Alors que le débat fait rage sur la place qu'occupent les mathématiques en France, davantage étudiées par les garçons, voici une rencontre qui interroge le malentendu qui semble les opposer à tout prix à la littérature.
Dans La Fille parfaite, Nathalie Azoulai fait le récit d'une amitié absolue unissant deux adolescentes qui, à 14 ans, cet âge où surgissent les rivalités, décident de se partager le monde. À Adèle, la science, à Rachel, la littérature. Mais on l'apprend d'emblée, Adèle, à qui tout semble réussir (elle est devenue une mathématicienne de haut vol), se suicide à 46 ans et c'est Rachel, devenue romancière à succès, qui plonge dans leur passé pour percer le mystère de cette mort.
Pour tenter de réconcilier les deux disciplines, Gaël Octavia, ingénieure, travaillant à la Fondation Sciences mathématiques de Paris, mais aussi dramaturge et romancière (son dernier roman est aussi une histoire d'amitié complexe), dialogue avec Nathalie Azoulai. Ensemble, elles nous disent que les mathématiques riment avec intuition et qu'elles permettent aussi d'entrevoir le monde sous des aspects invisibles, à l'instar de la littérature, cette parfaite équation pleine d'inconnues.
__
Une rencontre avec Nathalie Azoulai (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/nathalie-azoulai/) et Gaël Octavia (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/gael-octavia/) animée par Yann Nicol (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/yann-nicol/) enregistrée en public en mai 2022 au théâtre de la Criée, à Marseille, lors de la 6e édition du festival Oh les beaux jours !.
__
À lire
Nathalie Azoulai, La Fille parfaite, P.O.L, 2022.
Gaël Octavia, La Bonne Histoire de Madeleine Démétrius, Gallimard, 2020.
__
Montage : Clément Lemariey
Voix : Nicolas Lafitte
Musique : The Unreal Story of Lou Reed by Fred Nevché & French 79
Photo : Nicolas Serve
Un podcast produit par Des livres comme des idées (http://deslivrescommedesidees.com/).
__
La 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (https://ohlesbeauxjours.fr/) aura lieu à Marseille du 24 au 29 mai 2023.
+ Lire la suite
Quand on fait un enfant pour emmerder quelqu'un, cet enfant vous emmerde toute votre vie.
Les thérapies sont passées par là. Je n'ignore rien de cette honte indissociable de ma condition de fille sans père, de notre quartier de pauvres, de Betty, ma malheureuse mère inculte et bagarreuse. Je sais aussi à quel point le tout s'amplifiait quand je me comparais non seulement à Madeleine mais à mes autres amies. (...)Ce que je découvre cette semaine, moi qui prétends assumer les échecs de ma vie de femme, c'est que j'ai honte de ma honte, de cette honte ancienne. (p. 94)
Sans doute aurait-elle fait une remarquable écrivaine si seulement elle avait été portée sur la chose littéraire. Pendant une dizaine d'années, Nina s'est gorgée de cette Martinique d'antan, de cette enfance de cailloux et de bâtons, sans téléviseur ni téléphone fixe, cette enfance à la Patrick Chamoiseau que lui servait Betty et que je relayais à domicile pour qu'elle ne cesse de l'habiter, elle, la petite parisienne qui s'y projetait avec tant de délice. Mais à partir de l'adolescence , Nina jugea plus sûr d'aller chercher la Martinique dans les livres. Les romans de Chamoiseau, bien sûr. Ceux de Raphaël Confiant ou des grandes romancières guadeloupéennes, Maryse Condé, Simone Schwartz-Bart, Gisèle Pineau. Ils lui sont devenus des vecteurs à la fois plus riches et plus fiables de cette Caraïbe lointaine qui, pourtant, lui appartenait. (p. 160)
Autrefois, penser au docteur Démétrius m'apaisait toujours, car c'était un homme sans colère, sans excès, et qu'en le voyant agir on ne demandait qu'à l'imiter. Le médecin dévoué à ses patients se changeait en apiculteur pour s'évader du quotidien. Ce miel cultivé le week-end était une jolie métaphore de ce qu'il était. (p. 66)
Je l'avais croisée autrefois, en effet. Une sèche bourgeoise (...), dans un chignon perché très haut sur son crâne, qui semblait marquer sa domination sur ses interlocuteurs. (p. 32)
Nous; cinq jeunes martiniquaises ordinaires, insouciantes. Nous avions à peu près l'âge de ma fille aînée aujourd'hui, mais n'étions frappées par aucun des tourments qui semblent la tirailler. Nous aimions dire que nous formions une bande, un gang, un tout indivisible.
L'étions-nous vraiment, indivisibles . Le temps n'avait-il pas fini par nous diviser ? (...)
Je vois bien, sur les réseaux sociaux, que, sans avoir cessé de se fréquenter, elles ont été happées par des cercles différents. Des cercles déterminés par leur statut professionnel, marital (...)
Je n'ai été que le premier caillou à se détacher du rocher qui n'est cependant pas plus solide sans moi, qui s'effritera, inexorablement, jusqu'à être réduit à rien. (p. 16)
que Madeleine pût accorder tant d'importance à la couleur de la peau ne m'avait pas effleuré l'esprit jusqu'ici. Qu'en était-il du reste du tout indivisible ? c'était un sujet dont nous n'avions jamais parlé- dont personne ne parlait, d'ailleurs. Avais-je été sans le savoir la petite Négresse du groupe ? (...)
Je repense à mon bannissement. Et s'il ne fallait pas y chercher d'autre explication ? Avait-on exclu la Négresse, tout simplement.
-Bannir la Négresse. J'efface aussi cette phrase écrite avec amertume. (p. 123)
Mes filles se disent au revoir. Je les scrute en catimini, ma boudeuse et ma rêveuse. Elles sont face à face. Elles se sourient avec adoration.
La sororité n'a que faire des couleurs, me dis-je en repensant au tout indivisible. [***Les filles de la narratrice sont demi-soeurs, et n'ont pas la même couleur ]
Moi qui avais appréhendé ces retrouvailles avec la ville qui m'avait vue grandir, j'ai goûté l'expérience d'y être une étrangère. Il m'a semblé que c'était la meilleure manière d'être de retour.
Le pire de tous les crimes, c'était l'exogamie, hier comme aujourd'hui.