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Critiques de Jean-Claude Michéa (58)
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L'empire du moindre mal

Si vous êtes français, et que l’alternance politique gauche/droite vous paraît une sinistre plaisanterie, cet essai donnera de la consistance à ce qui ne pouvait être qu’un sentiment diffus.



L’auteur commence par rappeler les racines du libéralisme : effrayés par les carnages et l’asservissement que peuvent provoquer les communautés (religions, corporations, …) sur ses propres membres, ou les membres du camp adverses, les philosophes sont devenus très méfiants sur la Vertu, la Morale, et tout ce qui porte une majuscule en général. D’où l’idée que les individus devraient avoir la possibilité de faire tout ce qu’ils souhaitent, tant qu’ils n’empiètent pas sur la liberté des autres. L’équilibre des égoïsmes devrait mener à une société qui ne fait peut-être pas rêver sur le papier, mais qui est la moins pire possible que l’on puisse obtenir. On fait ce qu’on veut chacun de son côté, et quand on n’est pas d’accord, on passe devant les tribunaux pour trancher qui empiète sur les droits de qui.



En France aujourd’hui, il n’y a plus que des partis libéraux : la gauche a abandonné progressivement les thèmes sociaux pour les thèmes sociétaux (aucun individu ne doit être contraint dans sa vie par une Morale qu’il ne reconnaît pas (mariage homosexuel, extension de la FIV, …)), tandis que la droite se concentre plus sur son aspect économique (aucun individu ne doit être contraint à dépenser 1€ au nom d’une Valeur qu’il n’a pas choisi lui-même (réduction des cotisations sociales, privatisation des service autrefois collectifs,…)). Et si ces deux camps se présentent comme ennemis, c’est surtout à partir de leur base électorale historique, car ils partagent aujourd’hui les mêmes fondements théoriques. Écrit en 2007, le livre préfigure bien le mandat d’Hollande (de gauche, légalisation du mariage homosexuel mais allègement du Code du travail), puis celui de Macron qui offre finalement une synthèse libérale claire et rend les autres partis confus en comparaison.



Pour Michéa cependant, le postulat de départ du libéralisme est faux, car l’être humain n’est pas purement égoïste par nature. Les gestes de solidarité éclatent spontanément, et une société ne tient debout que parce que le goût du travail bien fait, le sens de l’honneur et celui du sacrifice sont largement répandus dans la population (dont une large part réclame d’ailleurs plus de protection mutuelle que d’individualisme). L’auteur incite tout de même à la méfiance, car l’individualisme a tendance à être contagieux une fois passé un seuil critique (comme il n’y a aucun intérêt à faire bloc avec des gens qui vous lâcheront au premier effort que ça leur demandera, plus il y a d’égoïste autour de vous, plus vous avez intérêt à le devenir aussi) et aujourd’hui, on a bien de la peine à trouver une « force vivante » capable de s’opposer au libéralisme.



L’empire du moindre mal est un de ces essais « coup de pied dans la fourmilière » qui donne l’occasion de voir quantité d’événements sous un jour nouveau. Il offre aussi un grand bol d’oxygène intellectuel : en renommant simplement certaines choses de la bonne façon, des problèmes qui paraissaient flous et frustrants dévoilent soudain des réponses lumineuses.

Une seule réserve pour le moment, la généralisation du propos en dehors du contexte de la France, qui ne me paraît pas aller de soi.
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L'empire du moindre mal

Dans cet essai assez dense, le philosophe Jean-Claude Michéa a pour ambition de circonscrire ce qu'est vraiment le libéralisme : genèse de l'idée, principaux idéologues d'hier et d'aujourd'hui, conséquences sur l'évolution de notre société. Un objectif qui est finalement atteint malgré un parcours sinueux et quelques détours.



Je l'avoue, j'ai failli abandonner la lecture de ce livre à la page soixante tant le texte est touffu, les phrases longues, la structure peu claire, les itérations nombreuses, le vocabulaire et les références complexes. Mais, j'aurais eu tort et je vais tenter de vous démontrer pourquoi.



En rupture avec l'humanisme de la Renaissance, le libéralisme qui apparaît au XVIIe siècle " ne se soucie pas de définir des Idées ou de saisir des Essences, c'est-à-dire de s'exprimer au nom d'une quelconque "Vérité", quel que soit le statut métaphysique de cette dernière. "



Non, inspiré par l'appréciation pour le moins pessimiste de l'Homme que Thomas Hobbes expose dans le Léviathan (publié en 1651), le libéralisme primitif se contentait de mettre au point un système juridique qui permet à chacun de faire ce qui lui plaît tant qu'il n'empêche pas les autres de faire pareil.



Contrairement aux doctrines antérieures, ce capitalisme originel ne s'encombre pas de considérations morales ou religieuses : il prétend simplement faire preuve de bon sens, loin de tout débat d'idées. C'est en quelque sorte le remplacement décomplexé des diverses visions de monde patiemment construites par les grands penseurs " d'avant ". Il s'agit plutôt d'un (bon ?) sens commun reflétant les valeurs utilitaristes et pragmatiques de la bourgeoisie commerçante contemporaine des Lumières... Pour résumer, le droit libéral a au départ " une fonction comparable à celle du Code de la route ".



Michéa précise que, pour les libéraux, " l'État le plus juste c'est un État sans idées ". Le pouvoir qui s'en inspire met ainsi un point d'honneur à ne jamais s'interroger sur ce qu'est la meilleure façon pour un citoyen de conduire sa vie ou d'employer sa liberté " naturelle ".



Or, comme le libéralisme s'interdit de juger de toutes les questions autres que techniques, il se borne à une simple " administration des choses ". Michéa en profite au passage pour égratigner " l'État libéral qui a trouvé, depuis trente

ans, un personnel politique remarquablement adapté à sa fonction. " Autrement dit, gouverner ça n'est plus prévoir, c'est administrer.



Et de poursuivre : " Dans sa forme idéale, l'État libéral doit donc veiller en permanence à séparer soigneusement l'exercice du pouvoir de toute considération morale, ou religieuse " [p. 95]. Pourtant, relève JCM, il existe malgré tout des situations où cet " État minimal " outrepasse son rôle de gestionnaire pur et dur : à savoir, " lorsqu'il s'agit de défendre les conditions du laissez-faire. " Comme exemple concret, Michéa évoque (au deuxième degré !) notamment " les avantages injustement acquis lors des luttes antérieures (et non moins archaïques) de la classe ouvrière et de ses différents alliés "...



Ainsi, " la société du moindre mal est non seulement celle qui, pour se développer efficacement, n'a nul besoin d'exiger de ses membres un quelconque travail sur eux-mêmes : de les exhorter, par exemple, à se conformer à un idéal déterminé de perfectionnement moral ou religieux. Et comme Adam Smith (après Mandeville) ne se prive jamais de le souligner, il s'agit d'une collectivité dont les rouages fonctionnent d'autant mieux que chaque individu renonce de lui-même à accomplir un tel travail (du reste, forcément suspect) et préfère à cette existence sacrificielle la poursuite plus tranquille de ses intérêts bien compris et la réalisation de ses désirs particuliers " [p. 96-97].



De nos jours, débarrassés des principes éthiques qu'ils considèrent comme des entraves néfastes au développement d'une économie dynamique, les héritiers du libéralisme originel prônent un "égoïsme rationnel". Celui-ci leur permet en toute bonne conscience d'exploiter et de licencier leurs employés précaires, d'engranger des profits surréalistes, de commercer avec les dictatures, de saccager l'environnement, de falsifier leur comptabilité. Et, lorsque tout est fini, ils se sauvent en ayant d'abord pris soin d'actionner leurs parachutes dorés.



En effet, depuis le dernier tiers du XXe siècle le néo-libéralisme n'est plus tout à fait comparable à son ancêtre institué par Thomas Hobbes, Adam Smith ou Bernard de Mandeville. Pour continuer à exiger une cascade de nouvelles privations de la part de ses tributaires, il promet désormais "le meilleur des mondes" comme l'avait fait avant lui le communisme soviétique ou chinois, mais comme n'avaient jamais osé le suggérer ses pères fondateurs.



Dans cet univers définitivement façonné par l'influence bénéfique du Marché et du Droit, les citoyens "doivent perpétuellement être exhortés à abandonner les manières de vivre qui leur tiennent le plus à cœur s'ils veulent tenir les rythmes infernaux qu'impose le développement continuel de ces deux institutions."



Alors, pour parvenir à concrétiser cette belle prophétie "de l'homme nouveau exigé par le fonctionnement optimal du Marché et du Droit", il faut valoriser un travailleur prêt à sacrifier sa vie - et celle de ses proches - à l'Entreprise compétitive. On a également besoin "d'un consommateur au désir sollicitable à l'infini, d'un individu politiquement correct et procédurier, fermé à toute générosité réelle, parent absent ou dépassé, afin de transmettre dans les meilleures conditions possibles cet ensemble de vertus indispensables à la reproduction du Système."

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L'enseignement de l'ignorance et ses condit..

L'auteur tire les conclusions qui s'imposent des résultats désastreux des multiples réformes dont l'éducation nationale a souffert depuis de longues années : le déclin de la lecture, le progrès de l'illettrisme, la disparition programmée des matières de réflexion au profit d'une "culture" morcelée, communautaire ou réduite à ses expressions médiatiques, tout cela ne se fait pas contre la volonté des gouvernants, mais est le fruit d'une politique délibérée. L'acquisition d'une culture (au sens fort) et l'apprentissage de la réflexion avaient pour but de créer des citoyens responsables, parties prenantes de la vie politique de leur état. Aujourd'hui, plus personne ne veut de cela : nos sociétés ont besoin de consommateurs passifs, non de citoyens responsables, et les réformes du système éducatif, vers toujours plus d'ignorance, sont faites pour cela.
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Le complexe d'Orphée

Quant au nom de l'idéologie du progrès et de la Raison souveraine, la gauche s'acoquine avec la logique du Capital pour faire table rase du passé, s'interdisant de regarder en arrière, cela donne un monde où la marchandisation est reine, un monde sans limites et sans frontières, un monde invivable où l'individualisme généralisé mène droit au Chaos.

C'est le « plus jamais ça » issu des horreurs provoquées par les guerres du XXe siècle (et j'ajoute la faillite de l'idéologie communiste) qui a engendré cette course éperdue vers le progrès au mépris des fondements mêmes et du sens véritable du socialisme initial.

Engrangées dans la chute des valeurs, droite et gauche sont dans ce sens l'avers et le revers d'une même pièce.

Une lecture d'un intérêt puissant, mais terriblement fastidieuse, car on a l'impression de parcourir un labyrinthe qui donne sur une multitude d'impasses et ouvre une infinité de portes (notes et scolies) qu'on a du mal à refermer pour retrouver le fil conducteur.

On l'a bien compris, ce livre mérite mieux que ce résumé sommaire.

Je ferais une vraie synthèse après relecture.
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Le loup dans la bergerie

Karl Marx présentait « le Marché libéral » comme « un véritable éden des droits naturels de l’homme », assertion partagée au XIXe siècle par la plupart des courants socialistes et anarchistes mais parfaitement inaudible aujourd’hui. Pourtant, Jean-Claude Michéa se propose d’expliquer comment le recentrage de la gauche moderne sur la seule rhétorique des « droits de l’homme » l’a convertie aux dogmes du libéralisme, notamment à la « mystique de la croissance et de la compétitivité ».

(...)

Dans ce texte d’une conférence prononcée en 2015 au congrès du Syndicat des avocats de France, Jean-Claude Michéa propose une analyse historique fort intéressante, cependant ses conclusions restent un peu évasives. Au risque de passer pour « passéiste », il préconise, sans beaucoup s’étendre, de proposer « une autre manière philosophique de fonder ces libertés indispensables » afin de « désamorcer le principe d’illimitation qui ronge de l’intérieur l’idéologie libérale des droits de l’homme », et souligne tout l’intérêt philosophique de la critique socialiste du XIXe siècle, notamment dans ses variantes libertaires et anarchistes, qui projetait précisément de refonder l’idéal de liberté et d’égalité. Il dénonce l’hypocrisie d’un droit privé, prétendument symétrique, dépourvue de questionnement philosophique, qui justifie « l’enrichissement sans fin d’une minorité et la précarisation croissante de l’existence du grand nombre ». L’idéologie officiellement « égalitariste » se développe paradoxalement au même rythme que celui des inégalités sociales réelles. Fort de son constat, il se contente de désigner la direction opposée, limité sans doute par le format de son intervention et soucieux de répondre aux préoccupations immédiates de son public.



Article complet sur le blog.
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Le complexe d'Orphée

Michéa se rend coupable d'un grand crime dans ce livre : il dévoile la gauche, il dit ce qui se cache dans le camp du bien, du progrès, de l'avenir, en analysant avec attention les discours et les écrits de ses partisans, de DSK au dernier gauchiste venu de quelque collectif. Par ses analyses précises, il montre qu'il n'existe absolument aucun conflit, ni idéologique, ni d'intérêts, entre le libéralisme mondialisé, le capitalisme le plus débridé, et les mouvements politiques "de Progrès", entendez toute la nébuleuse qui va du PS aux Antifas. Par là, nous sommes avertis et savons quelle créance accorder aux discours antilibéraux de ces mêmes groupes et partis.
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L'enseignement de l'ignorance et ses condit..

« Quels enfants allons-nous laisser à notre monde ? » (plutôt que « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? ») : c'est la question finale que pose Michéa dans cet ouvrage qui, une fois de plus a tout pour séduire : Michéa c'est le style allié à l'intelligence mais, plus encore, un esprit critique sans concession.



On peut certes estimer que l'école républicaine n'est pas en crise (du point de vue de ses programmes et des résultats qu'elle donne). Et certains sociologues essaient de faire valoir que le niveau des élèves, contrairement à une idée répandue, ne décline pas. Pour Michéa, ce constat n'est pas seulement faux, il est surtout trompeur. Son sujet (même s'il a des propos forts vis-à-vis de ces « sociologues d'État ») est finalement moins de disserter sur le niveau atteint que sur le contenu et l'objectif des enseignements délivrés. L'École, considérée par Althusser comme un appareil idéologique d'État, est devenu pour Michéa un appareil idéologique du Marché. Et l'enseignement de l'ignorance n'est pas la transmission de contenus appauvris, mais bel et bien la disparition organisée des savoirs qui permettent à l'individu de gagner son autonomie, au sens fort de ce concept : une aptitude fondamentale à comprendre à la fois dans quel monde nous sommes amenés à vivre, et à partir de quelles conditions la révolte contre ce monde est une nécessité morale.



Avec l'avènement de l'économie libérale, et notamment depuis de la fin des années 1960, et plus encore suite à 1968, véritable traumatisme pour les classes dirigeantes économiques, une entreprise d'investigation de l'école comme antichambre du salariat dominé s'est opérée. Elle a son pendant « culturel » : l'incitation toujours plus poussée, appuyée sur toutes les techniques de communication possible, de « tittytainment », ce « cocktail de divertissement abrutissant », ou comme l'aurait dit l'ancien patron d'une « grande » chaine de télévision, l'entreprise de mise à disposition de cerveau, par un siphonage organisé.



Ce disant, Michéa prend le risque de se voir classer parmi les conservateurs, voire parmi les réactionnaires. Il le sait. Mais loin de se laisser impressionner par des qualifications hostiles souvent creuses, il en profite pour nous amener à distinguer ce que doit être une « indispensable marche » arrière et une « inacceptable régression ». Pour lui, ce qu'il faut refuser, ce n'est pas le principe même du changement mais « le fait que son rythme soit désormais défini et imposé par les seules lois du Capital et de son accumulation ». le dogme du progrès qu'on ne cesse de brandir, pour ne pas parler du sens de l'histoire, sont des notions qui finissent par penser à notre place si on n'en interroge pas le contenu concret (comme dirait Alain Supiot). Et quelle plus belle démonstration que celle d'un des maîtres à penser de Michéa, George Orwell qui disait : « quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s'il nous rend plus humains ou moins humains ».

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L'enseignement de l'ignorance et ses condit..

La couverture, avec le nom de l'auteur et le titre souligné à gros trait au ras de la police de caractère, m'a mise mal à l'aise. Inesthétique et un brin « too much » qui entraine instinctivement une répulsion et une méfiance dont j'ai cherché les raisons au cours de ma lecture.

L'auteur part d'un constat : le niveau scolaire en baisse (inaptitude à lire, à exercer son esprit critique) qu'on pourrait croire la résultante d'un dysfonctionnement de l'école, mais qui n'est en fait qu'une des conditions du système pour se maintenir.

Le capitalisme est en effet basé sur une utopie, l'hypothèse d'un marché unifié et autorégulateur qui prend ses lettres de noblesse dans les sciences expérimentales avec l'invention de l'économie politique érigée faussement en tant que science. Cette religion du Capital privilégie la raison, l'intérêt, ou le calcul égoïste, qui s'oppose au civisme et aux valeurs issues, historiquement, des sociétés antérieures.

Dans cette optique, mai 68 n'a été qu'une formidable occasion pour l'économie capitaliste de faire table rase d'un passé encombrant qui freinait sa course.

La stratégie du Capital ne doit rien au hasard : ses élites se réunissent régulièrement. En 1995 : « L'assemblée commence par reconnaitre — comme une évidence qui ne mérite pas d'être discutée — que dans le siècle à venir, deux-dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale. » Reste donc une question de taille : comment gouverner l'humanité surnuméraire, négligeable en tant que force de travail potentielle rendue le plus souvent inutile par les progrès de l'automatisation.

La solution proposée sera le « tittytainement ». Un mot valise pour désigner le divertissement et l'abrutissement des masses par le spectacle diffusé par les écrans avec l‘appui des enseignants qui seront relégués pour ce faire au rôle d'animateurs. Mieux vaut dans cette optique rayer la culture classique voire la logique qui pourrait donner naissance à l'esprit critique !

Ce que met en évidence Michéa, outre la logique implacable du Capital, c'est le cynisme des élites et l'immense pouvoir de récupération du système que servent les idiots utiles (incarnés bien trop souvent par une certaine gauche) afin de saborder la diffusion du savoir, annihiler les valeurs communes pour les remplacer par la course effrénée à la consommation (version pragmatique du calcul égoïste.)

Autant dire que je suis d'accord avec ces propos. J'ai souvent pensé : fabriquer des crétins favorise indubitablement le système. Mais je suis mal à l'aise lorsque l'auteur traite Bourdieu de "naïf" et de "scientiste". Que ces conclusions aient été récupérées par une gauche qui se voulait bêtement progressiste et mal interprétées, je n'en doute pas ; mais Bourdieu est aussi un sociologue qui n'avance rien sans l'avoir démontré de manière rigoureuse, qui étaye abondamment son raisonnement par des exemples et des enquêtes fouillées. Il ne mérite pas ces épithètes caricaturales.

Je regrette d'ailleurs que ce petit brulot n'ait pas la même rigueur et que les notes de bas de page gênent la lecture. Celles rejetées en fin d'ouvrage sont pertinentes, mais embrouillent encore plus le lecteur qui aurait préféré qu'elles soient développées et insérées dans les chapitres.

Dans l'ensemble, ce n'est pas le propos, à quelques nuances près, qui me pose question, mais la structure du livre et, malgré ces quelques réserves, je vais continuer à explorer cet auteur qui mérite vraiment le détour.

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L'empire du moindre mal

Comme il l'avait précédemment évoqué dans le complexe d'Orphée, le système libéral est né des traumatismes engendrés par les guerres du XXe siècle (syndrome de Bardamu). Il prétend substituer naturellement aux guerres de religion et aux conflits idéologiques « la solution du moindre mal », un mécanisme autorégulateur basé sur la Croissance et l'économie de Marché associé à l'institutionnalisation du Droit qui sert à fixer les règles sans référence quelconque à des valeurs. C'est un processus sans « sujet » dans le sens où celui-ci a fait l'objet d'une déconstruction et les règles de droit sont fondées essentiellement sur la tolérance et le consentement des individus — un ajustement qui épouse la courbe des rapports de force en présence — et non des principes éthiques. Ce qui revient à dire, pour donner un exemple, que la prostitution peut être considérée désormais comme un métier et que la marchandisation des corps n'est plus un sujet tabou.

Le postulat de l‘état de droit s'est érigé sur le constat de base que l'homme n'obéit qu'à ses propres intérêts, qu'il est fondamentalement égoïste et que tout recours aux valeurs du Bien et de Mal est dangereux, car il sous-entend une métaphysique source de conflit.

À cette vision négative de l'humain, qui n'est bien, en fait, qu'une nouvelle idéologie savamment orchestrée et basée sur un totalitarisme qui ne dit pas son nom, Michéa oppose « la common decency » un concept populaire (désigné par Orwell) qui veut dire que certaines choses ne se font pas, qu'elles ne sont pas humainement acceptables. Un minimum de valeurs partagées est nécessaire. C'est un sentiment universel à la base de toute tentative de société avant qu'elle ne soit formatée par une idéologie quelconque.

Mais on peut se poser la question : jusqu'où et, pendant combien de temps a-t-on accepté l'esclavage, la soumission de la femme, l'exploitation de l'homme par l'homme comme si cela allait de soi ? Comment l'univers marchand a-t-il donné source à un droit inaliénable, alors que si on y regarde d'un peu plus près c'est bien d'abus de pouvoir et de vol légalisé dont il s'agit quand un quelconque quidam vend une marchandise qu'il n'a pas créée, huit ou dix fois le prix versé au producteur?

Je ne vois pas comment sortir de cette impasse sinon en reconnaissant, n'ayons pas peur des mots, qu'il y a besoin d'une éthique ; d'une justice et d'un partage pour que toute société devienne décente et ne coure pas à sa perte.









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L'empire du moindre mal

Jean-Claude Miché tente de répondre, dans cet essai, à des questions majeures sur la société dans laquelle nous vivons : qu'est-ce que le libéralisme et quels en sont les limites ?



Pour lui, le libéralisme est partagé par tous les grands courants politiques français : le libéralisme économique par la droite et le libéralisme politique et culturel (défini comme l'avancée illimitée des droits et la libération permanente des mœurs) par la gauche.



Dans cette société libérale, chacun est donc libre d'adopter le style de vie qu'il juge le plus approprié à sa conception du devoir (s'il en a une) ou du bonheur , sous la seule et unique réserve naturellement, que ses choix soient compatibles avec la liberté correspondante des autres (ma liberté s'arrête là où commence celle des autres).



La notion de morale a été bannie de cette société, car la prétention de certains individus à détenir la vérité sur le "Bien" est, pour le libéralisme politique, la cause fondamentale des affrontements violents (responsable des guerres idéologiques et religieuses).



La civilisation libérale est donc " L'empire du moindre mal " : "la démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres", une société libre mais sans morale (intégrité, bienveillance, générosité).



Car le libéralisme, donne donc la primauté à l'individu (la liberté individuelle) sur le groupe (l'égalité et la fraternité) ! Et donc, la primauté à l'égoïsme...

Et, sans les limites de la morale, auparavant portée par la tradition et la religion.



En aparté, on en constate notamment les effets dans le discours et les actions des politiques (malhonnêteté intellectuelle, violences verbales, irrespect des institutions en place, primauté du parti par rapport au bien commun,… ). Alors qu'ils devraient être exemplaires !



Or, pour l'auteur, le postulat de départ du libéralisme est faux, car l'être humain n'est pas purement égoïste par nature. Les gestes de solidarité éclatent spontanément, et une société ne tient debout que parce que le goût du travail bien fait, le sens de l'honneur et celui du sacrifice sont largement répandus dans la population (dont une large part réclame d'ailleurs plus de protection mutuelle que d'individualisme).



Que faire alors pour éradiquer le déficit de morale (de décence) des sociétés libérales ? Jean-Claude Miché ne nous propose malheureusement que peu de pistes : une vague notion de Common Decency (?) et le retour vers des relations "gagnant-gagnant" au lieu des relations "donnant-donnant"...



Ce qui est bien dommage, car la morale est indispensable à une démocratie pour donner naissance à une société libre, pacifique et prospère !



Ce chapitre m'a fait penser à l'importance de l'éducation (" Le miracle Spinoza : Une philosophie pour éclairer notre vie" de Frédéric Lenoir), à la sécurité, l'équité et la confiance ("L'entraide : l'autre loi de la jungle" de Pablo Servigne) et à l'éthique mise en œuvre dans les pays scandinaves et du nord de l'Europe ("La société de défiance. Comment le modèle social français s'autodétruit" de Yann Algan et Pierre Cahuc).



A signaler : l'accumulation dans le texte, en bas de page et en fin de chapitre, de références sur les thèses évoquées nuit grandement à sa lisibilité.

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Les mystères de la gauche

Michéa est le poil à gratter des universitaires, la mauvaise conscience des belles figures fardées d’humanisme à peu de frais, un incorruptible de la pensée. Livres après livre il a tendance, il est vrai, à se répéter : mais qui pourrait le lui reprocher ? Ne célèbre-t-on pas, béatement, les 40 ans de l’accès de la gauche au pouvoir ce mois même, comme s’il y avait eu là un événement qui changea la face de la France ? Si on le croit c’est qu’on s’attache aux apparences bien plus qu’au fond, qu’on se laisse (encore) séduire par les sirènes de discours plus qu’on ne regarde les faits. La gauche, comme le résume ici Michéa, ne saurait être associée au mot « victoire », elle est intrinsèquement une défaite, un renoncement, voire une tromperie. La gauche c’est le visage souriant, bienveillant dirait-on à notre époque, de l’exploitation et de l’injustice, c’est le renoncement même (contre ce que disait Mitterrand) à la rupture avec le capitalisme. La gauche c’est la recherche d’un compromis avec les criminels de la condition humaine digne et libre. Être du centre, disait en raillant le premier président prétendument socialiste, c’est n’être di de gauche, ni de gauche. Une jolie boutade pour faire oublier qu’être de gauche, depuis l’affaire Dreyfus au moins et peut-être même avant, c’est n’être ni socialiste, ni socialiste : car le socialisme est une rupture fondamentale, une philosophie, une anthropologie même qui ne peut pas être adaptée au modèle capitaliste qui sanctifie la propriété privée contre l’esprit du don, l’individualisme contre le sens des communs, l’exploitation de l’homme et de la nature contre toute réelle possibilité de liberté.
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Notre ennemi, le capital

Michéa offre 2 critiques pour le prix d'une:

- le capitalisme

- la gauche libérale



Une synthèse.
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Orwell, anarchiste Tory : Suivi de A propos..

Autour du concept de "décence commune", common decency, Michéa développe une rigoureuse analyse de la philosophie politique propre à George Orwell.

A travers ces deux essais brillants, c'est une lecture terriblement lucide du monde contemporain qui affleure.
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Le loup dans la bergerie



Le dernier livre de Jean Claude Michéa , " Le Loup dans la bergerie socialiste" reprend une conférence prononcée en 2015. L'auteur la complète par des commentaires qui éclairent le texte initial. Jean Claude Michéa est issu d’une famille communiste et se relie à une tradition libertaire et marxiste. Dans ce livre, fort de 166 pages, il poursuit son analyse du libéralisme en étudiant l’ implication des Droits de l’Homme dans les positionnements des partis politiques depuis les années 1970 ( et particulièrement le rôle dévastateur pour les partis de gauche). La chute des systèmes communistes dans les pays de l’est européen a convaincu les intellectuels occidentaux que le combat pour les Droits de l’Homme était fondamental : le loup ( néolibéral) est alors entré dans la bergerie ( les partis sociaux- démocrates des pays occidentaux) . La recherche des libertés individuelles a effacé la volonté de vivre ensemble : l’individu prime la société. L’Etat doit reconnaître et garantir des libertés à chaque citoyen, à chaque groupe constitué (autour de liens propres : religion, communautaires…). Il établit un Droit qui régit les libertés de chacun, et en détermine les limites pour les groupes voisins. L’atomisation de la société ne permet plus le vivre ensemble. Seul le marché, neutre ( en théorie), rassemble les individus . Les valeurs morales, religieuses … sont ramenées au stade de la vie privée. La dénonciation de toutes les discriminations élargit le champ des droits et revendique la garantie par les états. Ainsi l’état gère l’administration des choses et assure le bon fonctionnement du marché. Le libéralisme s’impose … et assure la pérennité d’un capitalisme dont l’accumulation ( de biens et de capitaux) reste l’objectif.

Jean Claude Michéa dénonce cette fuite en avant au profit d’une classe moyenne des grandes villes du monde ( 15% de la population mondiale). Une idéologique unique est imposée par le contrôle des médias et des partis politiques ( de droite comme de gauche). La coupure avec les milieux populaires ( majoritaires) induit des dénis de démocratie, quand les peuples ne votent plus comme l’entendent les élites, il est nécessaire de contourner le résultat des votes. L’auteur n’est guère optimiste, si une prise de conscience ne se réalise pas dans la naissance de fédérations de citoyens qui reprennent leur sort en mains, l’humanité peut disparaître…

Pour étayer son propos, Jean Claude Michéa reprend les écrits de Karl Marx et s’appuie sur des études récentes. . Le texte est dense, il nécessite attention et approfondissement. Reste au lecteur à se forger un avis sur le tableau présenté et sur les arguments avancés… Il en va de la liberté de chacun….

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Le plus beau but était une passe

Incisive critique de l’économie politique, à partir de l’évolution du football depuis 30 ans.



Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2016/02/14/note-de-lecture-le-plus-beau-but-etait-une-passe-ecrits-sur-le-football-jean-claude-michea/


Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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Extension du domaine du capital

Depuis près de trois siècles, le capitalisme ne fait que croître et prospérer en dépit de toutes ses crises et de tous ses krachs. Il se retrouve comme condamné à s’accroître dans tous les domaines de la vie et à se développer jusqu’au bout du monde, faute de quoi il serait condamné à périr. Mais cette fuite en avant perpétuelle, cette expansion continue, l’amenant à monter ces pyramides de Ponzi que sont ces bulles spéculatives de richesses virtuelles représentant plusieurs fois le total des PIB mondiaux ne peut l’amener qu’à devenir de plus en plus totalitaire de plus en plus intrusif au point d’en arriver à réguler progressivement toutes les sphères de l’existence humaine. L’espace réservé à la démocratie se réduit comme peau de chagrin tout comme celui des libertés individuelles (liberté d’expression, de se soigner comme bon vous semble et même de faire pousser quelques légumes dans un petit potager familial…) Cette fuite en avant démentielle n’a aucune chance de déboucher sur un quelconque avenir radieux pour les populations (excepté les 0,1% d’ultra-riches et des 10 ou 20% de classes moyennes supérieures CSP++ métropolitains), si un grain de sable ne vient pas enrayer cette machine devenue folle (wokisme, transhumanisme et autres genrismes intersectionnels). « La catastrophe, c’est lorsque les choses suivent leur cours », (dixit Walter Benjamin)…

« Extension du domaine du capital » est un essai de sociologie politique basé sur deux interviews données par l’auteur à des publications locales, complétées par une trentaine d’articles. Sur divers aspects du problème La particularité de la présentation des idées de Michéa vient surtout des notes et des notes de notes. Ainsi, un article d’une page sur un thème peut-il donner lieu à plusieurs pages de notes et de renvois à toutes sortes d’ouvrages d’autres auteurs. Il faut une bonne dose de constance pour ne pas trop se perdre dans cet étrange labyrinthe intellectuel. La condamnation du capitalisme devenu « néo-libéralisme », sa forme la plus « chimiquement pure », autant dire la plus sauvage et la plus inhumaine, n’épargnant ni les hommes ni la nature, est totale et sans appel. Michéa en bon penseur de gauche appuie sa démonstration sur Marx, Engels, Mauss et une kyrielle d’autres. Il fait aussi beaucoup référence à Orwell qui ne fit pas que critiquer le stalinisme. S’étant réfugié il y a quelques années dans un petit village des Landes à 10 km de la première boulangerie et à 20 du dernier médecin de campagne, Michéa a pu toucher du doigt la réalité de la France périphérique de Guilluy sans se comporter en prêcheur ou en colon, mais avec le désir de s’intégrer en respectant les us et coutumes du coin. Ses traits les plus aigus sont d’ailleurs réservés à la gauche post-mitterrandienne qui a abandonné le social au profit du sociétal et qui est ainsi devenue une alliée objective du capitalisme qui mène une sorte de révolution permanente. Aymeric Caron, Sandrine Rousseau et quelques autres écolo-bobos médiatisés en prennent d’ailleurs pour leur grade. Mais si le constat de faillite est pertinent et difficilement discutable, le lecteur reste sur sa faim sur la conduite à tenir pour sortir de ce piège.
Lien : http://www.bernardviallet.fr
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Extension du domaine du capital

Dans l'élaboration de ma vision de la société et la compréhension des tensions et des conflictualités qui la traversent, il y a eu indéniablement un avant et un après Michéa.



Grâce à ses ouvrages, j'ai pu mettre les mots sur cette répulsion que m'inspire cette gauche post-mitterrandienne qui a troqué la défense des ouvriers et des dépossédés contre la défense des minorités. Cette gauche qui a substitué à la lutte des classes et au marxisme, des principes moralisateurs allant de l'inclusivité à la tolérance pour se donner bonne conscience. Cette gauche que je côtoie dans le monde professionnel truffé de cadres métropolitains (dont je fais partie) et qui n'hésite nullement à soutenir une réforme antisociale tout en donnant des leçons sur le sexime ordinaire en entreprise.



Qu'on me comprenne. Je ne cherche nullement à opposer ces luttes. C'est cette gauche convertie au libéralisme qui les a opposées. Je pense à ce néo-féminisme qui revendique le droit de toutes les femmes à intégrer le camp des exploiteurs, à ce dogmatisme pro-immigration dont la première victime est le migrant lui-même, travaillant pour un salaire de misère dans l'irrespect total du droit du travail et autres absurdités qui n'intègrent nullement le social, ou quand elles cherchent à l'intégrer, c'est uniquement pour réaliser un agglomérat d'individualités sans que jamais se dessine une réflexion systémique, un raisonnement en termes de collectif, bref en termes de "classes".



Ces mots raviront probablement les gens se considérant comme de "droite". Il y en a beaucoup qui sont des admirateurs de Michéa et jubilent sur son aspect "conservateur". Mais son conservatisme n'est qu'un petit instant, essentiel certes, dans sa critique radicale du capitalisme. Les soi-disant libéraux conservateurs peuvent circuler, il n'y a rien pour eux. Car, oui, Michéa est un socialiste authentique qui démasque l'opposition factice du libéralisme économique et du libéralisme culturel. Ces deux libéralismes ne sont que les deux faces de la même médaille, et c'est peut être là le principal à retenir de Michéa.



Dans la continuité de ses précédents ouvrages, ce dernier point est développé dans son dernier livre à l'aune des dernières dérives du capitalisme. L'extension du capitalisme va au-delà du domaine économique pour s'attaquer au culturel, à l'intime et à l'anthropologique. Le capitalisme est un "fait social total", il a atteint son "état chimiquement pur" et se cristallise chez ces "agents dominés de la classe dominante", cadres CSP+, lobotomisés par Netflix, errant en monades déracinés, touristes dans leur propre pays et pour qui toute évocation de Marx est une hérésie d'un passéisme crasse.



Comme à son habitude, Michéa décrypte à merveille les mécanismes sociaux économiques et culturels du capital auquel il oppose, dans la lignée d'Orwell, cette "common decency" ou ce bon sens populaire, héritage de milliers d'années de tradition qui résiste. L'anticapitalisme de Michéa est d'abord et surtout un humanisme radical appelant au sursaut de la conscience, à renouer avec sa véritable nature et à élever son âme pour s'affranchir du consumérisme et du fétichisme de la marchandise.



Critiquez Michéa, soyez en désaccord avec lui, opposez lui que la common decency n'est qu'un fantasme, mais lisez le bon sang !



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Extension du domaine du capital

Extension du Domaine du capital,

Vous allez me dire que vous n'avez pas envie de lire un tel livre car ça sent le "coco" à plein nez. Que nenni ! Jean Claude Michéa développe des idées hyper réactionnaires ! Anti-parisien, anti-écologiste, pro chasse, pro élevage, pro gavage des oies... Les ruraux ? C'est les meilleurs ! Les urbains de pauvres types déconnectés de la réalité. Merci de m'avoir conseillé ce livre, je ne pensais pas que de tels zinzins puissent encore exister. Jean-Claude Michéa habite dans les Landes et son truc c'est le parler vrai avec les gens du coin. Politiquement ça vous rappelle rien ? Apéro, aller zigouiller des palombes, renforcer le lien social lors des corridas, c'est son idéal de vie. Je n'invente rien, c'est lui qui s'en vente ! Aujourd'hui, j'ai de plus en plus de mal à différencier les auteurs d'extrême droite, d'extrême gauche et d'extrême centre. Vous aussi ? Bon, ça me rassure (enfin, façon de parler).
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Orwell, anarchiste Tory : Suivi de A propos..

George Orwell, écrivain qu'on ne présente plus, a été tour à tour antifasciste, vagabond, mais aussi et surtout penseur politique. Habité par un sentiment moral très fort, il refusa le totalitarisme à une époque où le socialisme se faisait tenter par celui-ci, promut les travailleurs et l'environnement, tout en se conformant à des valeurs morales simples et recherchant à bâtir une société stable, ce qui fit qu'il se qualifia lui-même d'anarchiste tory / conservateur.

Jean-Claude Michéa, qui livre ici une analyse de sa pensée, est un professeur de philosophie du secondaire, réputé pour considérer que le socialisme et le conservatisme ne sont pas incompatibles en ceci qu'ils combattent le libéralisme... voire qu'il faut une part de conservatisme pour être réellement socialiste. Une pensée, vous vous en doutez, facilement récupérable pour les confusionnistes et réactionnaires de tout poil (on se souviendra de Kriss Papillon qui s'en revendique). Si Michéa n'est pas ouvertement rouge-brun, en revanche il a entre autres accepté de faire la Une de "Causeur"... Vous vous en doutez, on va rigoler moyen dans cette critique.

En seulement deux heures de lecture, Michéa dresse un portrait clair et complet d'un auteur pour le moins plein de paradoxes. Il critique vivement l'attitude communément admise de réduire l'écrivain à ses deux œuvres les plus connues et qui le caricaturent en un vulgaire anticommuniste, et fait le point sur les principales étapes de son cheminement politique. L'occasion pour moi de me rendre compte que connaissant trop peu la vie d'Orwell, j'avais mal interprété certains pans de "1984" ; il faudra que je rafistole ma critique un jour.

Et disons-le, la synthèse d'Orwell entre socialisme et amour du passé est pour le moins juste et belle. On sait que certaines des réussites les plus universelles du socialisme sont justement celles qui refusaient le progrès technologique au détriment de l'humain et revenaient au rêve d'un temps où les hommes étaient plus proches de la nature. William Morris en créant la fantasy ne recherchait sans doute rien d'autre, tandis que l'Art Nouveau, ayant lui aussi accueilli des artistes socialistes, prônait lui aussi une réunification de l'Homme et de la nature, par sa fascination pour les plantes et l'exotisme, plongeant notamment dans des inspirations mythologiques ou médiévales. Victor Hugo et Émile Zola prônaient eux aussi un discours social dans le but d'éduquer une société dont ils voulaient restaurer la noblesse d'esprit ; on notera d'ailleurs chez Hugo une ferme passion pour l'Histoire et les choses anciennes. Qui au contraire s'émeut encore de Kasimir Malévitch et de son "Carré blanc sur fond blanc" ? Plutôt que de faire table rase du passé, Orwell propose de se réconcilier avec, en en prônant ses aspects positifs. L'idée qu'on ne changera pas tant le monde en bien par les révolutions que par une mûre réflexion afin d'être sûr de ne pas prôner une idéologie mue uniquement par la colère m'a d'ailleurs fait réfléchir sur ma tendance à la bourrinitude ("La critique et la révolte ne peuvent être justes que si leur moteur principal n'est pas la haine ou le ressentiment mais au contraire leur dépassement, c'est-à-dire la paix avec soi-même"... paix qui passe selon Michéa par celle avec la figure du père, et donc une nouvelle fois le passé).

Seulement, Michéa considère que le progrès n'a plus sa place dans la société et qu'il est temps de revenir à une société purement conservatrice, bien que "socialiste". Le capitalisme libéral, dans sa promotion permanente des libertés individuelles, a amené les hommes à se désolidariser les uns des autres pour satisfaire avant tout leur ego ; soit, mais lui considère carrément que toute forme d'émancipation individuelle reviendrait ainsi à défendre l'individualisme, et donc le système économique capitaliste. Tous les nouveaux combats sociaux, toutes les contre-cultures, ne seraient selon lui que de nouveaux moyens de faire fonctionner la société de consommation (plus de personnes libérées = plus de clients), légitimés par une gauche bourgeoise qu'incarneraient les sociologues "officiels" et leur chef de file Pierre Bourdieu. Et c'est là que je dois manifester mon désaccord : affirmer que le progrès n'est plus utile à la société reviendrait à considérer que les luttes féministes, antiracistes, ect., sont dépassées ou pire, seulement des instruments de la bourgeoisie voués à nous détourner de la grande tâche à accomplir : abattre le capitalisme.

L'émancipation féministe a certes servi au capitalisme (pour ne citer que le fameux "Moulinex libère la femme"), mais pouvons-nous pour autant regretter l'époque où les épouses passaient leur temps entre les couches de bébé et les fourneaux ? Sans compter que le discours anticapitaliste est encore communément admis chez l'immense majorité (sinon totalité) des féministes radicales. Refuser de se battre pour une patrie est également une émancipation progressiste et individuelle, et pourtant personne ne peut affirmer qu'il s'agit là d'une mauvaise chose. Voudrions-nous d'un monde où les noirs, les étudiants, les asexuels, ect., n'auraient pas le droit de s'émanciper sous prétexte que ce serait... trop capitaliste ?! Michéa passe sous le silence toutes ces luttes et n'évoque que des avancées sociales qu'il considère comme promotrices d'un plaisir illusoire. Les radios libres sont considérées comme de mallarméens "modernes bibelots d'inanité sonore", l'auteur jugeant visiblement que les musiques actuelles sont dépourvues de mélodie, de poésie ou de réflexion. Mai 68 n'est plus apprécié que pour ses révoltes ouvrières, et pas pour l'ouverture des universités françaises à de nouveaux courants de pensée. On nous annonce enfin que le capitalisme pour séduire les foules mise sur la transgression et la subversion, or je pense tout le contraire : le capitalisme lisse tout ce qui est transgressif pour le rendre acceptable ! Pensez au metal, au disco, au body horror, aux stoner movies, aux dystopies, aux comédies noires... et la liste est encore longue...

(À propos, l'auteur nous renvoie à un moment à un moment à un autre ouvrage, "Culture populaire ou culture de masse ?", qui fait une distinction entre culture populaire, destinée à satisfaire le peuple, et culture de masse, destinée à abrutir les foules. Dans l'absolu, je ne suis pas en désaccord : il existe une part de la culture appréciée par les classes populaires qui tente d'instiller de vraies réflexions quand il en existe une autre qui ne cherche qu'à assouvir les désirs régressifs d'un consommateur abêti. Mais honnêtement, je crains le pire : si l'auteur considère que toutes les œuvres mainstreams (par exemple typiquement les blockbusters) ne sont que des divertissements stériles et cyniques, on risque fort d'avoir une conception très, très réductrice de la pop-culture).

Michéa refuse en outre l'intellectualisme de la gauche : OK, pourquoi pas, trop de réflexions nous déconnectent de la réalité. Mais les intellectuels de tout courant politique restent nécessaires, afin de pouvoir le théoriser et éviter des dérives idéologiques. Face à tout ce qui porte des lunettes, Michéa préfère pourtant mobiliser un concept orwellien repris à sa sauce, la common decency, qui se rapproche par moments dangereusement d'un "bon sens" populaire arbitraire et trompeur... Le comble pour quelqu'un qui se considère comme un philosophe.

Enfin vient le moment où il faut se demander : Voilà pour le conservatisme. Mais pour l'anarchisme ? Il n'est qu'à peine effleuré, évacué sous prétexte qu'"anarchiste tory" était finalement plus une boutade qu'un véritable engagement politique, encourageant ainsi les détracteurs de Michéa dans l'idée qu'il ne fait au fond qu'une critique du progressisme sans proposer derrière de véritable idéal de société socialiste. Et pour ce coup-ci, ce n'est pas moi qui vais leur donner tort. Car vouloir être socialiste et conservateur, c'est bien beau... mais encore faut-il ne pas être uniquement conservateur.

On notera enfin la présence d'une courte conférence en fin de livre, pour le moins intéressante, "À propos de 1984". Michéa imagine que Winston aurait eu une chance de réussir en se révoltant avec les prolétaires. Il s'agissait sans doute d'une démarche plus éthique que de rejoindre la nébuleuse Fraternité, mais l'auteur semble omettre que "1984" cherche avant tout à dépeindre le totalitarisme dans son essence la plus pure, la plus désespérée : les prolétaires y sont totalement aliénés et prêts à dénoncer n'importe qui n'importe quand. Winston y aurait-il eu un espoir ? Ce n'est pas ce que semblait soutenir Orwell, mais cela offre une lecture originale et humaniste de l'œuvre.

Bref, l'émancipation individuelle ne sera vraiment réelle qu'avec celle du collectif et la lutte pour la liberté ne doit pas détourner le socialiste de son ambition première qu'est la lutte pour l'égalité (sans quoi la liberté n'est qu'illusoire). Mais plutôt que de rejeter l'ensemble des causes de la gauche moderne, je pense qu'il serait plus judicieux d'y aller au cas par cas en nous demandant s'il est effectivement possible d'offrir telle ou telle liberté individuelle sans nuire à la société ou à l'environnement. De même les œuvres issues d'un contexte de société de consommation ne sont pas forcément vouées à n'être QUE des objets de consommation (c'est une idée reçue démontée avec brio notamment par les spécialistes du cinéma populaire, entre autres ce cher Mr Bobine). Plutôt que de vouloir se jeter corps et âmes dans une nostalgie vite trompeuse ou une modernité souvent mensongère, j'espère quant à moi trouver une synthèse entre modernité et ancienneté, en luttant pour une égalité économique tout autant que pour le progressisme ; c'est du moins le socialisme que j'espère faire advenir.
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Le complexe d'Orphée

Une réflexion sur l'évolution du champ politique "démocratique" en France et plus particulièrement de la "gauche" moderne. Cette analyse me parait indispensable à qui s'intéresse à la politique, de gauche ou de droite.
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