Agnes Vidalie, éditrice aux éditions du Rocher présente "Antonietta, Lettres à ma disparue" à paraître le 1er septembre 2021.
Quatrième de couverture :
Alors que la maladie d'Alzheimer de sa femme Antonietta progresse, Gérard Haddad prend la plume pour écrire à celle qui ne parle déjà plus. Ces lettres retracent la lente progression de la maladie : d'abord le déni, puis la lutte, les traitements et l'espoir de revivre « comme avant », puis les rechutes et l'entrée à l'Ehpad, peu avant l'épidémie de Covid et l'absolue solitude qu'elle impose pendant plusieurs longs mois.
Étrangement, du creuset de la maladie émerge un nouvel amour, triomphant de tous les malentendus des années de vie partagées. Les souvenirs des moments de grâce affluent alors, et chaque instant de vie à partager encore prend une intensité et une profondeur insoupçonnée.
Un texte poignant, qui dit toute la force d'un amour conjugal confronté à la maladie.
Gérard Haddad est psychiatre et psychanalyste mais aussi écrivain, traducteur de l'hébreu et éditeur. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment coécrits avec Antonietta Haddad, comme "Freud en Italie, psychanalyse du voyage" (Albin Michel, 1995). Plus récemment, il a publié "À l'origine de la violence (Salvator, 2021)".
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Le dernier séminaire où il parvint à articuler un discours audible fut celui consacré à Joyce, Le Sinthôme. Comment pallier la psychose dans un espace psychique où la métaphore paternelle est absente ? Par la prothèse de l’ego, c’est-à-dire en parvenant à se faire un nom. Telle fut la thèse nouvelle ou l’aveu d’échec qu’il avança à ce séminaire. Sans Nom-du-Père, déclara-t-il un jour, nous allons vers un monde concentrationnaire dont les nazis furent les précurseurs. Le père moderne avait désormais pris cette figure illustrée par Claudel sous le titre de père humilié. Mais il n’y aura bientôt plus de père du tout. Telle fut, me semble-t-il, la vision tragique qui occupa sa pensée à la fin de sa vie et qu’il résuma un jour à sa présentation par ce « tous à l’asile » déjà rapporté, accompagné d’un effrayant ricanement.
Ce terme de castration porte dans le langage courant une lourde charge péjorative. Le castré, c’est le pauvre bougre, sans désir ni volonté. L’enseignement de Lacan, à l’inverse, confère à la castration dite symbolique, une signification hautement positive. Elle en devient la visée même de la cure. La castration est l’opération symbolique d’accession au désir par l’acceptation de son destin d’être mortel. Je gravissais péniblement cette pente-là.
[à propos de la dissolution de l’Ecole de Lacan par Lacan lui-même]
Cette dissolution, c’est lui, et lui seul, qui l’avait voulue, passionnément, avec la rage douloureuse de détruire sa propre œuvre. Pourquoi ? Sans doute pour ne pas laisser peser sur la psychanalyse, passion de sa vie, la charge d’une nouvelle institution perverse, au pouvoir démesuré.
𝘊𝘦𝘵𝘵𝘦 𝘩𝘰𝘳𝘳𝘪𝘣𝘭𝘦 𝘮𝘢𝘭𝘢𝘥𝘪𝘦 𝘮𝘦 𝘧𝘢𝘪𝘴𝘢𝘪𝘵 𝘢𝘤𝘤é𝘥𝘦𝘳 𝘢𝘶 𝘱𝘶𝘳 𝘢𝘮𝘰𝘶𝘳 𝘲𝘶𝘦 𝘵𝘶 𝘷𝘰𝘶𝘭𝘶𝘴 𝘮'𝘦𝘯𝘴𝘦𝘪𝘨𝘯𝘦𝘳 𝘥𝘦𝘱𝘶𝘪𝘴 𝘭𝘦 𝘱𝘳𝘦𝘮𝘪𝘦𝘳 𝘫𝘰𝘶𝘳 𝘦𝘵 𝘲𝘶𝘦 𝘫𝘦 𝘯𝘦 𝘴𝘶𝘴 𝘳𝘦𝘤𝘦𝘷𝘰𝘪𝘳 𝘲𝘶'𝘢𝘶 𝘮𝘰𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘥𝘦 𝘤𝘦 𝘥é𝘴𝘢𝘴𝘵𝘳𝘦.
[…] c’est à cette période que Lacan découvrit le cancer du côlon qu’il avait décidé de ne pas traiter et qui allait l’emporter quelques années plus tard. J.-A. Miller me rapporta ce témoignage : à ses proches qui l’interrogeaient sur la raison de son refus de l’intervention chirurgicale, il répondit, avec l’insupportable sourire ironique qu’il arborait à l’occasion : « Tel est mon caprice. »
Parvenir à accepter et à dépasser le malentendu fondamental et irréparable qui sépare un homme et une femme (ce que signifie sa fameuse formule « Il n’y a pas de rapport sexuel »), telle était la visée finale de l’analyse avec le deuil qu’elle implique, celui de l’illusion d’une possible harmonie idyllique.
La question paternelle, désignée par lui du signifiant Nom-du-Père, était au cœur de son enseignement, question que lui-même, je le découvrirai plus tard, vivait douloureusement, fondant sa théorie sur cette douleur.
[…] il y a du texte juif dans les coulisses de la psychanalyse. Pas du texte kabbalistique, ésotérique, fascinant de mystère, mais du trivial texte talmudique, maïmonidien, ancêtre du discours des Lumières.
Peut-être Lacan fut-il fasciné par la mélancolie de saint Thomas d’Aquin à la fin de son existence. Dès l’acte fondateur de l’EFP, la Proposition d’octobre 1967, il inséra cette citation pour caractériser la fin d’une analyse telle qu’il la concevait : sicut palea, que Lacan traduisait par « comme du fumier » (en vérité « comme de la paille »). Au bout de son parcours, le sujet considère son œuvre comme une merde. La dissolution fut peut-être le sicut palea de son existence.
[Jacques-Alain] Miller haïssait d’une haine proprement pathologique l’EFP créée par son beau-père, Lacan. Plus tard, à chaque crise du groupe de psychanalystes rassemblés autour de lui, crises qu’à l’occasion il suscitait lui-même, il évoquera le spectre de l’EFP. Cette haine recouvre sans doute celle, paradoxale, qu’il porta à Lacan lui-même, lequel, il est vrai, ne le ménageait pas toujours.