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EAN : 9782213717104
96 pages
Fayard (26/08/2020)
4.1/5   59 notes
Résumé :
Parce que, depuis plusieurs décennies maintenant, la gauche ne cesse de stagner, de régresser, voire de perdre l’ensemble des batailles, il est nécessaire de nous interroger sur nos stratégies, nos réflexes, nos manières de penser et de lutter : A quelles conditions la gauche pourrait-elle redevenir puissante politiquement ?
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
En septembre 2020, le philosophe et sociologue Geoffroy de Lasgasnerie était l'invité du grand entretien de Léa Salamé et Nicolas Demorand sur Franceinter afin de faire la promotion de son dernier livre, un petit essai de stratégie politique destiné aux militants de gauche. Son intervention a fait grand bruit et ses propos sur la nécessité d'influencer la jeunesse et sur la vacuité de débattre sur des plateaux majoritairement de tendance droite/extrême-droite ont choqué le bourgeois par leur radicalité, ce qui m'a évidemment donnée envie de découvrir les écrits du chercheur. Très court (moins de cent pages) et peu chère (5€), « Sortir de notre impuissance politique » est un ouvrage accessible et un peu curieux dans la mesure où les idées de l'auteur de sont pas particulièrement agencées : il n'y a pas de plan ou de sommaire, Geoffroy de Lagasnerie se contentant de faire défiler sa pensée, un peu comme s'il donnait une conférence sur le sujet. La lecture s'en trouve fluidifiée, si bien qu'on se prend à lire l'ouvrage d'une traite, tout en étant tenté de s'arrêter régulièrement afin de prendre des notes. Les propositions détaillée ici n'ont rien de particulièrement novatrices, mais le propos de l'auteur n'est pas de proposer de nouveaux modes d'action, plutôt de s'interroger sur ceux que nous utilisons actuellement et de réfléchir sur ceux qui seraient les plus efficaces pour que les forces de gauches puissent enfin conquérir le pouvoir. L'auteur commence par expliquer l'intérêt de sa démarche en évoquant le sujet de la codification de la contestation politique par les militants eux-mêmes. Pour Geoffroy de Lagasnerie, exister politiquement aujourd'hui « se résume largement à reprendre des instruments pré constitués sans en interroger la force et l'efficacité. » D'où une confusion de plus en plus grande dans l'esprit des militants entre action politique et expression politique. Or, l'auteur pointe du doigt le fait que ce que nous avons tendance à considérer comme des modes d'action sont en fait des modes d'expression (aller dans la rue, pétitionner…) et, si ces derniers sont indispensables, ils ne suffisent pas. D'où le constat posé par le philosophe et qui constitue le point de départ de l'ouvrage : ce n'est pas parce que la gauche ne fait rien qu'elle perd, mais parce que la manière dont elle agit n'est pas efficace pour gagner.

L'une des premières raisons de la défaite pointée du doigt par l'auteur réside dans notre manque d'autonomie temporelle : « nous ne cessons de nous situer par rapport à l'état et en fonction des actions de l'état ». On se contente donc de réagir aux attaques des dominants plutôt que de nous imposer à eux. Sauf que lutter en permanence contre les nouvelles réformes des dirigeants sous-entend implicitement que nous défendons les institutions et leur fonctionnement tels qu'ils sont actuellement. « Lorsqu'un gouvernement avance un projet et que nous nous mobilisons contre, s'il recule, alors nous appelons victoire ce qui est le maintien d'une situation que nous critiquions auparavant. » le fait d'appeler une non défaite « victoire » convertit dans les esprits l'ordre actuel en un ordre voulu et souhaité. L'auteur pointe ensuite du doigt l'erreur tactique qui consiste à s'adresser aux dominants, que ce soit par des actes symboliques, des pétitions ou des lettres. Pour lui, élaborer nos discours pour qu'ils s'adressent aux personnes exerçant le pouvoir est une perte de temps. le boycott est considéré comme une stratégie plus efficace que la participation à de faux débats qui « nous amène à reconnaître nos ennemis comme des interlocuteurs légitimes » Pour le sociologue, étudier, documenter et publier des chiffres afin d'exposer à ceux qui nous gouvernent la réalité du terrain n'aura aucun impact. On a tendance à considérer que seule la déconnexion du réel de nos dirigeants expliquerait leurs prises de décisions ahurissantes, or ce que l'on prend pour de la méconnaissance est en fait du déni. Cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter de documenter ces réalités, seulement qu'il faut arrêter de le faire à l'adresse des dominants. Il est revanche une catégorie de la population à laquelle il est vitale de s'intéresser dans la mesure où « ce qui décidera, en dernière instance, de la résolution du conflit, ce sera la démographie ». L'auteur veut bien sûr parler ici de la jeunesse qu'il serait stratégiquement crucial de conquérir puisque ce sont eux qui, dans plusieurs années, accéderont au pouvoir et aux institutions. Geoffroy de Lagasnerie pointe notamment du doigt l'importance clé de l'université, institution qui détient un quasi monopole sur la formation des structures mentales de la société.

Autre mode d'action proposé car jugé efficace par l'auteur : l'action directe. C'est par exemple ce que font les associations qui affrètent des bateaux pour secourir les migrants en Méditerranée, ou encore Cédric Herrou qui apporte aide et assistance à ceux qui ont fui leur pays pour se réfugier en Europe. Les lanceurs d'alerte peuvent également être mis dans cette catégorie dans la mesure où leur action s'apparente à du sabotage puisqu'il s'agit de perturber le fonctionnement d'une institution de l'intérieur. L'action directe a pour mérite de placer l'état en situation défensive et, s'il elle n'a pas vocation à être utilisée constamment, elle doit en tout cas devenir un réflexe. A cela s'ajoute l'action juridique et l'action par le droit qui ont déjà prouvé leur efficacité. L'auteur se pose aussi la question de l'intérêt stratégique de l'usage de la violence en partant du constat que nos pratiques de lutte reposent aujourd'hui majoritairement sur deux modes d'action (festive avec les manifs, ou auto-sacrificielle avec des actions comme la grève ou la grève de la faim). Or aucune de ces deux pratiques n'est a même de faire plier les gouvernants. Faisant alors référence à Günther Anders, auteur allemand à l'origine en 1987 d'un ouvrage intitulé « La violence oui ou non », Geoffroy de Lagasnerie rappelle qu'agir efficacement politiquement ne consiste ni à faire la fête, ni à souffrir, mais à faire souffrir son adversaire. Pour autant la violence est-elle efficace ? L'auteur finit par en déduire que non et justifie sa prise de position par le fait que le monopole exercé par l'état sur les armes et la justice pénale exposerait trop les partisans d'actions violentes à l'appareil répressif des dominants. Or, outre les souffrances que cette répression provoquerait, elle aurait un autre aspect négatif dont on a déjà pu observer les effets il y a peu, notamment lors des manifestations des Gilets Jaunes, à savoir la déviation de l'objectif. On se mettrait alors davantage à parler des violences policières subies par les manifestants que du sujet même de la manifestation (ce qui ne veut pas dire que les violences policières ne peuvent pas être elles-mêmes à l'origine d'une mobilisation).

L'auteur aborde ensuite l'un des modes d'action qui semble avoir sa préférence car il implique de penser sur le long terme et de s'inspirer des méthodes de nos adversaires politiques : infiltrer l'appareil d'état. Pour le philosophe, la conquête des institutions est jugée par la gauche comme un mode d'action trop peu radical, alors qu'il peut devenir une arme puissante. Il faudrait donc encourager les gens de gauche à ne pas déserter les institutions avec lesquelles ils sont en désaccord (justice, enseignement, police) mais à s'y intégrer afin de la changer de l'intérieur. A la critique de la compromission et du risque de se faire en partie récupérer, il répond que ces risques sont aussi présents hors de l'institution, dans toute action collective. L'infiltration aurait également comme effet positif de rompre « la spirale du silence », concept élaboré par Noëlle-Neumann Elisabeth et qui consiste à dire que les gens s'auto-censure lorsqu'ils pensent être en minorité dans leur champ par anticipation des réactions que l'énonciation de leur opinions provoquerait. Il suffirait que les individus d'une institution se sentent moins isolés pour qu'ils changent d'eux-mêmes leur pratique. L'auteur revient aussi sur la nécessité d'infiltrer les structures de la vie quotidienne, à l'image de ce qu'a pu faire le parti communiste au XXe siècle. « C'est dans la vie autant que dans la lutte qu'il faut inscrire l'identité progressiste. » Changer le droit ne met pas fin à la domination, c'est aux structures mentales qu'il faut s'attaquer (et l'auteur de développer l'exemple des noirs aux États-Unis qui, en dépit de l'abolition de l'esclavage puis de la ségrégation, sont toujours autant discriminés). Dernier point du raisonnement exposé dans l'ouvrage, la tentation contre productive de réinscrire toutes les luttes dans une histoire ou un système. Il met ainsi à mal le mot d'ordre de la « convergence des luttes » qui vise à rassembler les contestataires en rappelant qu'ils subissent tous la même domination. Or il est beaucoup plus facile d'imaginer lutter contre les contrôles au faciès et le comportement de la police dans les banlieues que de vaincre le racisme et le colonialisme. Pour Geoffroy de Lagasnerie, « les luttes sont fortes lorsqu'elles sont spécifiques et locales. »

Petit essai de stratégie politique à destination de la gauche, l'ouvrage de Geoffroy de Lagasnerie fait réfléchir sur les modes d'action utilisés par les forces progressistes françaises et leur efficacité. Si les méthodes proposées n'ont rien de novatrices (infiltration de l'appareil d'état, action directe, concentration des efforts sur la jeunesse…), les réflexions du philosophe et sociologue sur leurs limites et avantages permet de mieux cerner les stratégies payantes et celles qui s'avèrent contre-productives ou délaissées car jugées trop peu radicales ou nobles.
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Dans ce livre court à la forme originale, Lagasnerie livre des réflexions sur le militantisme qui sont à la fois très simples et terriblement efficaces pour se remettre en cause. Si le ton snob de l'auteur peut être irritant, la lecture de livre est stimulante.

Un mot sur la forme, d'abord. Lagasnerie ne cherche pas à écrire un essai classique avec une réflexion construite en chapitre. Ce livre se présente plutôt comme un exposé oral qu'on aurait traduit à l'écrit. Les idées se suivent une à une, par association. J'ai trouvé ce système original finalement assez efficace.

Sur le fonds, Lagasnerie se demande pourquoi la gauche perd systématiquement ses combats depuis des années, pourquoi elle peine à imposer ses thèmes dans le débat public ; et pourquoi la droite, elle, y parvient. D'où une réflexion sur les formes de la lutte, du militantisme, sur ce que signifie gagner en politique ou être efficace.

Un livre que j'ai trouvé très stimulant. Il m'a beaucoup parlé parce que j'avais déjà pensé à plusieurs de ces réflexions (par ex : manifester ne sert à rien) sans creuser vraiment le sujet et affronter le tabou de ce genre de pensée (on se dit que si, il faut lutter, qu'on ne peut pas lacher etc, sans penser à changer la façon de lutter). Un des point centraux du livre est de dire qu'il faut distinguer moyen de lutter et moyen de s'exprimer, et qu'on fait souvent le second en croyant faire le premier. Manifester, faire grève, signer des pétitions… c'est dire « je ne suis pas d'accord » en espérant que le gvnt régaisse, mais ce n'est pas lutter dans le sens où ça va faire changer directement les choses. Au contraire, Lagasnerie cite Cédric Herrou et d'autres activistes dont l'action a d'une part changé des choses concrètement dès le départ (pour certains migrants hébergés) et a fini par faire évoluer la loi même en positif. Ces exemples de lutte réussies sont riches d'enseignement (l'auteur parle aussi des luttes LGBT comme inspiratrices car en quelques décennies elles ont réussies à révolutionner la société).

Également j'ai beaucoup aimé les questionnements sur la radicalité. Qu'est ce qu'être radical en politique ? Lagasnerie pointe, à juste titre il me semble, les délires de certains militants (nombreux quel que soit la thématique de la lutte) qui se pensent radicaux parce qu'ils ne font jamais de concession mais qui, se faisant, se condamnent aussi à l'impuissance. Cette posture de radical chic est d'abord un délire égocentré et ne crée pas de changement sur le réel, ce qui devrait d'abord être le but de toute lutte. À l'inverse, des outils de lutte souvent dénigrée sont pourtant très efficaces, si on regarde les faits, comme par ex : pénétrer les institutions en gagnant les postes de responsabilités. Il ne faut pas avoir peur de se salir les mains, en somme, si on veut changer concrètement les choses. La recherche de pureté condamne à rester inefficace.

Citons encore le dégommage en rêgle de la "convergence des luttes" : une pensée féconde et originale, contraire à toute la mode militante autour de cette notion très usitée mais peu réfléchie.

Pourtant Lagasnerie est moins convaincant parfois. On retrouve ses travers habituels pour qui a déjà lu plusieurs de ses livres : un ton snob, un peu donneur de leçon. L'auteur est à mon sens un des penseurs politiques les plus stimulants de l'époque, il en reste quand même agaçant même quand on est d'accord avec lui. Par ailleurs il est souvent trop théorique, et peu observateur du « concret », comme quand par ex il parle du libéralisme en ne s'attachant qu'à ce que disent certains de ses théoriciens et sans regarder les mises en pratique concrètes de ces théories (à ce niveau, je lui conseille d'ailleurs le dernier livre de David Cayla). Mais c'est du détail. C'est un livre utile et intéressant !
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Ce petit livre de 90 pages s'adresse à tous les militants (qu'ils soient du genre insoumis pro élections ou anarchistes abstentionnistes). Lagasnerie nous interroge sur l'efficacité de nos actions. Qu'est ce qui est à garder ? Qu'est ce que l'on doit changer ?

Je ne sais pas si ce genre de réflexions sur l'efficacité des luttes est commun. J'ai lu il y a peu l'altruisme efficace de Peter Singer qui, d'une manière très complémentaire, interroge l'efficacité des différentes luttes. Ici Lagasnerie sonde le bienfait des pratiques militantes, peu interrogées et devenues inefficaces. Si les grèves portaient leurs fruits il y a 30 ans, aujourd'hui, elles ne parviennent pas à être rentables étant donné l'énergie et le coût financier que doivent supporter les grévistes. Il propose des formes d'actions radicales qui sont souvent perçues comme une renonciation, un manque à la pureté : l'infiltration des institutions serait une vraie radicalité. Il souligne les bienfaits d'avoir de nombreux magistrats de gauche radicale plutôt que la situation actuelle où la majorité des militants faisant des études de droit deviennent avocats.

Il interroge également sur la contestation telle qu'elle est menée depuis 30 ans : contre la loi retraite, contre la réforme du droit du travail, contre le CPE. La gauche ne fait plus que des luttes défensives. En plus d'être rarement victorieuses, les rares victoires ne sont en fait que des statut quo. Très difficile de provoquer de grands enthousiasme pour défendre un monde d'avant la réforme qui ne nous convenait pas. On ne va plus de l'avant. A quand la dernière manifestation pour une réduction du temps de travail pour un travail pour tous, de meilleure qualité ?

En moins de 100 pages, très claires et lisibles, on réfléchit beaucoup et on se remet beaucoup en question. Même si je trouve certains jugement trop hâtifs sur L214 qui contrairement à ce qu'il dit n'a pas fait que diffuser des images abattoirs mais à fait changer de nombreuses lois et a donc fait beaucoup plus pour le bien être animal que n'importe quelle autre association. Sans compter l'éveil des consciences que cette association a porté. Ce livre risque de se heurter au sceptisisme des luttes traditionnelles parce qu'il ne souligne pas assez l'utilité des manifs (par exemple la manif du comité adama traoré suite à la mort de georges floyd qui a mis le sujet sur le devant de la scène). Il interroge surtout le fait que l'on se dit que l'on a fait notre part quand on revient d'une manif et que rien n'a changé.

D'autres sujets sont abordés comme la croyance que nos dirigeants sont simplement des gens ne se rendant pas compte des problématiques sociales et sont mal informés. Qu'il suffirait de les en informer mieux. L'utilité du refus de voter est également remise en question. Ainsi que le lien social à instaurer avec les classes populaires pour qu'à nouveau, le PCF ou d'autres partis progressistes soit le vote naturel des exploités.
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Ce petit livre peut être une révélation pour certains, et j'encourage toutes les personnes un peu engagés politiquement à se le procurer. le propos est d'analyser la raison pour laquelle depuis quarante ans aucune lutte ne fonctionne, la gauche est retranchée dans une posture défensive, il n'y a plus aucune conquête sociale, les victoires sont des statu quo (quand on a obtenu le retrait d'un projet infâme). On en voit actuellement des exemples.
Certains arguments m'ont particulièrement intéressé :
- Les modes d'action classiques (grèves, manifestations, ...) sont à l'évidence obsolètes car on rentre chez soi en ayant l'impression d'avoir agi alors qu'on n'a rien fait, et ils ont un coût immense pour l'organisation ou les personnes concernées directement, des moyens qui pourraient être consacrés à des modes d'action plus efficaces et ciblés (action directe).
- Il serait plus utile d'étudier comment à l'inverse les stratégies de la droite sont efficaces : infiltrer les instances, faire du lobbying et exploiter les institutions existantes à son profit. Au contraire une personne de gauche va avoir tendance à boycotter, à démissionner, à s'abstenir ce qui est contre-productif.
- il n'y a pas de non-violence, cela revient simplement à reconnaître le monopole de la violence légitime à l'État. Au contraire certains philosophes estiment que la violence peut être le fait de la personne contre laquelle elle s'exerce (comme de la légitime défense). Néanmoins rechercher l'affrontement avec la police est stupide et suicidaire, car au mieux le militant passera deux jours en garde-à-vue, au pire il peut faire de la prison ou être blessé, ce qui le rendra inutile pendant quelques temps et risque même de le faire renoncer à la lutte en raison de son coût trop élevé.
- la convergence des luttes est une chimère : il est plus efficace de s'attaquer aux problèmes séparément, plutôt que de désigner un responsable commun (le capitalisme, le patriarcat, le colonialisme ce que vous voulez), qui est beaucoup plus dur à abattre, et pas forcément pertinent dans tous les sujets. Les militants par leur sensibilité différente et les hasards de leur parcours, se concentrent sur un sujet et ne doivent pas regretter de ne rien faire sur les autres sujets, c'est impossible de se battre sur tous les fronts à la fois (le féminisme, l'environnement, etc.).

Je vais m'arrêter là, on pourrait tout recopier mais lisez-le donc plutôt vous-même.
Achetez-le, offrez-le, prêtez-le.
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Ecrit comme les différentes étapes d'une conférence ce petit livre se lit facilement et propose une réflexion sur les moyens, les méthodes pour que la gauche soit à nouveau puissante politiquement. On peut donc résumer le livre ainsi : du constat d'une gauche qui s'est impuissantée, devenue une force presque uniquement défensive (les luttes contre telle ou telle loi/réforme), on passe à la critique des méthodes traditionnelles (le sitting, la grève, la pétition) et même le non-sens que l'on peut retrouver parfois dans ces pratiques (chanter, rigoler, faire d'une grève une sorte de "sortie entre amis"). L'auteur en vient donc à prôner la méthode de l'action directe, qu'elle soit telle qu'on l'imagine (occupation, pratiques "illégales") à une action directe moins visible mais tout aussi puissante (devenir magistrat par exemple ou maître de conférence).
La question de la violence n'est pas évacuée, même si l'on sent que l'auteur ne désire pas en faire le sujet principal de son livre : pas de non-violence (qui est là aussi un non-sens) mais une acceptation du militant comme en situation de délinquance lorsqu'il pratique certaines actions et qu'il y a de toute façon une remise en question de la loi, qui est celle de ceux que le militant combat. Pour autant l'affrontement avec la police est lui aussi remis en question : peut-on vraiment se satisfaire d'une grève qui n'existerait que parce qu'elle est source d'affrontements ?
Ce qui anime ce livre c'est l'idée que la gauche se serait perdue dans une généralisation du monde : au final les luttes se doivent d'être concrêtes, véritablement utiles et prenant en compte l'irrationalité du monde : il n'y a pas de convergence des luttes, il y a un ensemble de systèmes à combattre et cela en infiltrant ces systèmes et/ou en luttant directement contre des pratiques particulières qui, dénoncées, combattues, peuvent être abolies et faire réussir les forces progressistes.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Ne vivons-nous pas dans un champ politique tel que l’expression de la dissidence est déjà inscrite dans le système et donc en un sens programmée par lui ?
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« D’ailleurs, lorsque l’argument de la légalité est avancé par les autorités, il ne faut jamais oublié de rétorquer que la personne la plus condamnée de France est le préfet de police de Paris, avec 135 condamnations pour entrave au droit d’asile en 2016. »
p. 48
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Là où certains pourraient voir dans l'acceptation du recours à la violence et même le soutien à celui-ci une sorte de renonciation à la raison, Anders affirme au contraire que c'est le rationalisme qui pousse à reconnaître les limites de la raison : il ne faut se faire aucune illusion sur le pouvoir du dialogue et de la conviction. Il y a des moments où seule la force est susceptible d'infléchir le cours des choses.
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Günther Anders ancre son acceptation du recours à la violence dans une critique des formes traditionnelles de la contestation. Il dit que la contestation contemporaine prend la plupart du temps deux formes : soit des formes joyeuses, comme la manifestation, où nous chantons et sourions, soit des formes autosacrificielles, dont la grève de la faim est la modalité la plus extrême et la grève la modalité plus courante, où nous nous faisons souffrir nous-mêmes. Mais dans les deux cas, Anders s’interroge : comment de telles modalités pourraient-elles faire plier les gouvernants et ceux qui nous menacent ? Ces méthodes qui définissent ce que nous appelons les « pratiques de la lutte », ne lui semblent pas susceptibles de modifier les comportements des dominants. (p. 16)
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Ne faudrait-il pas resignifer ce qui est radical, les lieux à investir ? En nous éloignant des institutions, en les fuyant, nous nous condamnons à laisser les positions de pouvoirs, et donc l'initiative du temps, aux réactionnaires - comme des sujets dont la vie politique est réduite à l'occupation d'une position réactive.
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Vidéo de Geoffroy de Lagasnerie
Rencontre animée par Antoine Idier
Le sort réservé à Joseph K dans le procès de Kafka a de quoi épouvanter : on y découvre un monde régi par un pouvoir « omniprésent et sans règle, effrayant et illogique, tout-puissant mais insaisissable ». Très loin du nôtre a priori. Et, pourtant, nous y reconnaissons quelque chose. Quel est ce « quelque chose » ? Et n'y a-t-il pas matière à nous méfier de cette identification spontanée ? Ce qui nous semble kafkaïen (injuste, arbitraire et donc opaque et imprévisible) ne retrouve-t-il pas une terrible clarté quand on s'extrait de l'appréhension subjective pour penser avec la sociologie ? Joseph K n'est personne en soi ; mais à lui donner un visage, une classe sociale et le cauchemar kafkaïen devient funestement réel, permettant à Geoffroy de Lagasnerie d'interroger la nature même du système judiciaire dans nos sociétés, y compris la notion de jugement et de culpabilité.
« Sans doute est-ce parce que chacun d'entre nous ressent au plus profond de lui-même que notre monde est opaque, que les institutions avec lesquelles nous devons composer pour vivre nos vies sont dotées de fonctions cachées et mystérieuses, (…) que nous cherchons sans cesse, dans la littérature ou la théorie, dans l'art ou la psychanalyse, des interprétations qui pourraient nous dire la vérité de ce qui est – nous révéler ce qui se joue derrière la façade trompeuse des apparences. » Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka
À lire – Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka, Flammarion, 2024.
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