AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Geoffroy de Lagasnerie (34)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


3 : Une aspiration au dehors

Opération mass critique non-fiction,



Je me souviens avoir entendu, dans une matinale à la radio, l'incrédulité de l'intervieweuse face aux propos “chocs” de Geoffroy de Lagasnerie sur les rythmes de vie très matinaux imposés à tous, y compris aux personnes sans enfants pour le confort des parents, ou encore sur l'impossibilité de voir ses amis pendant un confinement. La façon d'interviewer l'auteur semblait tout faire pour exagérer la radicalité et l'incongruité de son propos parfois jusqu'au folklore… face au sérieux et au premier degré du jeune écrivain.



Pourtant, force est de constater que la famille est promue et encouragée juridiquement, et d'autres choix ou modes de vie sont sévèrement taxés par l'Etat, non subventionnés par les comité d'entreprises, ignorés par les lois et parfois même, comme lors des confinements, empêchés, réprimés et mis à l'amende.



Le sociologue et écrivain français Geoffroy de Lagasnerie décide d'analyser dans cet ouvrage la puissance politique de l'amitié, le renouveau du lien social qu'elle peut induire par l'émancipation individuelle et créatrice qu'elle permet, à travers son expérience de d'amitié avec l'écrivain Edouard Louis et le sociologue Didier Eribon, par ailleurs son compagnon.



Convoquant Spinoza, Aristote, Durkheim, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Andy Warhol ou encore Edouard Manet, mais aussi bien sûr sa propre expérience l'auteur livre un essai a priori iconoclaste mais qui en réalité s'inscrit dans une tradition assez discrète de réflexion sur l'amitié à la fois comme lien intrinsèque mais également comme contre-pouvoir.



“la socialisation familiale favorise le développement de dispositions mentales autoritaires (voire fascistes)”. La famille forme l'enfant dans “l'idéologie réactionnaire” écrit Reich dans La Révolution Sexuelle, cité par GdL. Elle inculque un rapport et une structure de domination, avec obéissance, rapport à la force, la servilité, qui rend inapte à “la vie démocratique”.



C'est vrai, le “bon citoyen”, celui qui veut participer au processus de décision et d'action public, si vanté par les manuels d'Education civique, est souvent vu en pratique comme l'ennemi du pouvoir en place (il pose des questions, il refuse qu'on lui impose certains textes, il dénonce certains intérêts, il prend part à des mouvements sociaux, il exerce sa liberté d'expression… bref on culpabilise les gens de ne pas s'intéresser à la politique mais dès qu'ils le font, pour de vrai, ils sont Fichés S pour anarcho-éco-terrorismo-khmers verts…).



“l'amitié fonctionne comme une puissance de décalage par rapport à l'univers domestique”. Convoquant l'analyse de l'achat d'une maison par Pierre Bourdieu pour se replier sur la domesticité, GdL y voit les prémices d'une société repliée sur elle-même, quand l'amitié exige de sortir de soi mais aussi de l'institution familiale qui “enferme” et conduit les personnes, et pendant des décennies notamment les femmes à être, comme l'écrivait Annie Ernaux, “gelées”. A l'inverse, “l'ami est, presque par définition, celui avec qui on sort” écrit GdL.



Pour Georg Simmel, sociologue notamment de l'argent, il existe deux formes d'interactivité entre les hommes : les relations fondées sur l'intérêt (commerce, l'échange) et puis la sociabilité, pour GdL cette seconde relation est importante, car l'amitié participe d'un projet politique, ainsi sociabiliser c'est échapper “aux intérêts pratiques”. D'ailleurs, les intérêts pratiques (argent, retour d'ascenseur patrimoniaux ou professionnels) menacent cette interactivité voulue sans but, comme une fin en soi, et souvent les amis les tiennent à l'écart (ce qui ne veut pas dire que l'enchevêtrement des deux est forcément incompatible, on peut être ami avec sa boulangère).



“Le projet d'élaborer une civilisation libertaire ne doit donc pas seulement cibler l'organisation capitaliste de l'économie.” L'amitié est, pour l'auteur, un projet politique anarchiste, l'avènement d'une société “des égaux” pour reprendre le mot du politologue Pierre Rosanvallon. En tout cas c'est ainsi que GdL veut participer à la réflexion politique et libérer les individus d'institutions de reproduction des liens de domination, notamment celles qu'il connait bien les institutions universitaires qui, selon lui, freinent l'ambition créatrice derrière une modestie de cour. Et de fait, en dehors des liens d'amitié, la domination de l'homme par l'homme est partout, ainsi l'amitié pourrait être définie par l'absence de hiérarchie, comme le soulignait la philosophe Simone Weil “quand quelqu'un désire se subordonner un être humain ou accepte de se subordonner à lui, il n'y a pas trace d'amitié.”



Je ne nierai pas qu'une photo des trois amis militants universitaires parisiens d'extrême-gauche en polos Nike et Lacoste à la fin du livre est un peu maladroit, mais passons là-dessus, il ne faut pas de toute façon tomber dans l'hagiographie de figures toujours plus complexes et contradictoires que leurs engagements de plume.



Cet ouvrage est décidément stimulant intellectuellement, court et écrit avec des mots simples, accessibles mais peut être sa brièveté peut contribuer à l'impression d'un propos un peu péremptoire et des affirmations pas forcément toujours très démontrées ou alors par une anecdote de la vie personnelle difficilement généralisable à première vue.



"La relation amicale n'existe réellement qu'à condition que l'ami se pense comme être disponible à l'autre. C'est une relation structurée par la possibilité permanente de l'interruption si l'autre en a besoin."



Ces observations, très souvent justes appellent néanmoins résolument à poursuivre une réflexion primordiale, à partir du réel mais aussi à entretenir ses amitiés qui n'ont rien de secondaire notamment par rapport à la famille, à la citoyenneté ou au travail, c'est une question, et l'auteur le dit opportunément, d'épanouissement et de santé mentale aussi.



Qu'en pensez-vous ?

Commenter  J’apprécie          707
Juger

Un essai sociologique passionnant par les questions de nature fondamentale qu’il pose sur les jugements prononcés dans les tribunaux. Certes, on reste sur sa faim car les questions restent sans réponse. Mais cela ne diminue pas l’intérêt. Je vous recommande donc la lecture de ce livre, que je vais vous inviter à prolonger par la lecture de deux autres textes, à propos du livre.



Geoffroy de Lagasnerie est né en 1981. Il est professeur de philosophie et de sociologie à l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise. Il dirige la collection « à venir » aux éditions Fayard, collection dans laquelle il publié quelques ouvrages, dont celui-ci.



L’essai est structuré en quatre parties principales (et une annexe dont je ne parlerai pas). Dans la première, l’auteur met en avant la violence qui est inhérente à un jugement: « L’enjeu n'est pas de savoir ce que le juge dit, mais ce qu'il fait ; et ce qu'il fait, objectivement, c'est blesser. Juger, c'est infliger une violence. Toute interprétation juridique inflige une souffrance aux individus auxquels elle s'applique, que ce soit en les emprisonnant, en leur retirant leurs biens ou en les tuant. » Ensuite, il dresse ensuite le portrait du justiciable comme étant une personne littéralement mise entre les mains de la Justice: « Contrairement à ce que met en avant une bonne partie de la théorie politique, être un sujet de droit, ce n’est pas, d’abord, être un sujet protégé, sécurisé. C’est avant tout être un sujet jugeable. C’est être emprisonnante, arrêtante, condamnable. » La troisième partie est consacrée au système du jugement, avec une réflexion particulière sur la notion de responsabilité (pourquoi se focaliser trop souvent sur une responsabilité individuelle, et sans tenir compte d’un contexte sociologique). Et enfin, la quatrième partie porte sur le système de la répression. L’auteur y oppose la justice civile (la réparation des dommages) et la justice pénale (les peines). J’y ai été frappé par cet exemple: un terroriste dépose une bombe dans un lieu public mais le dispositif s’enraye et la bombe ne provoque aucun dommage; il est néanmoins condamné à une lourde peine, non pas pour les dommages qu’il aurait causés, il n’y en a pas eu, mais pour les dommages qu’il aurait pu causer.



Je vous laisse découvrir d’autres morceaux choisis dans les citations que j’ai publiées.



« Les questions qu'il faut poser sont : quelles sont les différentes manières possibles de penser la responsabilité ? Quelles sont les différentes conceptions du crime ? Quelles autres manières de juger ou d'envisager le jugement, le sens de la peine, peut-on concevoir ? Si juger suppose des notions de« responsabilité », de« causalité », de « crime », de « victime », de « dommages », etc., quelles significations peut-on donner à ces concepts et quelles significations, de fait, revêtent-ils ? Selon quels principes est-on constitué comme jugeable et est-on jugé ? Bref, quels sont les fondements objectifs des opérations de jugement? Quels effets de pouvoir ces dispositifs exercent-ils ? » Voilà les questions que l’auteur porte à notre réflexion, mais sans y apporter lui-même de réponse. Le livre est destiné au grand public, le langue est fluide et le texte est clair, mais il s’agit d’un essai, qui se lit moins vite qu’un texte d’Amélie Nothomb.



Tout cela m’intéresse, depuis longtemps, mais en dilettante, dirais-je. Car ces questions sont complexes. Il est difficile d’y apporter des réponses constituant un système cohérent. Telle décision que l’on pourrait prendre pour améliorer un aspect a tôt fait de paraître inacceptable sous d’autres aspects. J’essaie donc de trouver des penseurs qui ont pris le temps d’y travailler et qui proposent des synthèses intéressantes. Mais alors se pose la question d’estimer la valeur de tels travaux. Je me la suis en particulier posée pour cet essai et pour son auteur. La lecture m’a fait passer quelques bonnes heures dans le train, les questions sont interpellantes, mais sont-elles originales ? sont-elles porteuses ? sont-elles le fruit de la réflexion d’un réel expert qui a une connaissance suffisante des travaux de ses pairs ?



Le livre a connu un beau succès de librairie; l’auteur est médiatique. Mais celui qui critique l’État suscite toujours une sorte de sympathie démagogique… J’ai donc lu la vingtaine de pages de critique publiée par Vincent-Arnaud Chappe, Jérôme Lamy et Arnaud Saint-Martin sous le titre « Le tribunal des flagrants délires ‘sociologiques’ » (voir https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/1647/files/2016/01/VAC-JL-ASM-Le-tribunal-des-flagrants-délires-«-sociologiques-»-30-janvier-2016-CZ.pdf). Ces chercheurs du CNRS dénigrent le travail de Geoffroy de Lagasnerie sans prendre de gants ! Ils le trouvent superficiel, pas suffisamment fondé… Et moi, le candide, qui dois-je croire ? Je ne porterai pas de jugement sur le fond de cette critique, mais la forme ne m’a pas plu du tout. Ça sent la frustration, la jalousie de ne pas être médiatisé. Ils auraient pu saluer le mérite de Geoffroy de Lagasnerie d’avoir fait connaître ses questions au grand public, et puis, à la jésuite, peut-être, suggérer des améliorations, noter quelques erreurs. Pourquoi ne publient-ils pas eux-mêmes un livre analogue, dans le fond ? Intéressant débat…



Mais ce n’est pas fini ! Parce qu’après ça, j’ai trouvé une critique de la critique: « Guide de survie existentielle en milieu académique : de la police du ressentiment. Le cas Jérôme Lamy et Zilsel », sous la plume de Philippe Corcuff (voir https://blogs.mediapart.fr/philippe-corcuff/blog/180417/guide-de-survie-existentielle-en-milieu-academique-de-la-police-du-ressentiment). Philippe Corcuff dénonce l’attitude des trois chercheurs, dont il a été lui-même victime. Il cite entre autres la thèse de Laurence Viry sur « le monde vécu des universitaires », dans laquelle elle décrit le besoin obsédant de reconnaissance des universitaires (pas tous, heureusement), le climat de compétition, la jalousie envers les pairs…



Bref, je me suis régalé à tirer les fils de cet écheveau, qui m’a donné une petite vue du monde académique que j’ai trouvée plus prenante à lire que les caricatures de David Lodge.



Je vous recommande la même expérience ! Moi, je vais me mettre à la recherche d’autres livres. Et relire Foucault. Et s’il se trouvait un volontaire pour parler de Nietzsche lors d’une prochaine réunion de notre Navire bruxellois, je suis preneur !

Commenter  J’apprécie          213
Sortir de notre impuissance politique

En septembre 2020, le philosophe et sociologue Geoffroy de Lasgasnerie était l’invité du grand entretien de Léa Salamé et Nicolas Demorand sur Franceinter afin de faire la promotion de son dernier livre, un petit essai de stratégie politique destiné aux militants de gauche. Son intervention a fait grand bruit et ses propos sur la nécessité d’influencer la jeunesse et sur la vacuité de débattre sur des plateaux majoritairement de tendance droite/extrême-droite ont choqué le bourgeois par leur radicalité, ce qui m’a évidemment donnée envie de découvrir les écrits du chercheur. Très court (moins de cent pages) et peu chère (5€), « Sortir de notre impuissance politique » est un ouvrage accessible et un peu curieux dans la mesure où les idées de l’auteur de sont pas particulièrement agencées : il n’y a pas de plan ou de sommaire, Geoffroy de Lagasnerie se contentant de faire défiler sa pensée, un peu comme s’il donnait une conférence sur le sujet. La lecture s’en trouve fluidifiée, si bien qu’on se prend à lire l’ouvrage d’une traite, tout en étant tenté de s’arrêter régulièrement afin de prendre des notes. Les propositions détaillée ici n’ont rien de particulièrement novatrices, mais le propos de l’auteur n’est pas de proposer de nouveaux modes d’action, plutôt de s’interroger sur ceux que nous utilisons actuellement et de réfléchir sur ceux qui seraient les plus efficaces pour que les forces de gauches puissent enfin conquérir le pouvoir. L’auteur commence par expliquer l’intérêt de sa démarche en évoquant le sujet de la codification de la contestation politique par les militants eux-mêmes. Pour Geoffroy de Lagasnerie, exister politiquement aujourd’hui « se résume largement à reprendre des instruments pré constitués sans en interroger la force et l’efficacité. » D’où une confusion de plus en plus grande dans l’esprit des militants entre action politique et expression politique. Or, l’auteur pointe du doigt le fait que ce que nous avons tendance à considérer comme des modes d’action sont en fait des modes d’expression (aller dans la rue, pétitionner…) et, si ces derniers sont indispensables, ils ne suffisent pas. D’où le constat posé par le philosophe et qui constitue le point de départ de l’ouvrage : ce n’est pas parce que la gauche ne fait rien qu’elle perd, mais parce que la manière dont elle agit n’est pas efficace pour gagner.



L’une des premières raisons de la défaite pointée du doigt par l’auteur réside dans notre manque d’autonomie temporelle : « nous ne cessons de nous situer par rapport à l’état et en fonction des actions de l’état ». On se contente donc de réagir aux attaques des dominants plutôt que de nous imposer à eux. Sauf que lutter en permanence contre les nouvelles réformes des dirigeants sous-entend implicitement que nous défendons les institutions et leur fonctionnement tels qu’ils sont actuellement. « Lorsqu’un gouvernement avance un projet et que nous nous mobilisons contre, s’il recule, alors nous appelons victoire ce qui est le maintien d’une situation que nous critiquions auparavant. » Le fait d’appeler une non défaite « victoire » convertit dans les esprits l’ordre actuel en un ordre voulu et souhaité. L’auteur pointe ensuite du doigt l’erreur tactique qui consiste à s’adresser aux dominants, que ce soit par des actes symboliques, des pétitions ou des lettres. Pour lui, élaborer nos discours pour qu’ils s’adressent aux personnes exerçant le pouvoir est une perte de temps. Le boycott est considéré comme une stratégie plus efficace que la participation à de faux débats qui « nous amène à reconnaître nos ennemis comme des interlocuteurs légitimes » Pour le sociologue, étudier, documenter et publier des chiffres afin d’exposer à ceux qui nous gouvernent la réalité du terrain n’aura aucun impact. On a tendance à considérer que seule la déconnexion du réel de nos dirigeants expliquerait leurs prises de décisions ahurissantes, or ce que l’on prend pour de la méconnaissance est en fait du déni. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de documenter ces réalités, seulement qu’il faut arrêter de le faire à l’adresse des dominants. Il est revanche une catégorie de la population à laquelle il est vitale de s’intéresser dans la mesure où « ce qui décidera, en dernière instance, de la résolution du conflit, ce sera la démographie ». L’auteur veut bien sûr parler ici de la jeunesse qu’il serait stratégiquement crucial de conquérir puisque ce sont eux qui, dans plusieurs années, accéderont au pouvoir et aux institutions. Geoffroy de Lagasnerie pointe notamment du doigt l’importance clé de l’université, institution qui détient un quasi monopole sur la formation des structures mentales de la société.



Autre mode d’action proposé car jugé efficace par l’auteur : l’action directe. C’est par exemple ce que font les associations qui affrètent des bateaux pour secourir les migrants en Méditerranée, ou encore Cédric Herrou qui apporte aide et assistance à ceux qui ont fui leur pays pour se réfugier en Europe. Les lanceurs d’alerte peuvent également être mis dans cette catégorie dans la mesure où leur action s’apparente à du sabotage puisqu’il s’agit de perturber le fonctionnement d’une institution de l’intérieur. L’action directe a pour mérite de placer l’état en situation défensive et, s’il elle n’a pas vocation à être utilisée constamment, elle doit en tout cas devenir un réflexe. A cela s’ajoute l’action juridique et l’action par le droit qui ont déjà prouvé leur efficacité. L’auteur se pose aussi la question de l’intérêt stratégique de l’usage de la violence en partant du constat que nos pratiques de lutte reposent aujourd’hui majoritairement sur deux modes d’action (festive avec les manifs, ou auto-sacrificielle avec des actions comme la grève ou la grève de la faim). Or aucune de ces deux pratiques n’est a même de faire plier les gouvernants. Faisant alors référence à Günther Anders, auteur allemand à l’origine en 1987 d’un ouvrage intitulé « La violence oui ou non », Geoffroy de Lagasnerie rappelle qu’agir efficacement politiquement ne consiste ni à faire la fête, ni à souffrir, mais à faire souffrir son adversaire. Pour autant la violence est-elle efficace ? L’auteur finit par en déduire que non et justifie sa prise de position par le fait que le monopole exercé par l’état sur les armes et la justice pénale exposerait trop les partisans d’actions violentes à l’appareil répressif des dominants. Or, outre les souffrances que cette répression provoquerait, elle aurait un autre aspect négatif dont on a déjà pu observer les effets il y a peu, notamment lors des manifestations des Gilets Jaunes, à savoir la déviation de l’objectif. On se mettrait alors davantage à parler des violences policières subies par les manifestants que du sujet même de la manifestation (ce qui ne veut pas dire que les violences policières ne peuvent pas être elles-mêmes à l’origine d’une mobilisation).



L’auteur aborde ensuite l’un des modes d’action qui semble avoir sa préférence car il implique de penser sur le long terme et de s’inspirer des méthodes de nos adversaires politiques : infiltrer l’appareil d’état. Pour le philosophe, la conquête des institutions est jugée par la gauche comme un mode d’action trop peu radical, alors qu’il peut devenir une arme puissante. Il faudrait donc encourager les gens de gauche à ne pas déserter les institutions avec lesquelles ils sont en désaccord (justice, enseignement, police) mais à s’y intégrer afin de la changer de l’intérieur. A la critique de la compromission et du risque de se faire en partie récupérer, il répond que ces risques sont aussi présents hors de l’institution, dans toute action collective. L’infiltration aurait également comme effet positif de rompre « la spirale du silence », concept élaboré par Noëlle-Neumann Elisabeth et qui consiste à dire que les gens s’auto-censure lorsqu’ils pensent être en minorité dans leur champ par anticipation des réactions que l’énonciation de leur opinions provoquerait. Il suffirait que les individus d’une institution se sentent moins isolés pour qu’ils changent d’eux-mêmes leur pratique. L’auteur revient aussi sur la nécessité d’infiltrer les structures de la vie quotidienne, à l’image de ce qu’a pu faire le parti communiste au XXe siècle. « C’est dans la vie autant que dans la lutte qu’il faut inscrire l’identité progressiste. » Changer le droit ne met pas fin à la domination, c’est aux structures mentales qu’il faut s’attaquer (et l’auteur de développer l’exemple des noirs aux États-Unis qui, en dépit de l’abolition de l’esclavage puis de la ségrégation, sont toujours autant discriminés). Dernier point du raisonnement exposé dans l’ouvrage, la tentation contre productive de réinscrire toutes les luttes dans une histoire ou un système. Il met ainsi à mal le mot d’ordre de la « convergence des luttes » qui vise à rassembler les contestataires en rappelant qu’ils subissent tous la même domination. Or il est beaucoup plus facile d’imaginer lutter contre les contrôles au faciès et le comportement de la police dans les banlieues que de vaincre le racisme et le colonialisme. Pour Geoffroy de Lagasnerie, « les luttes sont fortes lorsqu’elles sont spécifiques et locales. »



Petit essai de stratégie politique à destination de la gauche, l’ouvrage de Geoffroy de Lagasnerie fait réfléchir sur les modes d’action utilisés par les forces progressistes françaises et leur efficacité. Si les méthodes proposées n’ont rien de novatrices (infiltration de l’appareil d’état, action directe, concentration des efforts sur la jeunesse…), les réflexions du philosophe et sociologue sur leurs limites et avantages permet de mieux cerner les stratégies payantes et celles qui s’avèrent contre-productives ou délaissées car jugées trop peu radicales ou nobles.
Commenter  J’apprécie          190
3 : Une aspiration au dehors

Sociologue et philosophe connu pour ses livres et certaines interventions médiatiques sur le devoir de se révolter, Geoffroy de Lagasnerie revient en 2023 avec un essai sur l'amitié : 3 - Une aspiration au dehors, chez les éditions Flammarion.



Chronique d'une triple amitié

Geoffroy de Lagasnerie a ressenti le besoin de raconter ce qui fait son quotidien depuis une dizaine d'années : l'amitié qui le lie avec Édouard Louis qu'il a rencontré il y a quelques années et avec Didier Eribon, également son compagnon. Pour cela, il fait le constat que son quotidien est carrément portée par cette amitié au long terme, dans ses aspects les plus communs (échanger sur une sortie culturelle, boire un café, partir en vacances, etc.).



Analyse familiale

Geoffroy de Lagasnerie en profite pour faire l'analyse de cette composante qu'est l'amitié. C'est pour lui, et c'est bien normal, bien plus qu'une simple entente temporaire qui contenterait chacun : c'est l'entité nécessaire à la construction de sa personne afin de la rendre meilleure. Il se sent clairement augmenté à bénéficier d'une telle amitié. Il va plus loin quand il essaie de construire une dialectique de l'amitié afin de démontrer qu'il s'agit du meilleur processus pour faire progresser les gens, contrairement à la famille classique notamment.



Avec 3, Geoffroy de Lagasnerie rédige un bel essai sur l'amitié, en contrepoint de la famille normée (ce qui gênera le plus dans cette lecture, c'est évident), en convoquant pour cela les aspects les plus concrets de sa vie (ce qui n'est pas forcément le plus passionnant, il faut le reconnaître).
Commenter  J’apprécie          101
3 : Une aspiration au dehors

Un jour, on m'a demandé pourquoi je lisais, à quoi cela me servait. Je n'ai pas répondu à la question car je ne savais comment y répondre, par quel bout commencer. Que dire, en effet. Je lis, moi pour me confronter au monde, pour entendre les mots, pour comprendre les regards, pour écouter les conversations. Je lis pour réfléchir, en retour, à ma trajectoire dans ce monde. 



Et en lisant Geoffrey de Lagasnerie, compagnon de route de Didier Eribon et d'Édouard Louis, je me suis rappelée ma condition de femme, d'épouse et de mère et la vie étriquée que j'ai fini par épouser, bien malgré moi. Malgré moi? Pas certain. J'ai toujours voulu, par rationalité, échapper à la vie de couple, mariée avec enfant car je savais le piège que cela pouvait constituer pour un être qui, comme moi, aspire à une certaine liberté et pourtant je l'ai désiré, pire j'ai dit oui quand le jour s'est présenté. Pire encore, j'ai décidé d'être mère au foyer. Résultat, c'est une vie réduite, restreinte que j'ai épousé. La parentalité oblige, en effet. Elle oblige à une vie "en dedans" rythmée par les besoins de l'enfant. Elle oblige, du fait de la société, à une vie sociale de plus en plus restreinte, limitée voire quasi inexistante. 



Or, l'enrichissement se trouve, je suis d'accord avec l'auteur, dans une aspiration au dehors; un dehors que l'on atteint plus facilement avec l'amitié, en ce qu'il est le seul espace libre à ne pas être codifié, réglementé et d'où on peut s'inventer, se réinventer, vivre loins des codes figés de la société. L'amitié n'est ni amour, ni famille, ni sociabilité codifiée. L'ami est celui ou celle avec qui l'on tisse un lien parce que l'on finit par se sentir bien. Il est celui ou celle avec qui l'on sort pour aller vers l'extérieur, vers les lieux de rencontres, des autres et du monde. L'amitié est une aspiration au dehors oui car il n'est pas un lieu figé, réglementé par la société.





En lisant l'essai qui fait une éloge bien particulière de l'amitié, je me suis demandée. Est-ce donc foutu pour moi? Comment rejoindre ce "dehors" quand on est parent? Comment parvenir à vivre une vie "riche" quand la parentalité l'appauvrie grandement? 





Comment faire sauter les règles que l'on finit par intégrer quand on est un couple avec enfants? Et jusqu'où peut-on aller sans finir par briser le couple que l'on chérit pourtant ? Et l'amour peut-il s'amicaliser sans devenir amitié lui-même? Si l'amour n'est pas amitié, comment lui demander de s'amicaliser sans lui demander de ne plus être ce qu'il est, c'est à dire amour? Enfin, dernière question, peut-on faire l'éloge de l'amitié et la théoriser à partir de sa propre expérience sans inviter et obliger, même  involontairement, les autres à suivre le même chemin? Car enfin, me suis-je dit ici, la relation amicale est particulière aux trios et je ne vois pas comment on pourrait vivre aussi richement qu'eux sans finir par devenir eux? 



Alors voilà lire sert à cela. À se confronter aux questionnements de l'autre pour finir par se questionner soi. Ici, l'analyse est si fine, si riche, si intéressante, bien que compliquée parfois, que l'on finit forcément par s'interroger et se positionner. 

Commenter  J’apprécie          82
3 : Une aspiration au dehors

Un essai très stimulant. J'adorerais assister aux cours de l'auteur ! Sa démarche séduit : il part de la singularité de sa relation amicale pour réfléchir sur la notion même d'amitié. J'admire beaucoup l'oeuvre et le parcours d'Edouard Louis, que je lis depuis le début, et ai découvert peu à peu son lien avec Didier Eribon, puis Geoffroy de Lagasnerie, et naturellement ai souhaité découvrir la production intellectuelle des deux autres complices du trio, avec bonheur. Je suis venue à ce livre-ci par curiosité de connaître le rôle de la relation des trois hommes dans leur activité intellectuelle. L'amitié prend ici le rôle de terreau (ma métaphore est mauvaise par rapport à ce brillant essai, lisez-le !) de la création, et réciproquement. Elle est libératrice, stimulante. Ce témoignage et essai à la fois nous encourage à oser réinventer nos vies, quelles qu'elles soient. Une lecture roborative !
Commenter  J’apprécie          71
Sortir de notre impuissance politique

A l'oral, Lagasnerie a un débit de mitraillette totalement incompatible avec la lenteur de mon esprit. Vous noterez que j'ai supprimé la particule à son nom , celle-ci étant incompatible avec ses idées et son propos. Il ne mérite pas cet outrage.

Entendu sur France Inter à peine réveillé, je n'ai saisi que quelques bribes de son propos qui ont éveillées ma curiosité. Mais déjà, tout est dans le titre "Sortir de notre impuissance politique", beau programme quand on perd depuis 40 ans. Ce texte a la forme d'une conférence : des paragraphes courts, facile à lire et une construction didactique qui permet de faire le tour du sujet.

Le constat est évident, les idées sont justes et la nécessité de repenser la "militance" est une évidence. Lagasnerie propose de mesurer nos actions à l'aulne de l'efficacité. Cela devrait être une évidence et pourtant nous continuons à manifester comme on va à la messe. On sait que cela ne sert à rien mais cela nous donne bonne conscience et on retrouve les copains pour aller boire un coup à la fin. C'est notre communion, notre sang du christ bu jusqu'à la lie. Justement, Lagasnerie propose de sortir de nos postures éculées et de s'inspirer de ceux d'en face puisqu'ils gagnent.

Je ne vais pas dévoiler la totalité de son propos parce que tout militant digne de ce nom devrait lire ce petit bouquin salutaire en ces temps maussades.
Commenter  J’apprécie          71
Penser dans un monde mauvais

Le nouveau livre de Geoffroy de Lagasnerie, PENSER DANS UN MONDE MAUVAIS, pose avec clarté et passion une question urgente de la pensée critique et innovante dans le monde contemporain: comment pouvons-nous devenir et rester producteurs de pensée, dans un monde "mauvais", c'est-à-dire dans un monde qui s’adonne à la reproduction de la violence, de la pauvreté, et de la domination physique et symbolique?



Plus simplement, on peut se poser la question: comment se construire après son éducation? Une des lectures possibles de cette question serait: comment continuer à construire sa pensée après la mort de ses éducateurs? Cette question s'avère particulièrement pressante pour quiconque a construit sa pensée dans le sillon des grands philosophes de la deuxième moitié du 20ième siècle: Deleuze, Lyotard, Foucault, Derrida, et Bourdieu. Ces ainés sont partis, et il ne reste pas grand-chose à leur place.



Vingt ans plus tard le monde a changé, et nous avons changé. La question devient: comment penser dans le monde actuel, un monde "mauvais" qui ne favorise pas la pensée?



C'est la question que se pose le sociologue-philosophe Geoffroy de Lagasnerie dans son nouveau livre PENSER DANS UN MONDE MAUVAIS, où il propose sa propre mise en perspective de cette question et des éléments de réponse. Cette question est au centre de toute son œuvre publiée, depuis son premier livre, paru en 2007, "L'EMPIRE DE L’UNIVERSITÉ Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme", jusqu'aujourd'hui.



La question qu'on peut se poser: comment continuer à se construire après la fin de son éducation?, devient dans ce livre: comment vivre et penser après la mort de ses éducateurs?, et ensuite comment traiter ses éducateurs comme des co-producteurs et non pas comme des maîtres? Comment avoir un rapport productif à son éducation et non pas un rapport reproductif? Geoffroy de Lagasnerie ne nous enseigne pas à faire le deuil de nos éducateurs d'antan ni à les imiter, mais nous encourage à prolonger leur démarche de critique et d'innovation conceptuelle dans un monde qu'ils n'ont pas anticipé dans tous ces détails. On ne peut qu'applaudir ce sentiment et ces analyses.



Cependant, il est surprenant de voir ces penseurs de l'affirmation vitale et pensante discuté dans un ton aussi nostalgique. Les penseurs qui ont mise en œuvre la même logique de création que la génération de référence du livre ne sont pas pris en compte. Alain Badiou, Bruno Latour, Bernard Stiegler, François Laruelle ne sont pas mentionnés.



Le livre en tant qu'il accentue l'opposition plutôt que la création me semble marquer un moment de transition. Certes la nostalgie présente dans la problématique ("construire des champs oppositionnels" pour résister au "monde mauvais") n'est pas totalement réactif, ni un appel au deuil. Cette nostalgie sans deuil peut mener non seulement à des actes de résistance au monde "mauvais" mais aussi à de vraies actes de création dans un monde qui, selon Deleuze, contient l'intolérable et abonde en devenirs. Penser ce n'est pas seulement s'opposer au monde mauvais mais aussi composer ensemble un monde meilleur.
Commenter  J’apprécie          71
Sortir de notre impuissance politique

Dans ce livre court à la forme originale, Lagasnerie livre des réflexions sur le militantisme qui sont à la fois très simples et terriblement efficaces pour se remettre en cause. Si le ton snob de l'auteur peut être irritant, la lecture de livre est stimulante.



Un mot sur la forme, d'abord. Lagasnerie ne cherche pas à écrire un essai classique avec une réflexion construite en chapitre. Ce livre se présente plutôt comme un exposé oral qu'on aurait traduit à l'écrit. Les idées se suivent une à une, par association. J'ai trouvé ce système original finalement assez efficace.



Sur le fonds, Lagasnerie se demande pourquoi la gauche perd systématiquement ses combats depuis des années, pourquoi elle peine à imposer ses thèmes dans le débat public ; et pourquoi la droite, elle, y parvient. D'où une réflexion sur les formes de la lutte, du militantisme, sur ce que signifie gagner en politique ou être efficace.



Un livre que j'ai trouvé très stimulant. Il m'a beaucoup parlé parce que j'avais déjà pensé à plusieurs de ces réflexions (par ex : manifester ne sert à rien) sans creuser vraiment le sujet et affronter le tabou de ce genre de pensée (on se dit que si, il faut lutter, qu'on ne peut pas lacher etc, sans penser à changer la façon de lutter). Un des point centraux du livre est de dire qu'il faut distinguer moyen de lutter et moyen de s'exprimer, et qu'on fait souvent le second en croyant faire le premier. Manifester, faire grève, signer des pétitions… c'est dire « je ne suis pas d'accord » en espérant que le gvnt régaisse, mais ce n'est pas lutter dans le sens où ça va faire changer directement les choses. Au contraire, Lagasnerie cite Cédric Herrou et d'autres activistes dont l'action a d'une part changé des choses concrètement dès le départ (pour certains migrants hébergés) et a fini par faire évoluer la loi même en positif. Ces exemples de lutte réussies sont riches d'enseignement (l'auteur parle aussi des luttes LGBT comme inspiratrices car en quelques décennies elles ont réussies à révolutionner la société).



Également j'ai beaucoup aimé les questionnements sur la radicalité. Qu'est ce qu'être radical en politique ? Lagasnerie pointe, à juste titre il me semble, les délires de certains militants (nombreux quel que soit la thématique de la lutte) qui se pensent radicaux parce qu'ils ne font jamais de concession mais qui, se faisant, se condamnent aussi à l'impuissance. Cette posture de radical chic est d'abord un délire égocentré et ne crée pas de changement sur le réel, ce qui devrait d'abord être le but de toute lutte. À l'inverse, des outils de lutte souvent dénigrée sont pourtant très efficaces, si on regarde les faits, comme par ex : pénétrer les institutions en gagnant les postes de responsabilités. Il ne faut pas avoir peur de se salir les mains, en somme, si on veut changer concrètement les choses. La recherche de pureté condamne à rester inefficace.



Citons encore le dégommage en rêgle de la "convergence des luttes" : une pensée féconde et originale, contraire à toute la mode militante autour de cette notion très usitée mais peu réfléchie.



Pourtant Lagasnerie est moins convaincant parfois. On retrouve ses travers habituels pour qui a déjà lu plusieurs de ses livres : un ton snob, un peu donneur de leçon. L'auteur est à mon sens un des penseurs politiques les plus stimulants de l'époque, il en reste quand même agaçant même quand on est d'accord avec lui. Par ailleurs il est souvent trop théorique, et peu observateur du « concret », comme quand par ex il parle du libéralisme en ne s'attachant qu'à ce que disent certains de ses théoriciens et sans regarder les mises en pratique concrètes de ces théories (à ce niveau, je lui conseille d'ailleurs le dernier livre de David Cayla). Mais c'est du détail. C'est un livre utile et intéressant !
Commenter  J’apprécie          60
Sortir de notre impuissance politique

Ce petit livre peut être une révélation pour certains, et j'encourage toutes les personnes un peu engagés politiquement à se le procurer. le propos est d'analyser la raison pour laquelle depuis quarante ans aucune lutte ne fonctionne, la gauche est retranchée dans une posture défensive, il n'y a plus aucune conquête sociale, les victoires sont des statu quo (quand on a obtenu le retrait d'un projet infâme). On en voit actuellement des exemples.

Certains arguments m'ont particulièrement intéressé :

- Les modes d'action classiques (grèves, manifestations, ...) sont à l'évidence obsolètes car on rentre chez soi en ayant l'impression d'avoir agi alors qu'on n'a rien fait, et ils ont un coût immense pour l'organisation ou les personnes concernées directement, des moyens qui pourraient être consacrés à des modes d'action plus efficaces et ciblés (action directe).

- Il serait plus utile d'étudier comment à l'inverse les stratégies de la droite sont efficaces : infiltrer les instances, faire du lobbying et exploiter les institutions existantes à son profit. Au contraire une personne de gauche va avoir tendance à boycotter, à démissionner, à s'abstenir ce qui est contre-productif.

- il n'y a pas de non-violence, cela revient simplement à reconnaître le monopole de la violence légitime à l'État. Au contraire certains philosophes estiment que la violence peut être le fait de la personne contre laquelle elle s'exerce (comme de la légitime défense). Néanmoins rechercher l'affrontement avec la police est stupide et suicidaire, car au mieux le militant passera deux jours en garde-à-vue, au pire il peut faire de la prison ou être blessé, ce qui le rendra inutile pendant quelques temps et risque même de le faire renoncer à la lutte en raison de son coût trop élevé.

- la convergence des luttes est une chimère : il est plus efficace de s'attaquer aux problèmes séparément, plutôt que de désigner un responsable commun (le capitalisme, le patriarcat, le colonialisme ce que vous voulez), qui est beaucoup plus dur à abattre, et pas forcément pertinent dans tous les sujets. Les militants par leur sensibilité différente et les hasards de leur parcours, se concentrent sur un sujet et ne doivent pas regretter de ne rien faire sur les autres sujets, c'est impossible de se battre sur tous les fronts à la fois (le féminisme, l'environnement, etc.).



Je vais m'arrêter là, on pourrait tout recopier mais lisez-le donc plutôt vous-même.

Achetez-le, offrez-le, prêtez-le.
Commenter  J’apprécie          63
Sortir de notre impuissance politique

Ecrit comme les différentes étapes d'une conférence ce petit livre se lit facilement et propose une réflexion sur les moyens, les méthodes pour que la gauche soit à nouveau puissante politiquement. On peut donc résumer le livre ainsi : du constat d'une gauche qui s'est impuissantée, devenue une force presque uniquement défensive (les luttes contre telle ou telle loi/réforme), on passe à la critique des méthodes traditionnelles (le sitting, la grève, la pétition) et même le non-sens que l'on peut retrouver parfois dans ces pratiques (chanter, rigoler, faire d'une grève une sorte de "sortie entre amis"). L'auteur en vient donc à prôner la méthode de l'action directe, qu'elle soit telle qu'on l'imagine (occupation, pratiques "illégales") à une action directe moins visible mais tout aussi puissante (devenir magistrat par exemple ou maître de conférence).

La question de la violence n'est pas évacuée, même si l'on sent que l'auteur ne désire pas en faire le sujet principal de son livre : pas de non-violence (qui est là aussi un non-sens) mais une acceptation du militant comme en situation de délinquance lorsqu'il pratique certaines actions et qu'il y a de toute façon une remise en question de la loi, qui est celle de ceux que le militant combat. Pour autant l'affrontement avec la police est lui aussi remis en question : peut-on vraiment se satisfaire d'une grève qui n'existerait que parce qu'elle est source d'affrontements ?

Ce qui anime ce livre c'est l'idée que la gauche se serait perdue dans une généralisation du monde : au final les luttes se doivent d'être concrêtes, véritablement utiles et prenant en compte l'irrationalité du monde : il n'y a pas de convergence des luttes, il y a un ensemble de systèmes à combattre et cela en infiltrant ces systèmes et/ou en luttant directement contre des pratiques particulières qui, dénoncées, combattues, peuvent être abolies et faire réussir les forces progressistes.
Commenter  J’apprécie          60
Juger

Cet essai est très singulièrement infâme. Il part d'une démarche louable et intéressante, typique de la sociologie du droit et de la justice, animée par la nécessité de problématiser de d'appliquer la pensée critique à ce champ entouré d'une aura que la sociologie a pour tâche de démystifier ; il avance par moments de bonnes questions, mais y répond, avec très peu d'observations de terrain et avec un usage totalement abusif des classiques de la pensée sociologique, juridique, philosophique, politique, après des argumentations souvent prolixes et plusieurs fois contradictoires sur des points cruciaux, par des conclusions si fausses et inappropriées que ses propres propos initiaux en deviennent inacceptables. Auto-sabotage intellectuel ? Incompréhension absolue des auteurs cités, mêlée à une bonne dose d'arrogance dans la façon de les discréditer ? Intelligence avec l'ennemi, les tenants d'un profond conservatisme crasse et hyper-sécuritaire, après avoir aguiché le lecteur animé de culture et de théorie critiques par des questionnements et des références qui lui sont propres, mais soutenus jusqu'au seuil de l'apparente irrecevabilité et agrémentés de rares cas de procès d'assises choisis parmi les plus controversés (rixe et violences ayant entraîné la mort sans volonté de la donner parmi des SDF ; viols répétés perpétrés par un immigré ; attentat terroriste déjoué) ? Je n'ai pas su décider entre ces éventualités, en fait sur la bonne ou mauvaise foi intellectuelle, raison pour laquelle je me suis infligé jusqu'à la lie une lecture devenue progressivement de plus en plus insupportable.

Je serais tenté de m'arrêter là et de ne pas t'infliger de cit. ni d'argumentation ultérieure, à toi, lecteur qui as le droit d'être moins patient que moi. Mais peut-être auras-tu l'impression, comme moi par moments, que la seule chose à garder de ce livre (ce qui lui donne sa petite étoile et demi), ce sont les références aux auteurs contestés, afin de nous les remettre en mémoire ou de nous donner envie de les approfondir : (Je ne peux pas tous les citer, mais je ne veux pas passer sous silence Didier Fassin, particulièrement maltraité dans une conclusion (anti-)méthodologique qui, si elle avait été présentée en soutenance de thèse, aurait justifié à elle seule, à mon avis, le refus de qualification à l'obtention du doctorat).



Problématique initialement présentée :



« La Justice juge une représentation de ce que nous avons fait et des raisons pour lesquelles nous l'avons fait. Or cette scène narrative est élaborée à partir d'une logique (d'une conception de la conscience, de la volonté, des interactions, de la société) qui entre en conflit avec la réalité telle que l'analyse sociale nous permet de la reconstituer. Une part de la violence du système du jugement s'enracine dans le fait que l’État pénal s'applique à nous en nous imposant de correspondre à une image du sujet qui se situe en décalage par rapport à notre mode d'existence réel. » (p. 28)



Se pose la question de la spécificité de l’État comme dispensateur de la Justice ou comme dépositaire de la violence : autre problématique bien posée :



« Et Weber d'énoncer alors sa théorie des trois types purs de légitimation [de l’État] possibles : la tradition, le charisme et le droit.

Assurément, réfléchir sur les raisons de la soumission constitue un enjeu essentiel. Mais on ne peut qu'être étonné de constater qu'aucune question n'est posée sur la violence. […] Les États sont distingués les uns des autres en fonction du type de justification sur lequel ils reposent ; ne pourraient-ils pas l'être en fonction du type de violence qu'ils exercent ou utilisent ? Pourquoi la violence semble-t-elle posée comme un enjeu secondaire par rapport à celui de la légitimité ? » (p. 73)



Mais déjà dans cette deuxième partie du livre, je suis dérangé par l'usage imprécis et interchangeable de termes « l’État », « la Justice », « le droit », « l'ordre juridique ». Beaucoup plus tard, l'auteur convoque Bourdieu qui rappelle que l’État se compose d'une « main gauche », l’État social et une « main droite », l’État pénal. Cette différence est donc reconnue et utilisée, ce qui provoque une confusion majeure chaque fois que l'auteur parle d' « État » :



« L’État pénal et l’État social constituent deux modes d'organisation adossés à deux modes de perception contradictoires : le discours de la responsabilité individuelle et celui de la responsabilité objective. Ce sont deux institutions qui s'enracinent dans des constructions théoriques, deux modes possibles de production de la réalité, deux modes possibles de production de la réalité, deux narrations envisageables de ce qui arrive. Dans le domaine pénal, la modernité a fonctionné à l'individualisation du système de la peine et du jugement ; mais, dans le domaine social, elle a à l'inverse fonctionné à la "collectivisation" des phénomènes. » (p. 129)



Mais pour l'heure, cette deuxième partie se termine par ce clin d’œil au néolibéralisme que l'auteur semble apprécier vis-à-vis de l’État, d'une manière qui laisse pantois lorsqu'il est question de l'administration de la justice :



« L'économie applique à l’État les catégories qu'elle emploie pour l'ensemble des acteurs sociaux. Elle n'accorde pas à cet objet un traitement de faveur. Elle le saisit lui aussi à travers les concepts de marché, d'offre et de demande, de calcul coût/avantage, d'utilité, etc. Le néolibéralisme refuse de reconnaître une spécificité à l’État : il le ramène à une réalité parmi d'autres et commensurable aux autres. […] La vision économique dissout la singularité de l’État et permet de le penser sans mythe. » (p. 88)



La partie suivante se pose la question, assez classique, de la responsabilité et de l'irresponsabilité pénale. Nietzsche est convoqué ainsi que Walter Benjamin et le philosophe du droit allemand Hans Kelsen, mais c'est surtout Hannah Arendt qui est complètement mal comprise ou défigurée :



« Arendt s'en est violemment prise à l'usage de la notion de "responsabilité collective" – ou de "culpabilité collective". […]

Il existe une responsabilité de la communauté politique. Mais ce type de responsabilité est d'ordre moral. Il ne saurait en aucun cas empêcher le fonctionnement du système du jugement et de la responsabilité juridique. Car la culpabilité est purement individuelle. Elle repose sur les actes accomplis par des personnes indépendamment de tout contexte, de toute référence au système dans lequel les individus sont immergés ou ont été immergés. […]

La Justice juge des "personnes". » (pp. 134-136)



Or si une critique fut adressée à Arendt, notamment lors du procès Eichmann, c'est justement d'avoir abondé, avec sa célèbre théorie de la « banalité du mal », dans le sens de la « responsabilité collective » : il est normal et logique qu'elle s'en soit défendue avec beaucoup de précision dans les termes sus-reportés. La dernière phrase, que l'auteur s'acharnera à contester à longueur de pages, constitue un point crucial en philosophie du droit, qu'il est pour le moins hasardeux de discréditer d'un revers de main.



Autre point important dans la théorie de la responsabilité-irrésponsabilité : le rôle des experts, psychiatres et psychologues, dans les salles d'audience. Foucault est d'abord opportunément cité :



« Le système judiciaire n'a plus affaire à un "infracteur" mais à un "délinquant". La criminalité n'est plus appréciée d'un point de vue légal, mais d'un point de vue psychologico-moral. Le pouvoir psychiatrique fabrique en ce sens un nouveau type d'homme, l'Homo criminalis, caractérisé par le fait que c'est sa vie, plus que son acte, qui est pertinente pour le définir. […]

Foucault souligne à quel point cette psychologisation du domaine de la criminalité a contribué à modifier la fonction même de la peine et de l'institution judiciaire : celles-ci ne travaillent plus seulement à réprimer un acte ou à imposer une réparation du préjudice. Elles s'intègrent dans un dispositif de prise en charge et de redressement du criminel. » (p. 150)



L'idée de l'auteur est que les experts, au vu de leur propre appartenance sociale, sont toujours là pour surenchérir les peines des prévenus, en ajoutant à la faute du délit ou du crime reproché dans le procès, celle d'une vie entière ou d'une personnalité « criminelles ». Cela est recevable, à condition peut-être de s'assurer quantitativement que les expertises psychologiques et psychiatriques ne plaident pas, au contraire, souvent, l'irresponsabilité de l'accusé, comme cela est invoqué par les partisans du « laxisme de la justice » qui, eux, ne sont pas démentis. Mais remarquons la dernière phrase, qui constituera l'essentiel de l'argumentaire du reste du livre : avons-nous vraiment à objecter au fait qu'une peine (surtout de prison) possède, outre que les fonctions de « réprimer » et « réparer », la fonction de « s'intègr[er] dans un dispositif de prise en charge et de redressement du criminel. » ? Personnellement, je serais plutôt d'avis de l'appeler de mes vœux ; je pense que Foucault n'en aurait pas été gêné non plus...



Quatrième partie du livre : « Le système de répression ». La théorie juridique, depuis ses débuts, et surtout dans la distinction entre le civil et le pénal, accorde à la Justice, ou, si l'on veut, à l’État, un rôle qui dépasse les relations entre la victime et le coupable, fondé surtout sur l'exigence de distinguer le droit de la vengeance. :



« Justifier la pénalité suppose de construire la transgression de la Loi comme un problème autonome et per se. La Loi incarne l'ordre public, la volonté de l’État ; le respect du droit manifeste une reconnaissance de l’État, de son autorité et de sa légitimité. La transgression constitue dès lors un acte d'insoumission et de dissidence, un trouble qui mérite d'être puni indépendamment de toute autre considération possible. […]

La lecture des textes de Rousseau, de Kant ou encore de Durkheim montre à quel point la conception de l'action et de ses effets sur laquelle repose l'appareil répressif d’État ou que l'appareil répressif d’État invoque pour se constituer est tout sauf une donnée ou évidente. [...]

La tradition qui, de Rousseau à Hegel, en passant par Kant, cherche à justifier la logique de la pénalité tend ainsi à installer une sorte de scène dramatique […] au sein de laquelle tout crime, même le plus petit, même le plus singulier qui soit, en vient au final à être présenté et pensé comme un moment critique où se joue la possibilité du droit lui-même, l'autorité de la volonté générale et la cohésion de l'ordre politique. » (pp. 209-210)



L'auteur fait table rase de tout ce beau monde, et encore de Cesare Beccaria et d'autres, toujours dans le but de soustraire à l’État sa primauté. Bien sûr, la qualification du délit s'en trouve déterminée d'une certaine façon particulière, peut-être même soustraite à « la réalité », comme dans le cas où l'attentat terroriste a été déjoué et donc n'a pas eu lieu : les poseurs de bombes devraient-ils être simplement acquittés parce que la détonation ne s'est pas produite ? L'appareil répressif de l’État est proportionnellement exalté. Mais je me limiterai à cit. le modèle tout à fait hypothétique et, à mon sens, cauchemardesque, que l'auteur propose d'adopter en guise de remplacement :



« Il ne s'agirait pas […] de revenir en arrière, vers des systèmes de justice privée, mais, bien au contraire, d'utiliser l’État pour inventer des modalités plus latérales, plus singulières, de gestion des réponses à apporter aux agressions, qui se situeraient dans le registre de la reconstruction et laisseraient aux acteurs la capacité de donner des significations autonomes à ce qui leur est arrivé, affirmeraient la possibilité du pardon, de la négociation, de la compensation, de la prise de parole. Ce nouveau système pourrait, pour la victime comme pour le coupable, donner naissance à un autre rapport au monde, à soi, aux blessures, que celui que nous impose le système de la peine, faire naître une justice qui n'obéirait plus tout à fait aux logiques classiques de a restitution et de la répression, et qui pourrait même – pourquoi pas ? - prendre des formes différentes selon les cas et la volonté de chacun. » (pp. 251-252)



Voici donc l'égalité devant la Loi allègrement balayée, les inégalités entre parties réinstaurées même dans le droit, l'incertitude des ses droits, le mépris, en somme, de la victime. Je réponds : non, merci ; j'encourage les travaux des sociologues qui opèrent selon des procédures d'observation, sans guillemets, dans d'honnêtes enquêtes de terrain, sans guillemets, sans craindre l'approche ethnographique, sans guillemets, mais fuyant l'idée du « pléonasme du réel » avec beaucoup de guillemets !
Commenter  J’apprécie          63
L'art de la révolte : Snowden, Assange, Manning

Je m’attendais à une description précise de ce qu’ont fait les personnes citées dans le titre et du traitement qui leur a été réservé mais pas du tout : c’est un billet d’humeur inspiré de l’injustice que l’action visant à dénoncer une action jugée éthiquement scandaleuse commise par un puissant - et donc indépendamment de toute considération juridico-légale - se retourne avec la complicité du droit contre le dénonciateur.



Quelles sont les ressources du lanceur d’alerte quand le droit achoppe à relaye sa parole ? La problématique s’étend au rôle de l’État, à la vie privée et à la démocratie, élargissant tout autant les pistes de traitement du sujet. Partir des faits aurait nécessité un travail journalistique qui n’est pas fourni ici. Interroger la question des ressources légales du lanceur d’alerte aurait requis un traitement juridique serré des événements et à en commenter la légalité, ce qui n’aurait pas manqué de contextualiser les lois étatsuniennes dans un sujet plus général d’une démocratie idéale, ce qui n’est pas le cas. Et partir de la généralité d’une diffusion d’informations pour légitimer une réflexion sur la démocratie aurait requis une réflexion de philosophie politique très poussée - qui ne nous est pas davantage offerte. Enfin, une autre voie aurait consisté à évaluer en quoi ces personnes sont des « activistes » puisque dès l’introduction, c’est la thèse affirmée du livre, mais… il n’en est que très vaguement question par la suite (exemples historiques ?, contexte ?, définition ?, limite de la notion ?, exemple d’abus ?, risques en pratique pour l’activiste ?, conséquences sur le système démocratique ?…).



Donc ça papote, tourne en rond et se limite à fournir quelques citations sur un fond de « non, tout de même, alors » qui ne m’a pas semblé ajouter grand chose au courage et au pragmatisme pratique dont ont fait preuve les personnes concernées. On était en droit d’attendre moins d’éclat et plus de réflexion de la part de qui propose de théoriser l’action de l’activiste…
Commenter  J’apprécie          50
Sortir de notre impuissance politique

Ce petit livre de 90 pages s’adresse à tous les militants (qu’ils soient du genre insoumis pro élections ou anarchistes abstentionnistes). Lagasnerie nous interroge sur l’efficacité de nos actions. Qu’est ce qui est à garder ? Qu’est ce que l’on doit changer ?



Je ne sais pas si ce genre de réflexions sur l’efficacité des luttes est commun. J’ai lu il y a peu l’altruisme efficace de Peter Singer qui, d’une manière très complémentaire, interroge l’efficacité des différentes luttes. Ici Lagasnerie sonde le bienfait des pratiques militantes, peu interrogées et devenues inefficaces. Si les grèves portaient leurs fruits il y a 30 ans, aujourd’hui, elles ne parviennent pas à être rentables étant donné l’énergie et le coût financier que doivent supporter les grévistes. Il propose des formes d’actions radicales qui sont souvent perçues comme une renonciation, un manque à la pureté : l’infiltration des institutions serait une vraie radicalité. Il souligne les bienfaits d’avoir de nombreux magistrats de gauche radicale plutôt que la situation actuelle où la majorité des militants faisant des études de droit deviennent avocats.



Il interroge également sur la contestation telle qu’elle est menée depuis 30 ans : contre la loi retraite, contre la réforme du droit du travail, contre le CPE. La gauche ne fait plus que des luttes défensives. En plus d’être rarement victorieuses, les rares victoires ne sont en fait que des statut quo. Très difficile de provoquer de grands enthousiasme pour défendre un monde d’avant la réforme qui ne nous convenait pas. On ne va plus de l’avant. A quand la dernière manifestation pour une réduction du temps de travail pour un travail pour tous, de meilleure qualité ?



En moins de 100 pages, très claires et lisibles, on réfléchit beaucoup et on se remet beaucoup en question. Même si je trouve certains jugement trop hâtifs sur L214 qui contrairement à ce qu’il dit n’a pas fait que diffuser des images abattoirs mais à fait changer de nombreuses lois et a donc fait beaucoup plus pour le bien être animal que n’importe quelle autre association. Sans compter l’éveil des consciences que cette association a porté. Ce livre risque de se heurter au sceptisisme des luttes traditionnelles parce qu’il ne souligne pas assez l’utilité des manifs (par exemple la manif du comité adama traoré suite à la mort de georges floyd qui a mis le sujet sur le devant de la scène). Il interroge surtout le fait que l’on se dit que l’on a fait notre part quand on revient d’une manif et que rien n’a changé.



D’autres sujets sont abordés comme la croyance que nos dirigeants sont simplement des gens ne se rendant pas compte des problématiques sociales et sont mal informés. Qu’il suffirait de les en informer mieux. L’utilité du refus de voter est également remise en question. Ainsi que le lien social à instaurer avec les classes populaires pour qu’à nouveau, le PCF ou d’autres partis progressistes soit le vote naturel des exploités.
Commenter  J’apprécie          50
Mon corps, ce désir, cette loi

Geoffroy de Lagasnerie applique au thème de la lutte contre les violences sexuelles ce qu’il sait faire de mieux : explorer les zones d’ombres de la pensée de gauche, gratter les impensés qui dérangent, jouer les troubles-fêtes. Sa démarche vise à ouvrir un débat entre « gens de gauche » ; aussi ne faut-il pas s’arrêter à son art consommé de la provocation, et prendre au sérieux ses arguments car ses textes sont souvent très stimulants.



Dans ce livre, Lagasnerie part du cas paradigmatique de Samantha Geimer, violée par Roman Polanski quand elle avait 13 ans, et qui a, à plusieurs reprises, indiqué que le viol en lui-même l’avait beaucoup moins traumatisée que les suites judiciaires qu’il y a eu et les actions politiques utilisant son nom et son histoire sans son consentement (dernier exemple en date : Adèle Haenel lors de la cérémonie des Césars). Ce qui fait dire à Lagasnerie : il y a une façon de lutter contre les violences sexuelles qui invisibilise la parole des femmes victimes, tout en se réclamant de la parole des victimes.



C’est en creusant ce paradoxe dérangeant que Lagasnerie va rappeler qu’il y avait autrefois des mouvements féministes qui articulaient en même temps lutte contre les violences sexuelles et critique de la prison. Ainsi de la Ligue des droits des femmes (fondée par Simone de Beauvoir), à la fin des années 70, dont les militantes allaient jusqu’à intervenir dans les procès de violeurs en criant « La prison n’est pas une solution ». Dans un manifeste, elles écrivaient que l’emprisonnement ne fait pas de bien aux femmes et ne fait pas évoluer les mentalités… On est donc très loin du militantisme actuel qui réclame — et obtient — plus de répression, des peines plus lourdes, etc. Avec cet exemple, on voit bien qu’il n’y a pas un modèle unique de lutte contre les violences sexuelles, et qu’on peut tout à fait s’engager sur ce thème sans pour autant s’adosser à la violence de l’État.



Lagasnerie utilise donc les outils de l’ « abolitionnisme pénal » (mouvement américain et scandinave qui défend des solutions alternatives au système pénal répressif classique — tribunaux, police, prisons) : « lutter contre un fait ne signifie pas le réprimer et qu’il faut toujours, contre certaines impulsions premières, construire sur d’autres bases et d’autres valeurs nos mobilisations et nos discours ».



La suite du livre questionne d’autres thèmes mais toujours dans la même idée qu’il ne faut pas, en militant, ajouter d’autres violences à une violence première, surtout quand ces violences militantes ne donnent pas de résultat concret (est-ce que vraiment on pense qu’en mettant en prison tous les violeurs ça règlera le problème ?). Il questionne notamment le concept de zone grise et celui de consentement, celui d’emprise, ou le fait de considérer comme sexuels des problèmes qui sont avant tout des problèmes de violence et de domination.



Le bouquin se termine sur une anecdote personnelle : Lagasnerie est en couple depuis longtemps avec Didier Eribon, un homme bien plus âgé que lui ; or il a rencontré ce dernier alors qu’il n’était qu’un étudiant et que Eribon avait déjà beaucoup d’influence dans le monde des sciences humaines. Si cette rencontre s’était passée aujourd’hui, Eribon aurait pu être attaqué pour « emprise », accusé de profiter de son statut pour coucher avec un jeune homme… Pourtant Lagasnerie rappelle que cette relation a été au contraire pour lui une libération, lui permettant de s’affranchir se sa famille, de l’école, l’université… Il faut donc faire attention quand on attaque ainsi les relations un peu hors normes (différences d’âges, de statut, de couleurs de peau…) car, sous couvert de lutte contre les violences, on peut aussi détruire ce qui pour les premiers concernés peut être un espace de liberté et de découverte.



Un bémol adressé à l’éditeur : le livre coute 14 euros pour un très court texte… artificiellement gonflé par des marges énormes, un gros interlignage, un gros interlettrage et des sauts de page à chaque chapitre. Même si Lagasnerie est dérangeant et stimulant, vendre ça si cher c’est un peu prendre le lecteur pour un con.
Commenter  J’apprécie          42
Penser dans un monde mauvais

Un livre de vulgarisation.
Commenter  J’apprécie          41
Logique de la création

Critique de Patrice Bollon pour le Magazine Littéraire



Geoffroy de Lagasnerie, jeune sociologue de 29 ans, chargé de cours à la Sorbonne, ne risque pas de se faire beaucoup d'amis au sein de son institution. Il conclut en effet sa Logique de la création, dans laquelle il s'interroge sur les conditions propices à l'innovation dans la pensée, par un chapitre intitulé sans ménagement : « L'Université contemporaine et la destruction de la vie intellectuelle ». Selon lui, la re-« professionnalisation » de l'Université, après la période d'expérimentations tous azimuts des années 1960-1970, aurait correspondu à un véritable « retour à l'ordre » et entraîné un assèchement radical de la créativité intellectuelle. Loin d'être ce champ béni d'une création libre car dégagée de toute logique économique célébrée par certains, l'Université serait devenue le lieu d'une recherche fonctionnarisée : d'une non-recherche, d'une « sous-vie intellectuelle », car travaillant, selon la fameuse distinction énoncée par l'historien des sciences américain Thomas Kuhn (1), dans le registre « cumulatif » et reproductif de la « science normale », et non dans celui, inventif, du renversement de paradigmes de la science révolutionnaire.

L'attaque est rude, mais, sous sa violence, est-elle aussi indue que cela ? Geoffroy de Lagasnerie part d'un constat que tout un chacun peut faire : alors qu'au temps de la French theory des Deleuze, Derrida, Braudel, Foucault, Bourdieu, Barthes, Lacan et consorts, la philosophie, la sociologie, l'histoire, la psychanalyse, etc., irriguaient les débats de société, ce qu'on appelle significativement aujourd'hui les « sciences humaines » a été ravalé à une spécialité pour spécialistes, qu'ignore ou dont se détourne le lecteur honnête homme d'aujourd'hui. En général, on donne pour clé de cette dégradation la domination sans partage d'une culture marchande, promouvant de simples produits idéologiques, et le rôle des médias.

L'auteur ne rejette pas cette façon de voir les choses, il la juge simplement incomplète. La question n'est en effet, selon lui, pas seulement une question de demande, mais d'offre : si les sciences humaines ne font plus débat, cela tient aussi au fait qu'elles ne « parlent plus » à la société et à ses membres. Alors qu'auparavant les oeuvres évoluaient de façon libre entre les disciplines, nous n'aurions plus le choix qu'entre des essais médiatiques au registre large, mais faibles, et des recherches pointues mais atemporelles et fermées. Geoffroy de Lagasnerie en prend pour preuve a contrario la façon dont se sont constitués quelques grands « auteurs » comme Lévi-Strauss et Foucault. Le premier a su s'inspirer de la linguistique saussurienne et de l'anthropologie américaine, sans oublier sa rencontre déterminante avec Breton et le surréalisme ; le second a su rompre avec la double tradition du marxisme et de la phénoménologie dans laquelle il était enferré, pour constituer son « propre contexte ».

Cette logique de décloisonnement, qui serait la véritable « attitude créatrice », se serait vue petit à petit détruite selon un processus fort paradoxal, puisque ce sont en partie les mêmes qui avaient contribué à « déconstruire » l'Université, Bourdieu et Derrida, qui ont poussé à son réenfermement dans des « disciplines » autarciques. Une évolution renforcée par la disparition des revues d'avant-garde, « trans-courants », et par la normalisation de ces lieux inventifs car marginaux que furent en leur temps la VIe section de l'École pratique des hautes études, dirigée par Braudel, ou l'université « expérimentale » de Vincennes. Si l'on ne peut qu'être globalement d'accord avec cette analyse, il y aurait beaucoup à reprendre dans le détail. Comme l'histoire de la philosophie le montre, la marginalité n'est pas plus la garantie d'une pensée innovante que l'institutionnalisation ne mène nécessairement au conformisme. Kant et Heidegger, pour se limiter à eux, ont passé toute leur vie dans l'institution sans que cela altère leur inventivité. Pas plus ne peut-on porter crédit à la « politisation de l'espace théorique », permettant, selon l'auteur, en « dramatisant les enjeux les plus abstraits », de donner à la pensée une force qu'elle n'aurait pas autrement. Pareille politisation a eu le plus souvent l'effet inverse ; et il faudrait en outre s'entendre sur le sens de ce terme, voire introduire une réflexion plus exigeante sur ce que serait l'« esprit du temps ». Mais, de nouveau, viendrait une autre interrogation : et si justement les grandes oeuvres n'étaient pas aussi celles qui refusent de se plier aux injonctions de leur époque, les oeuvres déconcertantes, « inactuelles » au sens de Nietzsche ? Où l'on perçoit la difficulté de poser les bases d'une « science des oeuvres » ou d'une « écologie des idées » appelées par Geoffroy de Lagasnerie. Comme si la vraie créativité gardait pour toujours une part d'imprévu, sinon d'énigme.
Commenter  J’apprécie          40
Se méfier de Kafka

Dans cet essai, l'auteur démontre que Kafka ne se réduit pas à son volet absurde.

Franz K va plus loin et montre à travers ses romans et surtout La lettre au père que lors d'un acte de justice, l'homme perd la complexité de son existence pour se soumettre à la vision judiciaire de sa simplicité (p.92)

Les juges n'ont qu'une vision parcellaire de ce qu'ils jugent, dès lors l'homme peut rester, en tant qu'homme, innocent (p.84).

J'ai été étonné de la mise en lumière du système judiciaire américain : il y a le système pénal pour les Blancs et le système pénal pour les noirs. Et c'est la police qui produit le tri. (p.63).

Mais 97 pages très aérées pour cette courte démonstration. Je m'attendais à plus consistant.
Commenter  J’apprécie          30
3 : Une aspiration au dehors

Qu'est ce que l'amitié ? Le concept n'a pas de statut juridique. Dans les relations humaines, il est considéré comme accessoire car notre société est construite sur des valeurs familiales, nucléaires, procréatrices. On peut, comme l'auteur l'explique dans son livre, être prioritaire pour une mutation sous couvert de mariage mais pas par affinité amicale.

Pourtant, à travers la relation que Geoffroy de Lagasnerie entretient avec Didier Eribon et Edouard Louis, il démontre que l'amitié peut être davantage source d'enrichissement personnel, et donc d'épanouissement, que les relations familiales.

Cette amitié à 3 est devenue leur mode de vie avec ses rituels, son organisation, ce besoin constant d'échanger avec les deux autres, de les voir, de passer du temps avec eux... Et cela va jusqu'à refuser un poste dans une université éloignée pour ne pas être séparé des deux autres.

Ce livre donne à réfléchir sur les traditions séculaires de notre société dans lesquelles on s'embourbe par convention. A travers cinq parties (philosophie, société, création, affectivité, quotidien), il démontre tout l'intérêt de ce type de relation. Les rencontres, les expériences culturelles, que chacun vit de son côté, enrichissent le trio lors de leurs nombreux échanges.

Alors bien sûr, ce livre n'est pas un appel à briser radicalement tous les codes de la société. Lagasnerie le précise d'ailleurs à un moment de son récit. Ce n'est pas donné à tout le monde. Pour vivre comme eux, il faut une grande indépendance financière. C'est un luxe que tout le monde ne peut pas s'offrir et qui ne conviendrait pas à la plupart d'entre nous. (D'ailleurs, au passage, 21€ pour un livre de 200 pages, j'ai trouvé cela un peu cher.)

C'est surtout une source intéressante pour repenser nos modes de vie. Ne serait-il pas temps, à une époque où bons nombres de carcans se brisent, sans forcément briser la sacro sainte famille, d'oser vivre un peu comme on pourrait en avoir envie ? C'est en tout cas comme cela que j'ai perçu cet essai.
Commenter  J’apprécie          30
Le combat Adama

Voici un livre inclassable, quelque part entre l'essai et le témoignage, où s'entremêlent les voix d'un sociologue et d'une femme devenue militante suite à la mort de son frère lors d'un contrôle de police. Un livre inclassable mais stimulant, percutant ; aussi bien pour les analyses originales de Geoffroy de Lagasnerie, dont la capacité à renouveler notre regard sur le monde est décidément solide, que pour les mots d'Assam Traoré, femme impressionnante de force, de dignité et de justesse face à tout ce qu'à subi sa famille comme violences étatiques.



Pour le dire en une phrase, ce que propose ce bouquin c'est de réfléchir à la nature et aux fonctionnements d'institutions souvent données pour acquises (la Police, la Justice, la Démocratie mais aussi le Militantisme) à partir d'une situation locale, dont on peut pourtant tirer des questions et des enseignements riches. Cette situation, c'est la mort d'Adam Traoré dans une gendarmerie d'Ile-de-France, après ce qui aurait du être un "simple" contrôle d'identité.



Lagasnerie et Traoré enchaînent les prises de parole dans des styles complètement différents. Au jargon assez académique du sociologue, avec des concepts cisaillés comme des armes de guerre, répond l'écriture presque orale, répétitive mais convaincante, de la militante.



Quelques idées fortes se dégagent de cet ouvrage.

- Que le travail réel de la police est méconnu. On s'imagine volontiers le policier répondant à la violence initiale d'un gangster pour maintenir l'ordre social. Au quotidien, certaines des activités policières les plus courantes - comme le contrôle d'identité - sont pourtant en contradiction avec cette idée de base puisque c'est la police qui initie un cycle de tensions - pouvant provoquer des violences en retour qui seront punies. La police peut donc décider de provoquer, ou non, de la violence et les peines juridiques qui suivront.

- Que, selon les lieux géographiques et les origines sociales, voire ethniques, nous n'avons pas la même expérience de la police. Un mec comme moi, blanc et issu de milieu rural, comprends mal l'idée qu'on puisse se mettre à courir en voyant des policiers si on a rien à se reprocher. En même temps mon dernier contrôle d'identité date de plus de dix ans ? Je n'ai jamais eu à avoir peur de sortir sans ma carte d'identité... le vécu de certains jeunes hommes des quartiers est radicalement différent de celui de la majorité des autres jeunes de leur âge - et cette différence vient de l'omniprésence de la police et de ses micro-agressions quotidiennes (tutoiements, controles, fouilles, etc).

- Qu'on ne peut pas penser la police sans penser aussi le rapport à l'espace public, le sentiment de légitimité dans un pays qui se dit démocratique et égalitaire, le rapport à l'école aussi et aux orientations scolaires, à la prison, aux origines ethniques.

- que sous le vocable violences policières on tend à combattre les violences exceptionnelles, illégales, des agents de police ; mais que le fonctionnement "normal", quotidien de la police est lui aussi violent. Et que cette violence, associée à la capacité qu'ont les policiers de produire leur propre règle de droits puisque ce sont eux qui appliquent ou non les lois, pose des questions sérieuses sur ce qu'on appelle démocratie. Ainsi de la frontière beaucoup plus flou que prévue entre Etat de droit et Etat policier.



Le livre se termine par des interpellations aux mouvements sociaux. Est critiqué la volonté aussi systématique qu'idiote de vouloir une "convergence des luttes" qui détruit toujours le pouvoir d'un combat initial. Mais aussi la tentation de privilégier les analyses économiques, au détriment du rapport à l'ordre policier - pourtant central dans la vie quotidienne de bien des gens. Il le résume ainsi dans une interviex : "Aujourd’hui, il y a toute une réflexion à mener sur la remise en question de l’appareil répressif d’État, de la Loi, de la Police… Si l’on veut créer un mouvement de gauche aujourd’hui, le racisme et la question de la police sont peut-être la question centrale. "



Un livre très utile pour aider à penser les "violences policières" (terme que Lagasnerie récuse, d'ailleurs) et le rôle de la police dans nos pays occidentaux.
Commenter  J’apprécie          20




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Geoffroy de Lagasnerie (281)Voir plus

Quiz Voir plus

L'apache aux yeux bleus

Quel âge a le personnage principal ?

3 ans
6 ans
13 ans
11 ans

10 questions
276 lecteurs ont répondu
Thème : L'Apache aux yeux bleus de Christel MouchardCréer un quiz sur cet auteur

{* *}