La voiture était une Rover (...). A moins d'en avoir absolument besoin, personne n'achète ces machins ridiculement snobs, avec des couches de bois et de cuir collées n'importe comment dans les moindres recoins. Mais l'Etat et les hauts dirigeants de Rover en ont absolument besoin.
Imaginez que vous deviez casser le bras de quelqu'un.
Le gauche ou le droit, aucune importance, la question étant de passer à l'acte, faute de quoi... enfin, qu'importe également. Disons seulement que, sinon, ça risque d'aller mal.
Le problème est en réalité le suivant : allez-vous au plus vite — crac ! oh, désolé, laissez-moilaissez-moi vous mettre une attelle, monsieur — ou faites-vous traîner l'affaire pendant huit bonnes minutes, en procédant par minuscules poussées, certes de plus en plus fortes, jusqu'à ce que la douleur devienne verte et rose, glacée, brûlante, et finalement insupportable au point de le faire gueuler comme un veau ?
Eh oui, bien sûr. C'est évident. La chose à faire, la seule chose à faire, c'est d'en finir le plus rapidement possible. Cassez-moi ce bras, payez la tournée, soyez un bon citoyen.
À moins que.
Que, que, que...
Et si vous détestiez la personne au bout dudit bras ? Ou, plus précisément : si vous la haïssiez grave ?
Je devais maintenant y réfléchir.
Je dis maintenant, mais en réalité je veux parler d'un moment passé ; le moment situé une fraction de seconde — quelle fraction, cependant ! — avant que mon poignet arrive aux environs de ma nuque, et que mon humérus gauche se brise en deux éléments plus ou moins faciles à recoller. Deux, voire beaucoup plus.
Parce que le bras dont on discute, voyez, c'est le mien. Pas le bras abstrait de quelque philosophe. L'os, la peau, les poils, la petite cicatrice blanche à la pointe du coude, cadeau d'un radiateur à accumulation de l'école primaire de Gateshill — tout ça, c'est à moi. C'est aussi le moment où je me demande si cet homme dans mon dos, qui me serre le poignet et le pousse avec un zèle quasi érotique en haut de ma colonne vertébrale... eh bien, si cet homme ne me haïrait pas. S'il ne me hait pas carrément.
Car il n'en finit pas.
J'ai promis de ne lui faire aucun mal si elle ne criait pas. Alors elle a crié et je lui ai fait mal.
Mais derrière les facades de stuc des vertes allées de Belgro, les flics sont plutôt enclin à vous croire. ça doit être compris dans la taxe d'habitation.
Le peuple ne lit pas. Le peuple se contrefout de concevoir des choses. Tout ce qu'il veut, tout ce qu'il demande à l'Etat, c'est une augmentation de salaire. D'année en année. Sinon, il vote pour le camp opposé. Voilà ce qu'il veut, le peuple, ce qu'il a toujours voulu. C'est ça la démocratie, mon gars.