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Critiques de Imre Kertész (200)
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Roman policier

Funeste méprise par Imre Kertész



L'écrivain magyar, grand ami de László Krasznahorkai, décide de déplacer l'intrigue de “Roman Policier” en Amérique Latine mais, ne nous y trompons pas, l'implacable, l'aveuglement, l'arbitraire et la bêtise des automates de la police politique du régime totalitaire fictif dépeint par le Prix Nobel de Littérature est bien celle de sa Hongrie communiste.



Le Père et le fils Salinas sont a priori bien loin d'être les plus à plaindre dans cette nouvelle dictature, la bourgeoisie est souvent plus épargnée, grâce aux réseaux que son argent lui assure. Une question se pose alors : pourquoi lutter ? La réponse est capitale car “il faut savoir pourquoi on lutte. Sinon ça n'a pas de sens. En général on lutte contre le pouvoir en place pour prendre soi-même le pouvoir. Ou bien parce que le pouvoir en place représente une menace de mort” souligne le père Salinas. Dès les premières pages nous apprenons qu'ils ont fait l'objet d'une enquête policière aux méthodes difficilement soutenables…



“Je déteste la cécité, les faux espoirs, la vie végétative, les esclaves qui soupirent de bonheur pour peu que le fouet les épargne pendant une journée”. Les aspirations romantiques d'une jeunesse perdue coté Enrique Salinas, la duplicité brutale d'un régime qui ne laisse rien au hasard du coté du flic Diaz. Mais, pris dans une course infernale, ce régime pour qui la fin justifie les moyens atteint ce paradoxe ultime où il n'y a même plus de fin…. juste des moyens odieux.



“D'abord le pouvoir, et ensuite seulement la loi." Kertész ne se considérait pas comme un écrivain engagé, et nul n'est besoin d'autre engagement que celui de cette écriture de chair et de sang. Ce n'est pas tant le roman qui est policier c'est l'Etat qu'il dépeint. Dans son ton original, un poil sardonique, et sa construction captivante, ce court ouvrage est à mettre entre les mains de tous les amoureux de la liberté, de la justice et ses garanties qui y trouveront des pages difficiles et révoltantes mais pourtant nécessaires.



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Être sans destin

Longtemps après avoir refermé le « si c’est un homme » je suis toujours hanté par ce livre. En ouvrant cet « être sans destin » je pensais me retrouver en terrain connu, éprouver les mêmes sensations qu’à la lecture de Primo Levi. Du coup j’ai été très déstabilisé par la candeur, la passivité d’Imre Kertész. d’ailleurs j’ai longtemps pensé attribuer une note inférieure à ce livre, jusqu’à cette dernière partie, ces 30 dernières pages relatant son retour en Hongrie, un chapitre bouleversant, qui fait froid dans le dos, qui m’a mis K.O., que je relis en boucle depuis plusieurs jours. En effet, ici sont livrées les clés qui expliquent son comportement, son ressenti et là, je me suis senti aussi « coupable » que ses anciens voisins, heureux de le voir revenir vivant mais incapables désormais de le comprendre. Quand on lui demande ce qu'il ressent en retrouvant sa ville il répond « de la haine... envers tout le monde », envers ces gens qui ont vécu ou survécu pendant qu'il était à Buchenwald, envers ces gens qui lui parlent de son avenir, envers ces gens qui lui conseillent d'oublier ces atrocités sans se rendre compte de l'absurdité de leurs paroles.

«  … je commence tout doucement à voir qu'il y a une ou deux choses dont on ne peut visiblement jamais discuter avec des étrangers, des ignorants, dans un certain sens des enfants... »

J’ai lu dans la critique d’IreneAdler : « Ce texte confirme une autre chose : quelque soit le nombre de témoignages lus, quelque soit le nombre de point de vue abordé, nous resterons toujours de l'autre côté des barbelés. » . C’est exactement ça, une barrière infranchissable nous sépare à jamais de ces survivants.





« Moi aussi, j'ai vécu un destin donné. Ce n'était pas mon destin, mais c'est moi qui l'ai vécu jusqu'au bout, et j' étais incapable de comprendre que cela ne leur rentre pas dans la tête : que désormais je devais en faire quelque chose, maintenant, je pouvais ne pas m’accommoder de l'idée que ce n'était qu'une erreur, un accident, une espèce de dérapage, ou que peut-être rien ne s’était passé. Je voyais, je voyais très bien qu'ils ne comprenaient pas trop, mes paroles n'étaient pas vraiment à leur goût, l'une ou l'autre semblait même les irriter. »



« On ne peut pas – il fallait qu'ils essaient de comprendre cela – on ne peut pas tout me prendre, il m'est impossible de n'être ni vainqueur ni vaincu, de ne pas pouvoir avoir raison et de n'avoir pas pu me tromper, de n'être ni la cause ni la conséquence de rien ; je les suppliais presque d'essayer d'admettre que je en pouvais pas avaler cette fichue amertume de devoir n'être rien qu'innocent. Mais je voyais qu'ils ne voulaient rien admettre, et ainsi, prenant mon sac et ma casquette, après quelques gestes embarrassés, mouvements inachevés, au milieu d'une phrase inachevée, je suis parti. »



Une lecture bouleversante loin du sensationnalisme, de tout misérabilisme, très déroutante mais assurément indispensable.
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Être sans destin

« Je peux dire peut-être que, cinquante ans après, j’ai donné forme à l’horreur que l’Allemagne a déversée sur le monde (…), que je l’ai rendue aux Allemands sous forme d’art. » (L’holocauste comme culture)



Avec Etre sans destin, l’immense auteur hongrois Imre Kertész, nobélisé en 2002 pour « une écriture qui soutient la fragile expérience de l’individu contre l’arbitraire barbare de l’histoire », a véritablement transmué l’horreur et l’innommable en art. Et c’est ce qui, à mes yeux, fait de ce livre un objet unique qui, plus que tout autre livre sur la Shoah, répare et apaise. Car Imre Kertész ne se contente pas de témoigner, il ne tente pas d’analyser, encore moins de dénoncer, il crée, il recrée plus exactement un monde, celui des camps d’extermination nazis. Et c’est cette re-création, servie par une langue inouïe qui entre dans notre chair de lecteur, qui, paradoxalement, nous permet de sortir de l’hébétude dans laquelle l’horreur nous a initialement plongés, nous invitant à abandonner des réactions érigées comme autant de barrières défensives — indignation, rébellion, dégoût, déni, évitement…— pour nous conduire sur la seule voie possible, celle de l’acceptation.

« Je vais continuer à vivre ma vie invivable (…), il n’y a aucune absurdité qu’on ne puisse vivre tout naturellement, et sur la route, je le sais déjà, me guette, comme un piège incontournable, le bonheur. »



Pour Imre Kertész, déporté à l’âge de quinze ans parce que né juif, la confrontation avec l’absurdité de notre monde a lieu très tôt. D’autant que cette expérience primordiale se verra prolongée, approfondie, enrichie par plus de quatre décennies passées derrière le rideau de fer sous un régime au mode de gouvernement arbitraire et paranoïaque. Imre Kertesz se disait d’ailleurs convaincu qu’il n’aurait pas pu écrire son expérience dans les camps nazis s’il avait vécu sous un régime démocratique et libre. J’ignore s’il faut prendre ses paroles au pied de la lettre. Disons qu’il n’aurait probablement pas écrit l’oeuvre qu’il a écrite, imprégnée de la conviction qu’aucune destinée ne préside à nos existences, que celles-ci sont tout entières vouées à la contingence et à l’absurde, ce qui, pour lui, revient à dire qu’elles sont absolument libres. Imre Kertesz rejoint en cela Camus, dont la lecture, à l’âge de vingt-cinq ans, l’a, dit-il, profondément marqué, précisant qu’en hongrois, L’Etranger était traduit par « L’indifférent ». « Indifférent au sens de détaché du monde, de lui-même. Mais aussi au sens d’affranchi, c’est-à-dire d’homme libre. »

L’homme libre, l’homme affranchi pour Imre Kertesz, c’est l’homme sans destin : « S’il y a un destin, la liberté n’est pas possible; si, au contraire, ai-je poursuivi de plus en plus surpris et me piquant au jeu, si la liberté existe, alors il n’y a pas de destin, c’est-à-dire — je me suis interrompu, mais juste le temps de reprendre mon souffle — c’est-à-dire qu’alors nous sommes nous-mêmes le destin. »

Dès lors, il est inconcevable, absurde de se percevoir comme une victime. Car être victime, c’est devenir l’objet de quelqu’un ou de quelque chose; être victime, c’est subir. Or, on n’est victime de rien ni de personne, on vit juste des choses plus ou moins désagréables. Quand la vermine s’installe dans sa plaie à la hanche, notre héros est d’abord horrifié et s’acharne à la chasser, exercice parfaitement vain :

« Au bout d’un certain temps, je renonçai et me contentais de contempler cette voracité, ce grouillement, cette avidité, cet appétit, ce bonheur sans fard : d’une certaine façon, il me semblait les connaître un peu. C’est alors que je me rendis compte que je pouvais peu ou prou les comprendre, à bien y réfléchir. Finalement, j’en fus presque soulagé, les démangeaisons cessèrent presque. Mais je ne me réjouis pas pour autant, je restai un peu aigri - et je pense que c’est compréhensible, en fin de compte - mais dans l’ensemble, sans colère, juste un peu à cause des lois de la nature, pour ainsi dire. »



Et c’est cette même attitude, mélange unique d’apparente désinvolture, de fausse candeur et d’humour impitoyable, qu’il adopte à l’égard des Allemands, assimilés à une gigantesque machine anonyme et dépersonnalisée. Les Allemands réifient les Juifs? Il réifie les Allemands, faisant mine de reprendre à son compte l’argumentaire nazi selon lequel juifs et allemands n’appartiendraient pas à la même espèce :

« Et j’avais beau voir, par exemple, leur visage, leurs yeux ou la couleur de leurs cheveux, l’un ou l’autre trait particulier voire défaut, un bouton sur leur peau, j’étais totalement incapable de m’accrocher à quelque chose, j’étais à deux doigts de douter, effectivement, si ceux qui marchaient à côté de nous étaient en dépit de tout nos semblables, si, en définitive, ils étaient faits de la même substance que nous, au fond. Mais il me vint à l’esprit que ma façon de voir pouvait être erronée, puisque c’est moi qui n’étais pas de la même substance, naturellement. »

En retournant comme un gant l’horreur, en transformant le plomb en or, Imre Kertesz nous offre une lecture jubilatoire en même temps qu’une leçon de vie qui nous aide, ainsi que je l’écrivais en préambule, à accepter l’humaine condition pour ce qu’elle est : le plus souvent misérable, parfois admirable et surtout, jamais inéluctable. Au moment ultime où tout semble perdu, voici que se produit l’impensable, l’inexplicable, et le moribond se croyant acheminé vers les chambres à gaz, se retrouve à l’infirmerie où, pour la première fois depuis longtemps, il rencontre des détenus (médecins et infirmiers) qui ressemblent à des hommes, non à des squelettes dépenaillés. C’est aussi en ce lieu qu’il retrouve cette chose fragile et néanmoins tenace, déjà rencontrée depuis son arrivée au camp, une forme de résistance sourde et têtue qui anime certains hommes, comme cet infirmier qui, atterré par son extrême maigreur, lui apporte clandestinement deux fois par semaine de la viande en conserve et un morceau de pain.

« C’est alors que je compris, je crois, ces hommes. Car en recoupant toutes mes expériences, en assemblant tous les maillons de la chaîne, oui, il ne me restait aucun doute, c’était bien cela, même si je le connaissais sous une autre forme : en dernière analyse, ce n’était toujours que le même moyen, à savoir l’obstination - même si, je le voyais bien, c’était une forme très élaborée d’obstination, la plus efficace de toutes celles que je connaissais, et puis surtout, cela va sans dire, la plus utile pour moi, je ne pouvais pas le nier. »



L’acceptation n’implique pas la résignation, bien au contraire, elle implique de s’adapter aux circonstances, et de ne jamais oublier que chaque minute, chaque seconde à venir contient en elle un monde de possibles. Est-ce le fait de se concevoir comme un être absolument libre qui a sauvé Imre Kertész ? Est-ce le fait d’avoir transformé en art l’effroyable entreprise d’extermination de tout un peuple? Il a survécu. Et par deux fois : une première fois durant une année entière à Buchenwald-Auschwitz, une deuxième fois durant le reste de sa « vie invivable », lui qui dans un entretien à Florence Noiville, rappelait :



« Vous remarquerez que je ne me suis pas suicidé. Tous ceux qui ont vécu ce que j’ai vécu, Celan, Améry, Borowski, Primo Levi… ont préféré la mort. »

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Être sans destin

Bien sur, il existe une multitude de récits et de témoignages sur la Déportation et les camps pendant la Seconde Guerre Mondiale mais celui-ci a quelque chose de différent, d'unique.



Différent, parce qu'il faut, avant de commencer la lecture, essayer d'oublier tout ce que vous savez sur ce sujet, vous ne savez rien, vous n'avez jamais entendu parler de ce qui s'est passé dans les camps.



Unique, parce que vous allez être dans le corps, le cerveau, l'esprit d'un gamin de 15 ans, raflé dans un bus, jeté dans une prison puis dans un train qui le conduira, seul, sans même avoir revu sa famille, au bout d'un long voyage, dans un camp : celui d'Auschwitz.



Le tri sur le quai, le coiffeur, la douche ( la vraie avec de l'eau pour lui ), la désinfection, le repas si l'on peut appeler cela un repas, les kapos, les odeurs , les rumeurs qui font que dès le premier jour, on apprend ce que signifie ces fumées qui sortent sans discontinuer des cheminées. Tout cela à 15 ans alors que l'on était sensé venir juste travailler en Allemagne.



Trois jours plus tard, nouveau train, nouveau camp ( Buchenwald ) puis envoi en kommando extérieur pour travailler dans une usine.



C'est le récit de la vie quotidienne avec la faim pour principale compagne mais aussi le manque d'hygiène , les poux , la promiscuité, la peur, les maladies et enfin le Revier ( infirmerie ).



Il n'y a pas d'horreur, pas de description de scènes insoutenables seulement

si je puis dire, la survie dans cet univers au quotidien.



Tout est décrit avec un certain détachement qui peut dérouter au début mais qui s'avère terriblement efficace pour nous faire comprendre la découverte et l'appréhension de l'inimaginable et de l'insoutenable.



Après la libération et le difficile retour au pays, l'auteur nous expose sa théorie des petits pas. Selon lui, les bourreaux ne sont pas les seuls coupables, chacun en faisant un petit pas de trop, une concession de trop, a permis que tout cela arrive.



C'est évidement un livre bouleversant mais c'est surtout un livre qui propose une tout autre version, un autre regard sur ces horreurs et il vrai que l'on lit rarement sur les camps en pensant que ces pauvres gens ne pouvaient imaginer ce qu'ils allaient découvrir et subir et le choc que cela fut pour eux.



Quant à la théorie de l'auteur "sur les petits pas", il serait bon de l'avoir toujours à l'esprit.





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Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Imre Kertesz faisait partie de ma liste "Les Nobels à lire en priorité au vu de ce qu'on m'en a dit". Un auteur exigeant, au style ardu mais qui lui permet de retranscrire l'émotion et la puissance d'une vie traversée par le drame de la Shoah... Voilà ce que j'avais en tête en l'abordant et je n'ai pas été déçu.



Dans ce Kaddish, cette prière des morts de la religion juive, l'auteur tente de comprendre le "Non !" qui est sorti instinctivement de lui face à la question de la paternité. Un contre instinct, comme il le dit lui même puisque l'instinct voudrait qu'on veuille devenir parent, "mon existence considérée comme la possibilité de ton être" comme le redéfinit brillamment l'auteur, alors que lui ressent plutôt le contre instinct de "ton inexistence considérée comme la liquidation radicale et nécessaire de mon existence". Cette réflexion, cette redéfinition, à l'image d'un philosophe qui cherche constamment à travailler autour des concepts qui fondent son existence, forme la trame de tout ce récit. Cela semble bien âpre présenté comme cela, surtout si on ajoute la reprise de motifs réguliers, comme les litanies d'une prière qui offre sa forme au roman.



Et pourtant cette introspection du narrateur est vraiment intéressante, la manière dont il recherche l'explication de ce choix à rebours de la majorité. Serait-ce l'effet de l'expérience de la Shoa, les conséquences du séjour à Auschwitz ? Mais pourtant certains rescapés ont au contraire fait le choix de fonder des familles, afin que la vie triomphe. L'auteur s'interroge alors sur la façon dont il comprend Auschwitz, et là aussi il se positionne à contre courant. Non pour lui Auschwitz n'est pas "inexplicable" comme certains l'affirment. Il trouve cela trop facile comme présupposé, car il empêche d'affronter le mal en face, celui qui est dans l'homme et qui finalement peut faire comprendre Auschwitz comme logique, presque inéluctable.



Je me rends compte que ce texte donne envie de livrer ce qu'on en a compris, sans doute parce qu'en plongeant dans les affres de la réflexion de son narrateur, l'auteur nous offre ainsi un miroir de nos propres interrogations, retours en arrière, renoncements. A l'image du texte de La Chute de Camus que j'avais ressenti comme adressé directement à moi, cette introspection est construite de façon si habile qu'elle nous renvoie à nos propres monologues intérieurs, à la recherche constante des justifications de nos actes, de nos choix qui est sans doute notre activité mentale principale.



Loin de se limiter aux interrogations sur Auschwitz ou sur sa judéité (très profondes et originales, pour un sujet pourtant abordé à de nombreuses reprises par d'autres), le narrateur-auteur vient questionner son enfance, son rapport à un patriarcat juif incarné dans la pension qu'il a fréquenté, son rapport à son propre père, la construction de son couple pour tenter de comprendre cette décision de ne pas faire naître cet enfant potentiel. Et lorsque la fin survient, on comprend qu'on n'a ainsi pas uniquement voyagé dans le cerveau d'un homme mais bien dans toutes les époques de sa vie, et qu'en moins de deux cent pages on est presque parvenu à la connaissance intime de cet être dont le rapport au monde n'a pu se construire que de façon chaotique, dans la tempête qui a emporté avec lui tout son siècle.
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Être sans destin

À travers le regard d’un adolescent, un témoignage différent sur les camps de concentration, un récit autobiographique du prix Nobel de littérature 2002.



À Budapest, un garçon de quinze ans vit avec son père et sa belle-mère. Il ne comprend pas très bien pourquoi, mais son père doit partir pour un camp de travail. Arrêté lui-même plus tard, il échappe aux fours d’Auschwitz pour être envoyé à Buchenwald. Il y travaille et y dépérit, mais il a la chance que dans ce camp, on soigne les malades. Il pourra rentrer chez lui après un an de détention.



Ce garçon n’a pas l’étoffe d’un héros. Ce n’est pas un homme fort ni un rebelle qui s’échappe du camp. Ce n’est pas un leader ni un rusé négociateur pour se procurer des avantages. C’est seulement un jeune homme, étonné de ce qu’il voit, soucieux d’apprendre les règles pour « bien faire » comme pour tout ce qu’on fait dans la vie, apprendre donc les règles pour être un bon détenu. Un homme qui continue d’avancer avec le temps, de faire un pas de plus.



Dans ce livre, ce ne sont pas les atrocités ou les tortures sadiques qui sont décrites, mais plutôt la psychologie de ces gens ordinaires qui sont embarqués, trompés et qui espèrent toujours. Des gens qui continuent simplement d’appliquer leurs valeurs ordinaires : respecter l’autorité, suivre la foule, bien se comporter en société. Des gens dont la survie dépend de leur obstination plutôt que de leur héroïsme.



Un ouvrage à lire absolument pour voir autrement et peut-être comprendre les mécanismes de la machine sociale dont on fait partie.

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Être sans destin

Même si toute guerre est meurtrière, la Seconde Guerre Mondiale se distingue des autres conflits par la Shoah, ce traumatisme profond qui continue à faire couler beaucoup d'encre, même parmi les écrivains contemporains. Quand on porte un regard objectif sur la production littéraire des soixante-dix dernières années, on constate qu'auteurs et public restent "fascinés" par l'extermination massive des Juifs par les Nazis.



Imre Kertész (1929-2016), écrivain hongrois juif, récipiendaire du prix Nobel de littérature 2002, est un survivant des "camps de la mort". Son roman "Etre sans destin" est un récit autobiographique écrit dans les années 60 mais publié seulement en 1975. Tout comme son narrateur, il fut arrêté, adolescent, à Budapest, puis déporté à Auschwitz et à Buchenwald. A travers le témoignage littéraire d'Imre Kertész, la fiction cède rapidement le pas à la réalité atroce et difficilement concevable des camps de concentration et d'extermination.



Bouleversant comme la grande majorité des récits sur la période, "Etre sans destin" tire son "originalité" non seulement de son caractère autobiographique poignant mais également du regard qu'il offre sur la Hongrie, une nation dont on parle peu en cours d'histoire et qui commit pourtant le crime de suivre Hitler dans son utopie politique et raciale. Aux côtés du narrateur, le lecteur vit l'expérience traumatisante de l'arrestation arbitraire, du manque d'informations, de l'impossibilité de comprendre la situation, de l'incapacité des victimes à agir pour leur libération et de l'engrenage infernal des jours de captivité.



A l'issue de la lecture, impossible de ne pas ressentir profondément les traumatismes du nazisme, ni de faire le lien avec les génocides actuels, que ce soit celui des homosexuels en Tchétchénie ou ceux qui frappent les Africains subsahariens. On pourrait penser que la Shoah, par son ampleur et ses séquelles, fut l'apogée d'une barbarie à jamais archivée mais force est de constater que l'Homme a la mémoire désespérément courte.



J'ai conscience que le mot "traumatisme" revient dans ce billet avec une régularité désespérante mais aucun autre terme ne me semble plus approprié à employer.





Challenge Petit Bac 2016 - 2017

Challenge ATOUT PRIX 2017

Challenge NOBEL

Challenge AUTOUR DU MONDE
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Être sans destin

Je voudrais pouvoir employer les mots les plus délicats possibles pour porter à votre regard cet être qui a failli ne plus être ni rien ni personne, ce jeune garçon qu'il aurait fallu prendre délicatement et bercer de ce qu'il a vu et vécu.

Je voudrais pourvoir trouver les phrases justes aussi pour ne pas trahir la parole d'Imre Kertész sur cette expérience inhumaine qu'ont été les camps de concentration et d'extermination.

Son narrateur, un jeune adolescent juif hongrois de 15 ans, peu conscient de la montée du nazisme et de l'antisémitisme, est un matin pris dans une rafle. Les premiers jours, où lui et ses compagnons sont amenés à pied puis en train d'un lieu de détention à un autre, il ne peut tout simplement pas saisir ce qui lui arrive, le vivant comme une aventure, puis une mésaventure, acceptant les conditions de plus en plus inhumaines des transports avec la confiance, la docilité d'un enfant et le détachement de celui qui pense tout cela provisoire.

C'est pas à pas, et surtout en découvrant le camp d'Auschwitz, les femmes rasées et les cheminées des chambres à gaz, que l'absurdité de sa situation, lui qui n'est coupable de rien, se révèle dans sa froide réalité. Autour de lui, les jeunes garçons se regardent encore en riant, gênés de leur corps rasés, mais les adultes tournent les yeux de tout côté, incrédules. Comment accepter l'inacceptable?

Hommes et femmes perdent leur nom, remplacé par un numéro, leur visage, après avoir été tondus, leur libre-arbitre, jusqu'à ne plus être qu'un corps parmi d'autres battus, affamés, transportés, jetés, déshabillés, voire soumis à expérimentations, vivants ou morts.



La question a sans aucun doute été: comment raconter l'innommable sans se trahir? Justifier sa vie par la suite? Car il faut bien vivre, puisqu'on est vivant. C'est cette question de l'écriture et surtout du point de vue choisi que j'ai trouvée si terrible, si puissante, le regard du narrateur sur l'impossible réalité de ce qu'il vit et la manière dont il s'adapte jusqu'au point où son âme n'est plus, à un moment, qu'une faible lueur à l'intérieur de son corps émacié, prête à s'éteindre. Comment il est arrivé à perdre, presque, son humanité, à ne plus être rien. Puis à ressusciter, grâce à quelque chose d'aussi trivial qu'à l'odeur de la soupe du camp.

C'est ce pas à pas, dira -t-il, qui lui aura permis de s'adapter, survivre. Sans cela, la tête et le coeur n'auraient pas pu supporter.

J'ai lu de nombreux livres sur ces camps, celui-ci m'a plongée dans le même état chaotique émotionnel que Si c'est un homme de Primo Levi, face à l'incompréhensible, l'impossible, l'insoutenable réalité de ces camps. Sans doute faut-il l'écrire, encore et encore, pour se battre contre l'ignorance, le refus de croire.

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Être sans destin

Être sans destin c'est être privé de sa liberté, de son humanité, devenir objet et non sujet.



De là on comprend mieux le style de l'auteur, rapportant les faits comme s'il en était détaché, comme si son âme volait au-dessus de son corps, avec naïveté, passivité.



Dés les premières pages, on se rend compte que le jeune adolescent Juif hongrois, ne conçoit pas la haine que les gens ont à l'égard des Juifs, il n'a pas la conscience de cette différence, il en a même un peu honte. Pourquoi le port de l'étoile jaune, si ce n'est pour marquer la différence, qui sans cela ne serait pas visible.



Jeune, innocent et naïf, il s'imagine, au début, être comme un acteur de théâtre, qui ne connaîtrait pas bien le rôle qu'il a à jouer, il est embarrassé, étonné. Comment comprendre ce qui lui arrive? Il avance pas à pas vers l'horreur, il s'y habitue, il finit même par trouver la quiétude , la paix , le soulagement.



Chacun, dans cette histoire, a avancé pas à pas vers son destin, qui n'était peut-être pas le sien , qui aurait pu être autre, si certains avaient oser agir, faire n'importe quoi, mais faire quelque chose.



"S'il y a un destin, la liberté n'est pas possible ; si au contraire [...] la liberté existe, alors il n'y a pas de destin, c'est-à-dire[...] qu'alors nous sommes nous-même le destin. "



Ce récit est d'autant plus troublant, qu'il est écrit avec détachement, avec une sorte d'acceptation de son sort, comme si tout cela était naturel. Cette rupture est sans doute nécessaire à l'auteur pour révéler les atrocités , l'horreur, pour ne pas s'y perdre complètement , il s'en sert comme d'une sorte de bouclier.



On ressent aussi dans ce récit, la force incroyable de ces hommes face à la barbarie. Ils résistent par les seuls moyens qui leur restent ; l'imagination, l'obsession, l'obstination.



"Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bon sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d’une espèce de désir sourd, qui s’était faufilée en moi, comme honteuse d’être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voulais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration."



Continuer à vivre sa vie invivable, en acceptant tous les arguments, au prix de pouvoir vivre, en cachant au fond de lui, la haine de tous, et se laisser prendre tout naturellement au piège du bonheur.





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Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Ce petit livre est un grand livre.

Je l'avais lu il y a plus de quinze ans, je viens de relire, et je le relirai encore.

Autant que je puisse en juger c'est un des livres majeurs du 20e siècle. Un livre qui creuse la nature humaine, la possibilité même de l'existence de l'humain, et il le fait sans artifice.

Pourtant la phrase est longue, elle avance par approximations, elle tourne autour de l'indicible, et le dit tout de même.

C'est une méditation sur un "non!" Un "non!" qui se répète, comme une scansion du texte, avec des variations qui cherchent le sens et l'absence de sens.

Imre Kertész, comme on sait, fut déporté à Auschwitz à 14 ans, il en a réchappé miraculeusement (comme tous les rescapés) et a poursuivi son existence dans la Hongrie communiste, en développant patiemment une oeuvre qu'il était presque impossible de publier.

Quel sens dès lors donner à l'existence? S'agit-il seulement de prendre acte de l'absurde? Le texte oscille entre ces deux bornes, dans une sorte de dépouillement.

Ce qui est singulier chez Kertész, c'est qu'il ne voit pas Auschwitz comme un événement effroyable qui s'empare d'êtres, qui auparavant vivaient une existence ordinaire, humaine. Son expérience d'Auschwitz s'inscrit dans son rapport au monde depuis l'enfance. Et Auschwitz lui-même est un développement de tendances à l'oeuvre dans la société humaine depuis longtemps. C'est extrêmement troublant pour le lecteur, et cela mène à des affirmations parfois très dérangeantes, mais cela nous met face à nous-mêmes sans échappatoire possible. Kertész nous amène à des profondeurs que nous ne soupçonnions pas et c'est pourquoi ce petit livre est pour moi incontournable.
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Être sans destin

Je suis né en 1953, soit huit petites années après la fin de la seconde Guerre Mondiale et son cortège d'horreurs, dont certaines inédites dans l'histoire de l'humanité. Mon père, mon parrain et d'autres membres de ma famille ont pris part à ce conflit. Ma famille maternelle, native du Limousin, avait des amis proches à Oradour. Je suis donc né au sein d'une famille que ce terrible bouleversement a bouleversée, et qui par conséquent en parlait de manière récurrente. Mais dans leurs récits, leurs souvenirs, leurs anecdotes ou leurs allusions, il manquait un "mais"... et pas n'importe lequel : l'univers concentrationnaire, la solution finale, la Shoah... !

C'est à partir de l'acquisition du disque de Jean Ferrat - Nuit et Brouillard -en 1964, de ses passages télé et de ses interviews que j'ai commencé à me poser des questions et à en poser.

Était née une passion dévorante et obsessionnelle pour ce qui, à mon sens, est Le Marqueur de l'histoire de l'homme et ce qui a structuré définitivement ma pensée et ma vision du monde.

J'ai donc lu beaucoup de "la littérature" (au sens noble du terme) ayant trait au sujet : Primo Levi, Robert Antelme, Charlotte Delbo, Ida Grinspan, Marceline Loridan-Ivens, Rudolf Vrba, Simone Veil, Jorge Semprun, Claude Lanzmann, le très controversé Filip Muller, Elie Wiesel, Jean Cayrol, Viktor Frankl, pour n'en citer que très peu et continue de le faire mais moins fréquemment que naguère.

J'avais, dans les rayons de ma bibliothèque, le livre de I. Kertész qui m'attendait, comme m'attendent beaucoup d'autres encore... que j'aurai peut-être encore le temps de découvrir.

Quelques mots pour qualifier le caractère original, unique de cette oeuvre :

"Être sans destin, du moins au début, c’est Candide dans un Auschwitz dont la fonction première – l’extermination – se dérobe à ses yeux et qui jette sur ce monde qu’il découvre des regards étonnés, impatients parfois mais jamais vraiment angoissés. Grâce à ce procédé, Kertész, le rescapé des camps devenu écrivain, s’efface complètement pour laisser vivre ce jeune narrateur – cet autre lui-même si différent et si lointain – au rythme des épreuves et des illusions qui sont les siennes. Subtil est ce dispositif narratif où l’auteur, dépouillé en quelque sorte de sa toute-puissance puisqu’il renonce à construire une histoire où les faits s’ordonnent et s’éclairent en fonction d’une fin qu’il connaît, se plie aux exigences d’une chronique..."

Chaque déporté, qu'il fut juif ou pas, a voulu témoigner de manière personnelle, authentique, "novatrice" sur ce qu'il a vécu. C'est pour cela que les témoignages d'un Robert Antelme, d'un Primo Levi, d'une Charlotte Delbo ont littérairement parlant, un caractère unique.

Il en va de même pour Kertész, qui a réussi une performance d'écriture inégalée dans le genre : celle de se dépouiller de l'adulte qu'il était devenu au moment de prendre la plume, pour retrouver l'adolescent de quinze ans qu'il était lorsqu'il a fait l'apprentissage de ce qu'était "un être sans destin".

Et le résultat est époustouflant, déroutant, déchirant.

Grâce à cette approche, grâce à cet angle de vue, grâce à cette chronique qu'il revit pas à pas, il nous permet de comprendre ce que fut la soi-disant "passivité" des victimes face à la froide organisation et la grande efficacité des bourreaux qui, en étant "peu nombreux" réussirent à exterminer des millions d'êtres humains.

Comme je l'ai déjà dit, ayant lu beaucoup sur ce thème, si l'émotion reste intacte, il est rare qu'un livre sur l'univers concentrationnaire nazi me surprenne vraiment.

- Être sans destin - m'a surpris.

Je voudrais terminer cette présentation en vous livrant un extrait dans lequel, l'auteur de retour à Budapest ( j'avais oublié... Kertész, prix Nobel de littérature 2002 est un juif hongrois...), rencontre un journaliste qui lui propose un peu d'argent contre le récit de "l'enfer" des camps... et voici ce qu'il lui répond sur ceux qui ne l'ont pas vécu appellent "l'enfer".

-"Alors je me l'imaginerais comme un endroit où on ne peut pas s'ennuyer ; cependant, ai-je ajouté, on pouvait s'ennuyer dans un camp de concentration, même à Auschwitz, sous certaines conditions, bien sûr. Il s'est tu un moment, puis il a demandé, mais déjà presque à contrecoeur, me semblait-il : " Et comment expliques-tu cela ?" , et après une brève réflexion, j'ai trouvé la réponse : "Le temps." " Comment ça, le temps ?" " Je veux dire que le temps, ça aide." " Ça aide... ?" " À quoi ?" " À tout", et j'ai essayé de lui expliquer à quel point c'était différent, par exemple, d'arriver dans une gare pas nécessairement luxueuse mais tout à fait acceptable, jolie, proprette, où on découvre tout petit à petit, chaque chose en son temps, étape par étape, le temps de passer une étape, de l'avoir derrière soi, et déjà arrive la suivante. Ensuite, le temps de tout apprendre, on a déjà tout compris. Et pendant qu'on comprend tout, on ne reste pas inactif ; on effectue déjà sa nouvelle tâche, on agit, on bouge, on réalise les nouvelles exigences de chaque nouvelle étape. Si les choses ne se passaient pas dans cet ordre, si toute la connaissance nous tombait immédiatement dessus..., sur place, il est possible qu'alors ni notre tête ni notre coeur ne pourraient le supporter - essayais-je d'une certaine manière de lui expliquer... Il a dit d'une voix blanche et sourde : " Je comprends." D'autre part, ai-je poursuivi, le problème, le désavantage, dirais-je, était qu'il fallait meubler le temps. J'avais vu par exemple, lui dis-je, des détenus qui vivaient depuis quatre, six ou même douze ans déjà - plus précisément : survivaient - en camp de concentration. Et donc ces quatre, six ou douze années, à savoir dans ce dernier cas, douze fois trois cent soixante-cinq jours, c'est-à-dire douze fois trois cent soixante-cinq fois vingt-quatre heures, et donc douze fois trois cent soixante-cinq fois vingt-quatre fois... et tout cela, à rebours, minute par minute, heure par heure, jour par jour ; c'est-à-dire qu'ils ont dû meubler tout ce temps d'une certaine manière. Mais d'autre part, ai-je ajouté, c'est justement ce qui les aidait, parce que si ces douze fois trois cent soixante-cinq fois,... vingt-quatre fois, soixante fois, et encore soixante fois leur étaient tombées dessus d'un seul coup, alors ils n'auraient sûrement pas pu les supporter comme ils avaient pu le faire - ni avec leur corps, ni avec leur cerveau. Et comme il se taisait, j'ai ajouté encore : " C'est à peu près comme ça qu'il faut se l'imaginer.' Et alors lui... tenant son visage à deux mains... sa voix plus sourde, plus étouffée, il a dit : " Non, c'est inimaginable", et pour ma part j'en convenais. Et je me suis dit que c'était apparemment pour cette raison qu'on préférait dire enfer, sans aucun doute..."

En conclusion, un très grand livre, une oeuvre magistrale, écrite - vous avez pu le voir - sans lyrisme, sans grandiloquence, sans effets... avec des mots vrais justes, forts, qui disent sans jamais porter de jugement(s)... ce qui donne à l'oeuvre une dimension tout à fait exceptionnelle.

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Être sans destin

A quinze ans, on a une façon particulière de recevoir la vie : ouverte, avide, sans clés de lecture construites, sans remparts. Aussi, quand la réalité de cette vie est celle de l'expérience des camps de concentration, celle-ci pénètre et détruit tout l'être, sans rémission possible.



Avec cette distanciation dans le regard qui paradoxalement décuple la violence sensorielle avec laquelle le jeune narrateur reçoit la réalité dont il témoigne, ce texte autobiographique est d'une force incomparable. Bouleversante, évidemment, mais surtout propre à lever un peu de ce voile si épais, si impénétrable, qui néantise toute forme de réelle compréhension d'Auschwitz et en particulier cette question qui me taraude depuis toujours: pourquoi la majorité de ceux qui ont survécu n'ont pas parlé. Imre Kertesz parle, et je m'arrêterai là pour ne pas avoir l'indécence de singer cette parole.
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Roman policier

Un grand merci à ASAI, qui par ses critiques enthousiastes, m'a donné envie de découvrir cet auteur hongrois nobellisé.

A mon grand étonnement, j'ai découvert que ma bibliothèque n'avait qu'un seul de ses livres, ce "Roman policier".



Ce livre est glaçant, cynique et tellement vrai.

Imre Kertesz situe son court roman dans un pays d'Amérique du Sud non nommé. On comprend bien que c'est son seul moyen de passer la censure hongroise des années 70. Car le roman est une critique très acerbe d'un régime dictatorial. Ce qu'était son pays à ce moment-là.

L'auteur aborde plusieurs thèmes, le choix, la raison de vivre, l'engagement à travers le personnage d'Enrique qui veut changer de société.

Et la violence, l'oppression, la torture... à travers le personnage du policier Martens.

La fin est d'un cynisme absolu, violent.

L'écriture est magnifique, l'auteur s'interroge et nous interroge en si peu de pages. Un livre qui pousse à la réflexion....



Je sens que je vais faire une commande auprès de ma librairie pour découvrir d'autres textes de cet auteur.

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Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Il faut attacher sa tuque avec de la broche pour passer à travers ce récit, que j'ai trouvé époustouflant par ailleurs, d'Imre Kertész. Le narrateur est un rescapé des camps. Un philosophe, M. Obláth, croisé au cours d'une promenade en forêt, lui demande s'il a des enfants. C'est le point de départ de la tourmente que cela suscite en lui, qui se présente sous la forme d'un long monologue intérieur, lancé d'un bloc et dans l'urgence, tous les temps de la vie de cet homme se trouvant entremêlés, un soliloque sans beaucoup de pauses ni de respirations, d'un ton philosophique et existentiel, fait d'arguments, de retours, de redites qui risquent à tout moment d'égarer le lecteur, avec en toile de fond : la difficulté, voire l'impossibilité, de survivre à la survie, de survivre au retour des camps de la mort. Ce qui ressort particulièrement dans ce texte, qui n'est ni un roman ni un récit autobiographique, c'est le travail de la langue, où tout de l'expérience des camps s'y trouve imbriqué, mais de façon implicite, car le narrateur évoque son expérience plus qu'il ne la raconte, à travers l'échec de son mariage, l'écriture étant au service de la mise à distance. Définitivement un texte à relire, pour mieux en saisir toutes les nuances. J'en sors essoufflée, dans l'envie tout de même de continuer à découvrir ce grand écrivain.
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Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Pour lire ce livre il faut impérativement savoir que l'auteur Imre Kertesz, Juif hongrois, a été déporté à 15 ans à Auschwitz.



J'ai acheté en même temps "Etre sans destin" qui raconte (a priori) cet épisode.

"Kaddish" est une oeuvre de fin de vie de l'auteur. Ce n'est pas un roman, on est entre le récit, le témoignage, les réflexions philosophiques autour de cet enfant qu'il refuse d'avoir à cause d'Auschwitz. Peut-être aurais-je dû commencer par "Etre sans destin" pour apprécier davantage "Kaddish..."?



L'auteur y livre ici ses réflexions sur le couple, la paternité, la création littéraire, ses souvenirs d'écolier, le tout s'entremêlant sans peut-être de logique (on n'est pas dans un récit linéaire). On sent en fait une espèce de sentiment d'urgence dans ce texte. Urgence à s'expliquer ? à se comprendre ? On sent une vie de survivant, oppressante. On ferme le livre avec un sentiment profond de tristesse...
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Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Ecrire, écrire encore et toujours comme une nécessité absolue, fouailler sans fin au fond d'une souffrance sans rémission, écrire donc comme on prie, sans espoir de salut pourtant...

J'ai voulu retrouver Imré Kerzetz après "Etre sans destin" pour comprendre ce qu'après ce témoignage terrible il avait à dire encore : rarement lecture aura été aussi dure. C'est essentiellement la douleur au-delà des mots que j'ai ressentie dans cette litanie pénétrante, qui évoque l'enfance déjà terrible avant l'expérience indicible d'Auschwitz à quinze ans, l'épouse qui ne peut comprendre, et s'adresse à l'enfant qu'il a refusé d'avoir, son "inexistence considérée comme la liquidation radicale et nécessaire de mon existence".

Un texte terrible et courageux.
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Être sans destin

Je poursuis ma découverte enchantée de cet auteur hongrois, rescapé des camps de la mort. Avec Être sans destin, Imre Kertész prend le parti de rendre compte de l’expérience concentrationnaire d’une façon particulièrement propre à en faire ressortir toute l’horreur, dans une langue simple et dépouillée. Gyurka est un jeune adolescent de presque quinze ans. C’est d’abord son père qui est « réquisitionné » pour le « service du travail obligatoire » (p.18), et il accompagne ce dernier, avec sa belle-mère, faire des « emplettes » pour s’y préparer : sac à dos, canif, gamelle… Lui-même raflé sur la route le menant à l’usine où il est envoyé pour travailler – le chapitre commence par « Le lendemain, il m’est arrivé quelque chose d’un peu étrange » (p. 57) -, envoyé dans un camp de transit puis de là transporté à Auschwitz dans les tristement célèbres wagons à bestiaux, totalement ignorant de ce qui l’attend, il ne se départit jamais du regard naïf et décalé qui est le sien, étranger à sa propre expérience, alors que le lecteur a forcément une représentation plus intégrée des choses, ce qui s’avère particulièrement efficace pour mettre en lumière l’entreprise de destruction nazie, ses mécanismes, ses stratagèmes. Un roman que j’ai beaucoup apprécié, qui m’a fait comprendre davantage l’incommunicabilité d’une telle expérience.
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Être sans destin

La vie de ma mère !

La vie de ma mère adolescente, c'est ce qu'a vécu au tout début "l'anti-héros-par-obligation" du livre : les sirènes, les bombes, les abris.

Le reste, non ; elle n'était pas juive, sinon je ne serais peut être pas là, à pondre une critique.

Cette dernière phrase m'a été inspirée par ce dialogue, en fin de livre :

"Vous avez vu les chambres à gaz ?

-- J'en ai entendu parler, je ne les ai pas vues, sinon je ne serai pas là, à dialoguer avec vous.



Contrairement au livre de Primo Lévi, une sorte d'optimisme, ou plutôt de distanciation s'empare de l'anti-héros quand il est embarqué dans l'enfer des camps.

L'enfer ?

"La prochaine fois, il faudra que je parle du bonheur des camps."

Cette ironie lui permet de survivre, lui qui a frôlé la mort. Et là, il me fait penser à Boris Cyrulnik, et son superbe livre :

"Un merveilleux malheur"

. Les Juifs sont très forts en résilience. Je les admire. Un des oncles juifs de l'anti-héros lui apprend les voix et les voies du Seigneur ; je pense que c'est une bonne méthode de résistance-résilience, ainsi que, comme il le dit lui-même, d'avancer pas à pas, car, grosso modo, le temps est un grand maître, ce qui est dit dans le livre, et que m'a également appris mon père.

.

Ce fameux anti-héros, qui manie l'humour dans les heures les plus sombres de "L'hiver du monde", c'est Imre Kertész, car en 1944, à l'âge de 15 ans, il est déporté à Auschwitz, puis transféré à Buchenwald.

.

Je ne suis pas dans une phase "lecture de deuxième guerre mondiale", mais une de nos filles m'a offert ce livre.

Par respect pour tous les gens qui ont souffert, dont mes grands parents et mes parents, je mets 3 étoiles, même si je n'avais pas franchement envie de lire "Etre sans destin".

Ce qui m'amène à la question que soulève l'auteur à propos du destin :

soit nous avons une destinée tracée ( par une puissance supérieure ),

soit nous avons la liberté de tracer notre route, en tous cas, la liberté de penser, et notre libre-arbitre, ce que martèle notre cher Nietzsche :)

.

De plus, ce livre m'amène à faire un peu de "réclame" comme on disait à l'époque :

, comme Charlie Chaplin mais avec beaucoup moins de don, je manipule le petit bonhomme à moustache dans "Idoles".
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Roman policier

Ce court roman a été écrit alors que la Hongrie, pays de l'auteur, faisait encore partie du bloc de l'est. Imre Kertész, a tout intérêt alors à exporter l'action dans un pays d'Amérique latine, fictif, car son livre est une sévère critique d'un régime totalitaire, aux mains de militaires et policiers, faisant régner la terreur et n'hésitant pas à mettre à mort des innocents après des procès arbitraires, des enquêtes à charge et des interrogatoires musclés menés par des sadiques sanguinaires.

Beaucoup de violence dans ce livre... qui provoque un grand malaise. Un livre fort.
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Être sans destin

Imre Kertész a passé une année en camp de concentration, car juif durant la seconde guerre mondiale.

Être sans destin est son récit de cette incarcération.

Il ne m'a pas été très simple de me plonger dans cette oeuvre car le narrateur décrit d'une manière assez distante ce qu'il vit. Il n'exprime pas non plus ses ressentis ou émotions, ce qui m'a ici dérangée au vue des horreurs vécues et que je peux imaginer (ne serait-cequ'au centième).

Mais comment exprimer l'innommable, comment mettre du sens sur ce quotidien sans sens, sans but alors qu'on est un adolescent, seul, sans repères ni proches pour nous soutenir? Peut-être tout simplement comme imre Kersetz, par des faits, des détails que l'on perçoit tant bien que mal.

J'ai été un peu déboussolée par cette écriture froide et distanciée, mais écrire a sans doute permis à l'auteur d'extérioriser l'horreur, quand sa pensée n'etait plus autorisée et son corps uniquement souffrance.
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