L'évasive Nina, intimidante comme seuls les femmes minces et chic savent l'être, perchée sur le tabouret en pin dans son élégante robe noire avec ses collants épais bleu canard, ses chaussures incroyables, des chaussures de femme d'architecte. Où Emma a t-elle dégotée ce couple? et pourquoi s'intéressent-ils à elle?
Nina et moi devons être de la même génération, même si par bien des aspects, elle parait plus âgée; plus sophistiquée, plus raffinée. Sa façon de se mouvoir dans une pièce avec ses vêtements sombres, réussissant à capter la lumière sans rechercher visiblement à attirer l'attention.
La plupart des gens semblent préférer parler. C'est à qui sera le plus entendu. Ils emplissent l'air de leurs bavardages, en général sur des sujets sans intérêt ; des mauvaises blagues, du bluff, des excuses. Un bruit de fond, de l'air chaud. Mais parfois, quand on tend l'oreille, on peut attraper une information qui pourrait s'avérer utile.
Nous sommes tous en train de penser à la même chose : à nos enfants, évidemment, bordés dans des chambres sombres décorées de vaisseaux spatiaux et de châteaux de contes de fées, des constellations fidèles d’étoiles brillantes s’estompant au plafond ; les dormeurs veillés par des escadrons attendris et vigilants d’ours et de singes en peluche. Nous méditons sur l’effort nécessaire pour garder ces enfants en sécurité, en bonne santé et heureux. Pressentant combien la suite nous échappe ; sentant, même vaguement, de façon purement théorique, venir le moment où nous serons impuissants.
La tyrannie de la vie de famille est trop imposante. Il y a toujours autre chose qui exige qu’on s’y attelle. Quelque chose à jeter ou à acheter, à réparer ou à plier, à ramasser ou à nettoyer.
Ce n’est pas un véritable mensonge quand on n’est pas pleinement conscient de ce qu’on fait. Quand on croit que ce devrait être la vérité. Que ce serait exactement ainsi, dans un monde parfait.
Arnold, qui malgré tout ses défauts a décelé en moi les choses que je savais à peine que je possédais, et les a exploitées, laissant mes mauvaises habitudes derrière moi, me libérant de ma gaucherie et de mes doutes tout comme il m'a libérée de mon père. Je me rappelle Arnold dans son rôle de marchand d'art du début, je le revois déambuler dans mon premier atelier, être surpris par mon travail. Parfois j'ai le sentiment qu'Arnold, avec sa confiance, sa générosité et son gout, m'a donné vie, suggérant autant qu'encourageant les traits de caractère qui aujourd'hui me définissent pleinement. Il a transformé ma timidité en réserve, ma pruderie en maîtrise de soi. Il m'a sorti de l'ombre. Tous ces discours à propos de "découvrir qui on est"; souvent, ce sont les autres qui vous montrent en premier qui vous êtes.
Parfois, tout au moins en ce qui concerne ma mère, je soupçonne que le but réel d’avoir une famille consiste à avoir un sujet de conversation tout prêt quand elle croise madame Tucker au supermarché.
-[…] Qu’ est-ce que je peux faire pour que tu te sentes mieux ? Comment puis-je me rattraper?
Ça, c’est vraiment injuste, me dis-je avec une bouffée d’indignation. S’il se donnait la peine d’y réfléchir, s’il prenait le temps de se mettre à ma place, il saurait exactement comment arranger les choses. Mais - j’ ai eu l’occasion de m’en rendre compte - d’un point de vue émotionnel,il est paresseux. Il préfère que les autres fassent le boulot à sa place.
... le désir de bien faire, d’agir comme prévu – est puissant, même chez les enfants aussi jeunes. Personne ne veut passer pour un idiot.