ça viole, ça violente violemment, ça se nourrit de bidonvilles et défonce verbalement les quartiers gentrifiés au nom de l’art, tout le monde en prend plein la gueule mais c’est tellement magnifié que.



Dans Tu as le visage de Dieu, on suit l’histoire d’une femme victime de traite qui se fait violer et tabasser 15h par jour, le tout sous le joug d’un maquereau Rat, jusqu’à ce que la victime mute en personnage vengeresse et sublime, un dragon de St-Michel revenu défoncer ses bourreaux, religion comprise. Et ça c’était dingo de chez dingo si tu veux tout savoir.



Dans Romance de la Noire blonde, une poétesse s’immole par accident (en se trompant de cible minou) après quelques jours de teuf à prendre des rails et picoler du whisky jusqu’à l’intrusion de flics (les cibles, si t’es perspicace) dans un appartement afin de faire cesser l’orgie. La suite décrit son ascension en tant qu’icône des défavorisé.es, oeuvre d’art, symbole de rébellion politique, une Katniss Everdeen queer et arty à la narration dense et rythmée.



Voilà débrouille toi avec ça j’ai été le plus honnête possible, je suis absolument conquis et y’a même Paul Preciado qui le dit très bien.
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Les aventures de China Iron

Écrivaine engagée dans les causes féministes et LGBT, Gabriela Cabezón Cámara signe là son second roman, après l’épopée queer Pleines de grâce. Née en 1968, elle remue un classique de la littérature ­argentine : Martín Fierro (1872), poème épique de José Hernández racontant la vie d’un gaucho de la pampa.




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Pleines de grâce

Ce roman est court mais il est intense et cru dans ses propos et les actions décrites, il nécessite de s'accorder du temps pour l'absorber et le digérer. C'est une histoire qui est difficile d'approche dans un premier temps mais qui se laisse apprivoiser au fil des pages et dévoile un monde peuplé de personnages grandioses aux parcours tragiques.



Il y a beaucoup de beauté mais également beaucoup de désespoir bien que ce soit rehaussé d'une fine touche d'optimisme suivant le point de vue duquel on se place.



Court roman donc, qui dit beaucoup de choses et le fait bien, cependant à ne pas mettre entre les mains de personnes sensibles et fragiles au moment de sa lecture puisque on y parle de viol, de pédophilie, de torture, de mise à mort, de drogues entre autres sujet qui peuvent heurter la santé mentale de certain.es lecteur.ices.







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Pleines de grâce

C'est un roman argentin qui parle d'une journaliste qui se rend dans une villa miseria (nom donné aux bidonvilles en Argentine) pour rencontrer une travestie (d'après le terme utilisé dans le texte, mais j'ai l'impression qu'il s'agit en fait d'une femme trans) qui a quitté la prostitution après être entrée en contact avec la Vierge Marie pour essayer de transformer le bidonville en communauté autonome. Bon, dit comme ça, ça vous paraît sans doute étrange. Et ça l'est sans doute un peu puisque s'il y a bien un adjectif qui peut qualifier ce bijou de littérature, c'est queer !



C'est le deuxième roman argentin que je lis cette année (et dans ma vie en fait) et je ne sais pas si c'est une caractéristique de la littérature argentine ou une simple coïncidence due aux choix éditoriaux des maisons françaises, mais il y a dans les deux œuvres (celle-ci et Les aventures du Dieu maïs de Washington Cucurto publié chez Le Nouvel Attila) une portée politique qui me plaît énormément. Cette attention portée aux personnages marginaux, la soif de liberté qui se dégage des mots, la fougue qui nous traverse à leur lecture, ce rapport constant entre sexe, mort et religion et le rythme endiablé de la cumbia qui s'immisce dans les phrases (effet rendu parfaitement par la traduction d'une belle qualité de Guillaume Contré)... Autant de traits qui m'ont séduit ici comme chez Cucurto, me rappelant au passage l'esprit de la Movida espagnole.



Un esprit qui s'insinue jusque dans la structure du texte, qui renverse la chronologie des événements pour mieux les reconstruire, qui anticipe avant de revenir en arrière, qui revient sur les mêmes éléments pour mieux avancer. Au fond, c'est sans doute Cleo qui parle le mieux de cette structure, en tentant de s'y opposer : « (...) et moi je veux être ordonnée et ne pas aller dans tous les sens en m'accrochant aux branches comme toi qui donnes l'impression de raconter un arbre plutôt qu'une histoire ».



Gabriela Cabezón Cámara nous lance à travers les voix de Qüity et Cleo toute une série d'émotions et de sensations. Il y a tout dans ce roman : la joie, la tristesse, la colère, l'injustice l'espoir, l'amour. Ça foisonne, ça bouillonne, ça transperce, ça remue et ça retourne, ça laisse perplexe, parfois, mais ça questionne, toujours.



Bref, c'est un bijou que nous offrent les éditions de l'Ogre. Un texte cru et magnifique qui ne laissera, je crois, personne indifférent·e.
Lien : https://8tiret3.blogspot.com..
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Les aventures de China Iron

Son style, qui n'hésite jamais à se faire pleinement charnel, est pétri d'une poésie qui elle aussi est émancipatrice: sur un pied d'égalité, l'anglais, l'espagnol et le guarani dansent en sarabande (on saluera l'excellente traduction de Guillaume Contré). Vous aviez goûté au charme de traverse de Faillir être flingué de Céline Minard



ou à la détermination de Michelle Williams dans La Dernière Piste (film de Kelly Reichardt)? Les Aventures de China Iron, en preuve vibrante qu'il est urgent de penser d'autres récits, vous feront chavirer pour de bon
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Les aventures de China Iron

Gabriela Cabezón Cámara revisite un classique de la littérature épique argentine avec un nouvel élan émancipateur, féministe et queer.
Lien : https://focus.levif.be/cult..
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Pleines de grâce

Une autrice argentine à découvrir. Une très belle traduction qui transcrit fidèlement la force de sa plume. Bravo !
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