Citations de Jamey Bradbury (172)
Des voix qui flottent, qui montent, qui traversent le plancher, les voix d’enfants qui ne sont pas les miens mais auxquels je me suis attachée, que j’ai appris à aimer, le garçon, généreux, gentil, facile, et la fille, méfiante mais vive, qui porte en bandoulière le vide créé en elle par la perte de sa mère.
J’avais mal pour elle. Et mal du vide qu’elle avait fait en moi. Elle était là, à quelques pas, suffisamment proche pour que je lui demande n’importe quoi, mais je n’avais plus de questions. J’avais seulement envie de lui dire de rester. De ne pas se cacher.
Chaque arbre que je voyais, chaque pierre, chaque branche tombée, tout était comme un trou sur le chemin qu’on oublie sans arrêt. On y tombe à chaque fois, on se foule la cheville et on se dit, ce trou, il faut que je m’en souvienne, mais dès que la cheville cesse d’être douloureuse, on oublie de nouveau, et c’est cet oubli qui fait qu’on remarche exactement dans le même trou la fois d’après.
C’était le charbon qui se consumait encore en moi, mais il avait changé. C’était maintenant comme un bloc d’espoir enflammé plutôt que comme une boule de colère. Avec ce genre de sensation, vous avez deux possibilités. Vous pouvez la laisser vivre sa vie, et elle finira par s’éteindre. Ou vous pouvez en faire quelque chose. L’attiser. L’alimenter. Regarder les flammes grandir.
Vous avez beau vieillir, quel que soit l'âge que vous atteignez, vos parents l'auront atteint avant vous, seront déjà passés par là, et ça a quelque chose de réconfortant. Comme un sentier que vous ne connaissez pas, dans la forêt, sur lequel il y aurait des traces de pas qui vous diraient que quelqu'un l'a déjà emprunté. Jusqu'au jour où vous arrivez à l'endroit où ces traces s'arrêtent.
Mes dents n'étaient était pas assez tranchantes pour percer une peau de bête, mais la peau des humains, c'est moins épais.
On peut apprendre plein de trucs rien qu'en regardant et en réfléchissant. Mais il y a d'autres trucs qu'on ne peut savoir qu'en les vivant soi-même.
S'il est une chose que je dois faire avant de mourir, c'est voir des aurores boréales.
Je les ai vues, tu sais. Les aurores boréales.
C'était comment?
Comme le dit P.K. En plus étrange. C'est comme si le ciel respirait de la lumière.
On a couru. L'air froid sur mon visage, comme des tessons de verre dans mes poumons. Les chiens ouvrent la piste plus facilement que je le croyais, ils font voler la neige en galopant, envoient des aiguilles me piquer les joues, le front. Nul bruit sinon celui des patins sur la neige fraîche et le souffle des chiens. D'en haut, la lune plaque sur la neige les fines lignes d'ombre des branches nues.
Vous avez beau vieillir, quel que soit l'âge que vous atteignez, vos parents l'auront atteint avant vous, seront déjà passés par là, et ça a quelque chose de réconfortant. Comme un sentier que vous ne connaissez pas, dans la forêt, sur lequel il y aurait des traces de pas qui vous diraient que quelqu'un l'a déjà emprunté. Jusqu'au jour où vous arrivez à l'endroit où les traces s'arrêtent.
Quand quelqu’un disparait de votre vie, vous vous attendez à ce que cela change tout, à tout jamais, et, d'une certaine façon, c'est bien ce qui se passe. Mais pas autant que vous auriez pu le croire. Une personne meurt, et les chiens ont quand même besoin qu'on les nourrisse. La merde a quand même besoin détre pelletée. On continue à manger, à dormir, à se réveiller. La neige fond, les arbres et l'herbe reverdissent, les jours rallongent puis raccourcissent. La neige revient, presque un an a passé, et on se surprend à continuer à vivre, malgré le pire.
Elle ne m’avait jamais beaucoup parlé de comment elle chassait quand elle était petite. Elle m’avait raconté ses folles sorties en forêt, quand elle disparaissait pendant des heures, parfois des jours, et qu’elle rentrait à la maison couverte de boue et les cheveux tout emmêlés. Couverte de sang aussi, sûrement, bien qu’elle ne l’ait jamais précisé. Elle m’avait seulement dit qu’elle avait tout d’une petite sauvage. Jusqu’à ce qu’elle décide de se domestiquer.
[…]
Toutes les questions que j’aurais dû lui poser mais que je n’ai jamais évoquées. Toutes celles que je lui avais posées mais qu’elle avait éludées. Pourquoi n’avais-je pas insisté pour obtenir des réponses claires ? Par exemple à la question de savoir comment elle avait fait pour arrêter de boire. Ou en quoi les humains et les animaux étaient des choses différentes, et comment elle le savait. Ce qui était arrivé au garçon qui s’était perdu dans la forêt quand elle était petite. Pourquoi elle refusait d’aller toute seule dans la forêt. Où elle allait quand elle s’éclipsait, la nuit. Je me souvenais d’avoir réprimé chacune de ces questions, de crainte de l’effrayer, de crainte qu’elle s’enfuie en courant et qu’elle se ferme à moi.
Si je pouvais m’arrêter où je veux et m’abstenir de raconter le reste, c’est là que je choisirais de finir.
J’en appellerais au grand gel qui s’annonçait, et je laisserais la neige et la glace nous figer exactement tels que nous l’étions ce jour-là, alors qu’un bonheur silencieux s’était emparé de moi, quelque chose qui ressemblait plus à de la justesse, et je n’aurais su dire s’il s’agissait de ma propre sensation, ou de celle de Su, ou de celle de Jesse. Le constat d’être revenu en un lieu que vous savez être le vôtre. Où vous savez qu’on vous désire et qu’on vous aime.
T’es arrivée, et dès le premier jour tu as eu un rapport incroyable avec les chiens, comme si tu savais lire dans leurs pensées. Tu avais ça en toi. Jamais, dans mes rêves les plus fous, j’aurais pu imaginer avoir une fille comme toi, Trace. Et quand Scott a grandi et qu’il s’est trouvé que le mushing ne l’intéressait pas plus que ça, eh ben c’était pas grave. Comprends-moi bien, hein, s’il avait fait preuve d’un peu plus d’intérêt, je lui aurais appris, à lui aussi. Mais tu te rends assez vite compte que tes enfants sont attirés par des trucs bien à eux. Et c’est pas grave, au fond, du moment qu’ils sont heureux.
Jesse était une piste inconnue au coeur de la forêt. Un paysage familier rendu étrange, une montagne que je voyais pour la première fois, et je frissonnais de mon envie de l’explorer.
J’avais envie de te laisser vivre, elle a dit.
Ça s’est brassé dans mon cerveau, ses mots qui tournaient et tombaient et se bousculaient les uns contre les autres, qui se réarrangeaient, s’ordonnaient d’une autre manière.
[...] la vie n'est qu'un vautour avide. J'ai lu des choses sur les vautours, ils mangent et mangent et mangent encore, même quand ils sont repus ils continuent, ils dévorent tout ce qu'ils ont devant eux. Le vie avale un truc et ça ne fait que la rendre plus avide, alors elle se met à en avaler d'autres.
"Il y a des livres dans le monde qui vous font vous demander, quand vous les lisez, comment un parfait inconnu peut faire pour savoir aussi précisément ce que vous avez dans la tête."
"Les chiens se sont mis à s'agiter quand ils l'ont vu se diriger vers eux, ils frétillaient da la queue, ils bondissaient pour poser leurs pattes avant sur son torse. Toujours heureux de le voir parce qu'il n'existe rien de plus loyal qu'un chien."
"Certaines douleurs restent en nous, même si on ne s'en souvient pas, elle a dit."
"Tout le monde raconte des tas d'histoires pour dire combien c'est exaltant d'apprendre qu'on va avoir un bébé. Mais tu ne trouveras personne pour te dire à quel point ça va te terrifier."
"Vous avez beau vieillir, quel que soit l'âge que vous atteignez, vos parents l'auront atteint avant vous, seront déjà passés par là, et ça a quelque chose de réconfortant. Comme un sentier que vous ne connaissez pas, dans la forêt, sur lequel il y aurait des traces de pas qui vous diraient que quelqu'un l'a déjà emprunté. Jusqu'au jour où vous arrivez à l'endroit où ces traces s'arrêtent."
Il y a de l'électricité dans l'air, ça vous picote la peau et vous savez que bientôt la neige aura tout recouvert.en dessous, vous percevez encore les senteurs troubles de l'automne, les feuilles mouillées et le bois pourri, les choses qui se décomposent et retournent la terre. C'est une odeur du dehors, une odeur de changement de saison. Une senteur qui n'a rien à voir avec les hommes.
Le troisième jour, elle ne se tenait plus debout, même avec notre aide.
Je vais la faire courir, ai-je dit à Papa.
Il m"a regardée longuement, puis a hoché la tête.
Dehors, j'ai attelé une petite équipe au traîneau, puis j' ai mis des couvertures et de la paille dans le panier. Quand je suis revenue pour prendre Su, Papa était en train de la caresser et de lui parler d'une voix douce. Je les ai laissés, j'ai attendu près du traîneau.
Au bout de quelques minutes, Papa est sorti avec Su dans les bras. Ensemble, on lui a mis son harnais et on l'a accrochée dans le panier, même si elle ne risquait pas d'essayer de se sauver. J'ai sifflé; et l'équipe nous a emmenées vers la forêt.