Jamaica Kincaid :
Mon frèreOlivier BARROT, au château de Chenonceaux, présente le dernier
roman de l'écrivain
Jamaïca Kincaid, "
Mon frère", publié aux éditions l'Olivier.
Et encore et encore, le cœur – enfoui aussi profondément que jamais dans la poitrine humaine, ses quatre cavités exposées à l’amour, à la joie, à la douleur, et aux petits puits de désespoir qui les séparent.
Ma mère adore ses enfants, je veux le dire, à sa manière, et cela est très vrai, elle nous aime à sa manière. C'est sa manière à elle. Elle ne s'est jamais avisée que sa manière de nous aimer pourrait n'être pas la meilleure chose pour nous. Elle ne s'est jamais avisée que sa manière de nous aimer pourrait l'avoir servie elle mieux qu'elle ne nous a servis, nous.
"J'espère pouvoir aimer quelqu'un au point d'en mourir."
Quand j'ai vu mon frère couché dans le lit de l'hôpital, mourant de cette maladie, il avait les yeux fermés, il était endormi (…) ; ses mains reposaient sur sa poitrine, l'une par-dessus l'autre, juste sous le menton, dans cette pose pieuse des morts, mais il n'était pas mort à ce moment-là.
Je venais juste de remarquer que les gens qui connaissaient la manière correcte de faire des choses - comme tenir une tasse de thé, déposer des aliments sur une fourchette et la porter à leur bouche sans tacher le devant de leur vêtement -, ces gens étaient responsables de presque toutes les misères, et c’étaient aussi ceux qui avaient le moins de chances de finir fous ou pauvres. (p. 100)
How soft is the blackness as it falls. It falls in silence and yet it is deafening, for no other sound except the blackness falling can be heard. The blackness falls like soot from a lamp with an untrimmed wick. The blackness is visible and yet it is invisble, for I see that I cannot see it. The blackness fills up a small room, a large field, an island, my own being. The blackness cannot bring me joy but often I am made glad in it.
Quand j’avais quitté mes parents, je m’étais dit que je ne voulais jamais les revoir. C’étaient des mots dits à la manière d’un enfant; quand un enfant veut voir mourir quelqu’un, qu’il peut même se voir en train de commettre l’acte fatal, il veut pourtant que la personne morte se relève et revive comme avant – seulement sans cette chose qui avait fait que l’enfant avait souhaité sa mort. (p. 138)
Mariah ne croyait pas en cette façon de faire. Elle pensait qu’avec les enfants, la sincérité et la franchise, la vérité aussi peu déguisée que possible étaient la meilleure méthode. Elle pensait que les contes de fées étaient une mauvaise idée, surtout ceux où des princesses étaient réveillées d’un long sommeil par le baiser d’un prince; apparemment, ce genre d’histoires donnait aux enfants, surtout aux filles, une idée fausse de ce qu’elle devait attendre du monde en grandissant. Son discours sur les contes de fées m’amusait toujours, car j’avais en tête une longue liste de choses qui contribuaient à donner une idée erronée du monde, et il se trouvait que les contes de fées n’y figuraient pas. (p. 49)
Mon malheur se cachait au fond de moi, et lorsque je fermais les yeux, je pouvais même discerner sa forme, sans être capable de dire exactement où il se situait, dans mon ventre ou dans mon cœur. Je voyais une petite boule noire, enveloppée de toiles d’araignée.
If I had been asked, I would not have been able to say exactly how it was that I got that way. It must have come on me like mist: first, I was in just a little mist and could still see everything around me, though not so clearly; then I was completely covered up and could not see even my own hand stretched out in front of me.