Si quelque chose de moi doit survivre à ces temps de corruption, que ce soit cela. Car c'est cela seulement qui dira quel homme j'ai été.
Si j’étais resté là-bas, y aurais-je vécu heureux ? Non, je ne le pense pas. Tout change, ceux que nous aimons s’en vont, vieillissent, disparaissent, et peu à peu retombe cette ardeur qui nous faisait croire à chaque instant que l’instant d’après serait encore plus beau. C’est maintenant ou jamais; il faut prendre le bonheur quand il passe.
J’aimais à croire que les hommes au travail dans les champs, en m’apercevant, me reconnaissaient comme une composante de leur paysage - ce gars, le peintre là-bas, celui qui fait un boulot pour payer sa pension...
Je ne sais pas ce qui me prit alors, une sorte de folie sans doute, car j’agrippai plus fermement cette poignée et me mis à tirer dessus, encore et encore, et le tintement de cette lointaine clochette revint en courant le long des corridors, dégringola les escaliers, se multiplia en une infinité d’échos emplissant la maison, et les coins obscurs et les pièces désertes comme l’auraient fait les éclats de son rire cristallin. Et je sus, à cet instant, que ce rire me venait du passé - clair, espiègle et d’une poignante tristesse. Et ce fut le pire moment de ma vie.
Nous pouvons demander et demander encore, nous ne retrouverons jamais ce qui, hier, semblait nous appartenir pour toujours - l’apparence des choses, une église solitaire au milieu d’un champ, un lit sur le sol d’un clocher, l’écho d’une voix dont on se souvient, un visage adoré. Ils ne sont plus là, ils sont partis à jamais et vous ne pouvez qu’attendre que la douleur s’appaise.
Nous sommes par nature des êtres d’espoir, sans cesse offerts à de nouvelles déceptions, irrésistiblement attirés par le trésor qui pourrait se trouver sous le plus sordide des emballages.