Guillaume de Lorris

"Cher Père, dit la demoiselle, il y a là l'annonce d'une mauvaise nouvelle ; votre orgueil ne vaut pas une coque de noix. Sachez que Fortune se moque de vous!"

En ce lieu (...), le rossignol y chante rarement, mais on y entend beaucoup le cri et les plaintes du chat-huant à grosse-tête, ce prophète de malheur, hideux messager de douleur.

Prends donc garde de ne jamais accorder aucun prix ni aux honneurs ni aux services de Fortune. Laisse-la faire marcher sa roue qui tourne continuellement et sans arrêt. Elle est assise en plein milieu, comme une aveugle, aveuglant les uns par des richesses, des honneurs et des dignités ; aux autres elle donne la pauvreté, et quand il lui plaît -elle reprend le tout. Aussi est-il bien fou, celui qui s'en désespère ou qui s'en réjouit tant soit peu, du moment qu'il a la possibilité de s'en défendre, car il est certain qu'il peut le faire pourvu qu'il le veuille seulement. D'autre part, vous faites, c'est incontestable, de Fortune une déesse et l'elevez jusqu'au ciel : vous ne devez pas le faire car il n'est ni juste ni raisonnable qu'elle ait sa demeure en paradis : elle n'a pas cette chance-là, au contraire, elle a une maison fort périlleuse.

Douces richesses mortelles! dites, êtes-vous vraiment en mesure de faire le bonheur de ceux qui vont ainsi emmurées? En effet, plus ils vous entasseront, plus ils trembleront de peur. Et comment peut-on être heureux, quand on n'est pas en sécurité?

C'est ainsi que se venge Monnaie, comme une dame, une reine et un être libre, des serfs qui la tienne prisonnière. Elle reste en paix et se repose, tandis qu'elle empêche de dormir les malheureux, et les fait se préoccuper et se tourmenter : elle les tient sous ses pieds et les mate si bien qu'elle a l'honneur et eux la honte ; et elle les torture et leur nuit de telle façon, qu'elle les fait languir dans son esclavage.

On perd un ami par l'orgueil, par la colère, par la critique, par la révélation des secrets qui doivent être cachés, et par la douloureuse blessure de la calomnie venimeuse.

Je veux maintenant te rappeler brièvement ce que je t'ai dit pour que tu t'en souviennes, car la parole est moins pénible à retenir quand elle est brève.

Une femme doit rire la bouche fermée, car ce n'est pas un beau spectacle de la voir rire à gorge déployée ; la bouche semble alors trop large et trop fendue. Et si elle n'a pas les dents bien rangées, mais qu'elle les a laides et qu'elles ont poussé sans ordre, si jamais elle les montrait en riant, elle risquerait d'en être moins appréciée.

Implorez-les de vous porter secours. Et si vos yeux devant eux se mettent à pleurer, cela sera un très gros avantage […] : c’est un spectacle qui fait bien pitié à voir […]. Et si vous n'arrivez pas à pleurer, prenez en cachette, sans attendre, un peu de votre salive, ou exprimez du jus d'oignon ou d'ail […] pour en enduire vos paupières ; si vous agissez ainsi, vous pleurerez toutes les fois que vous voudrez.

Malebouche […] vole aux gens leur bonne réputation sans avoir jamais le pouvoir de la rendre. […] Malebouche fait trop de mal avec sa sale langue, vile et méprisable […] Il est bon d'apaiser Malebouche […]. Il est bon de fermer le bec à Malebouche pour l'empêcher de proférer blâmes et reproches. Malebouche et toute sa parenté […] il faut les avoir par fraude, il faut les servir, les caresser, les cajoler, les flatter, à coups de ruses, d'adulation, de simulation fallacieuse, il faut faire des courbettes devant eux et les saluer, car il est très utile de flatter le chien, jusqu'à ce que l'on ait passé le chemin.

De leur fortune ils [les hommes] ont fait leur maître, ces misérables crapauds terrestres. L'argent ne sert qu'à être dépensé : cela ils n'arrivent pas à le comprendre, et tous, en revanche, veulent répondre à cet argument que l'argent ne sert qu'à être caché. Ce n'est pas vrai, mais ils le cachent bien et ne le dépensent ni ne le donnent.

Tu seras affligé de plusieurs façons, tantôt tu auras chaud, tantôt froid, une fois tu auras le teint vermeil, l’autre pâle.

Prends garde à ne pas prononcer des mots sales et des vulgarités. […] Sers et honore toutes les femmes […]. Et si tu entends un médisant en train de dénigrer les femmes, blâme-le et dis-lui de se taire. […] Règle bien ta conduite, selon tes moyens, en matière de vêtements et de chaussures. De beaux vêtements et de belles parures améliorent considérablement un homme, aussi dois-tu confier ta garde-robe à un tailleur qui sache couper, qui fasse des coutures bien situées, et les manches seyantes et élégantes. Aie des souliers à lacets et des souliers légers d'été et change-les souvent […]. Ne souffre sur toi aucune malpropreté : lave-toi les mains, cure-toi les dents ; si dans tes ongles apparaît un peu de noir, ne l'y laisse pas subsister. […] Celui qui veut faire d’Amour son maître doit être courtois et sans orgueil, se conduire toujours avec élégance et enjouement, et se faire apprécier par sa largesse. […] Et pour que tu sois un parfait amant, je veux et commande que tu aies fixé ton cœur tout entier en un seul lieu.

Ce est li romanz de la rose,
Ou l’art d’amours est toute enclose.

Traduction, en français moderne :  « C’est le roman de la rose, qui contient tout l’art d’aimer ».