Gérard Cogez

Parmi les éléments à charge qui pèsent lourd dans le procès que l’on peut faire aux esclavagistes, il faut citer les chiens qui donnent à la pièce son titre. Symboles et instruments actifs de la suppression de toute liberté, dressés à cet effet, ils furent utilisés pour semer la terreur parmi les asservis et font l’objet de nombreuses évocations dans la pièce. Dans presque toutes les occurrences, le mot sert soit comme métaphore de l’esclavagiste, soit surtout à évoquer l’usage que l’on fit de l’animal contre les Noirs, en particulier dans les chasses à l’homme organisées pour retrouver les esclaves marrons.

On sait désormais que le régime colonial laisse des traces qui subsistent bien après la proclamation de l'indépendance, et suscite des discordes internes qui permettront à l'ancienne puissance conquérante d'exercer sa domination sous d'autres formes.

Césaire, qui a lu le livre de Cheikh Anta Diop, 'Nations nègres et cultures', insiste également sur le fait que l'Afrique, contrairement à ce qu'en disent tous ses contempteurs, a connu de brillantes civilisations, avant que celles-ci ne soient ravagées par les conquérants européens. Appréciation et compréhension du théâtre de Césaire ne peuvent que bénéficier de la lecture préalable de ce texte qui en annonce, d'une certaine façon, les principaux moments.

J'appartiens à l'une des plus vieilles familles d'Orsenna.Je garde de mon enfance le souvenir d'années tranquilles,de calme et de plénitude, entre le vieux palais de la rue San Domenico et la maison des champs au bord de la Zenta, où nous ramenait chaque été et où j'accompagnais déjà mon père, chevauchant à travers ses terres ou vérifient les comptes de ses intendants.

C'est pratiquement "à chaud" que Césaire se lance dans la rédaction d'"Une Saison au Congo", parue en 1966 dans sa première édition, quelques années seulement après la mort de Lumumba (1925-1961). Le risque était donc assez élevé de commettre des erreurs d'interprétation que les travaux historiques ultérieurs pouvaient infirmer. Il se trouve cependant que rien d'essentiel dans ce que Césaire a écrit sur cette période critique de l'histoire du Congo n'a été démenti par les nombreuses investigations qui ont porté par la suite sur l'avènement et l'assassinat de Patrice Lumumba. Le dossier s'est pourtant considérablement alourdi pendant plusieurs décennies, de nombreuses précisions ont été apportées sur les événements, et certaines preuves sur les implications en cause ont été extraites des archives. Césaire a suivi de près le déroulement des faits et a respecté l'enchaînement des circonstances, leur chronologie, sans pour autant céder à la tentative de la chronique. L'auteur réussit pleinement le passage à la scène de cette tranche d'histoire contemporaine dans la mesure où il sélectionne les différents épisodes de cette tragédie d'une grande complexité et compose ainsi une interprétation particulièrement démonstrative et d'une grande rigueur.

L'idéologue Vastey, l'un des proches conseillers de Christophe, a décrit par le menu les crimes épouvantables commis par les colons de Saint-Domingue : descriptions presque insupportable de tortures toutes plus effroyables les unes que les autres et pour la plupart corroborrées par de nombreux témoins. Ces innombrables crimes contre l'humanité rendent presque anodines, par comparaison, les mesures prises par le roi, certes parfois plus qu'autoritaires, mais toutes empreintes du désir sincère d'empêcher la moindre possibilité de retour des monstruosités esclavagistes.

L'écrivain avait en fait, dans sa fureur, écrit un long monologue sur le caractère inacceptable des souffrances du peuple noir et de tous les peuples colonisés en général.
On s'en est pleinement avisé lorsque Antoine Vitez a lu le texte dans sa quasi-intégralité en 1989 sur la scène d'Avignon. C'est un réquisitoire d'une puissance inouïe que le public a pu entendre.

Après des années de lutte devant l'Assemblée nationale, sans pouvoir obtenir des gouvernements successifs que les anciens territoires d'outre-mer soient enfin administrés comme des départements français à part entière, le député Aimé Césaire se sent gagné progressivement par une immense colère.

Cette fonction de témoignage est sans doute primordiale dans le contexte de l'esclavage et de la colonisation, où c'est l'appartenance même à l'espèce humaine de certains peuples qui est remise en question en raison de leur particularité ethnique, religieuse ou raciale. Et ce, dans la mesure où les intéressés eux-mêmes, victimes indirectes, comme descendants, d'un processus d'extermination ou de crimes massifs, sont très fortement enclins à jeter un voile d'oubli sur ce passé.

Il reste que sa tâche de maire et surtout de député fut très loin d'être de tout repos. Il a pu y mesurer la grande difficulté à se faire entendre, à tenter de convaincre, à l'Assemblée nationale en particulier, des gens qui ne veulent pas l'être. Beaucoup affirment qu'en ce lieu de débat, il fut considéré comme l'un des grands orateurs de son temps, mais l'efficacité de cette parole brillante fut rarement au rendez-vous. Après avoir été rapporteur de la loi sur la départementalisation des territoires d'outre-mer, votée en 1946, il dut se battre ensuite pendant des lustres pour que cette loi fût appliquée dans tous ses aspects. En prononçant ses innombrables discours pour la défense de la Martinique, que l'on peut considérer, pour la plupart, comme de véritables textes littéraires, il ne manque pas d'occasions de s'interroger justement sur le pouvoir de la transformation, l'influence de la parole publique – en particulier sur les masses.

Nerval a dû surtout se préoccuper de marquer son originalité à l'égard de ses deux prédécesseurs les plus illustres au Levant (Chateaubriand et Lamartine), en se différenciant d'eux autant qu'il l'a pu sur le terrain littéraire. Il s'en distinguera sur plusieurs plans. Il insistera particuliè rement, par exemple, sur le registre de la solitude et de l'anonymat. Manière de faire contre mauvaise fortune bonne figure certes, là où les autres ont les moyens de mettre sur pied une véritable expédition, de se nantir d'une confortable suite.

Une autre raison pour laquelle Gérard veut associer son nom à celui de Faust, outre que le thème du savant diabolisé est alors à la mode, tient à ce qu'il fut très tôt attiré par le théâtre, partageant en cela l'intérêt de ses contemporains. Tout lui indique qu'écrire pour la scène, lorsque l'on est un jeune écrivain démuni, sans appui, sans fortune, c'est se donner une chance de se faire rapidement un nom, en s'assurant du même coup l'assise qui permet de se consacrer à la littérature à temps complet.

Autre avantage du pouvoir sans faille que le roi exerce : il détient le privilège d'attribuer des noms à ses concitoyens, par exemple en leur accordant la responsabilité de territoires du pays. C'est une décision d'une haute importance symbolique : il va baptister comme il l'entend les nouveaux personnages importants, comme un dramaturge nomme ses personnages. Il espère ainsi faire comprendre à tous que se trouve révolue la période de l'esclavage, où les transplantés arrivant sur l'île perdaient instantanément leurs noms africains pour être désignés selon le bon plaisir de leurs maîtres qui les marquaient parfois des appellations les plus ridicules.

En réalité, tout part du désir de conquête. Ensuite vient chronologiquement la nécessité de légitimer la violence inouïe exercée sur les peuples dont on accapare les richesses. La hiérarchisation des races fut la doctrine utilisée pour remplir cette fonction. Et Césaire de dénoncer tous ceux qui, peu ou prou, ont apporté de l'eau au moulin de cette conception.

Et pour se dédouaner de la conquête des terres coloniales, le prédateur occidental avance le non moins célèbre argument de terres où il n'y avait "personne", en tout cas aucun être que l'on puisse vraiment considérer comme HUMAIN, en conséquence de quoi ces terres étaient à prendre et à faire fructifier.

Tous ceux qui ont eu la force de se lancer dans des mouvements de révolte en prenant conscience de ce que l'on infligeait à leurs frères, tous ceux qui ont eu le courage de se lever, l'ont fait au nom de tous les autres, qui n'avaient plus la ressource de parler, ayant sombré dans un abrutissement sans retour.

Le maître a pris peur car il a compris aux quelques mots entendus que la soumission de son esclave appartient désormais à une époque révolue, que celui-ci est passé du côté des révoltés, des fuyards, des marrons, des empoisonneurs, en bref de tous ceux qui n'acceptent plus leur condition, quel que soit le prix à payer.

Juillet 1943 : la Martinique est en effervescence, l'été s'annonce *chaud* depuis quelques mois. Le peuple de l'île, à bout de force et d'exaspération, s'insurge et, avant la métropole, se libère du régime de Vichy, se rallie à la France Libre et chasse l'amiral Robert, gouverneur de la faim et de la peur, de sinistre mémoire.

Césaire dut très souvent confronté, dans les interviews, à la remarque concernant le hiatus, voire la contradiction, entre son engagement d'écrivain et son implication politique. Sa réponse fut toujours sans ambages : ce sont deux activités certes très différentes, mais pour lui intimement liées, compte tenu de ses profondes convictions et de son attachement au peuple martiniquais.

Il faut, selon Césaire, réactiver le souvenir des atrocités de la traite, n'en déplaise aux esthètes, à tous ceux qui voudraient faire comme si elles n'avaient jamais existé.