La couverture, avec le nom de l'auteur et le titre souligné à gros trait au ras de la police de caractère, m'a mise mal à l'aise. Inesthétique et un brin « too much » qui entraine instinctivement une répulsion et une méfiance dont j'ai cherché les raisons au cours de ma lecture.
L'auteur part d'un constat : le niveau scolaire en baisse (inaptitude à lire, à exercer son esprit critique) qu'on pourrait croire la résultante d'un dysfonctionnement de l'école, mais qui n'est en fait qu'une des conditions du système pour se maintenir.
Le capitalisme est en effet basé sur une utopie, l'hypothèse d'un marché unifié et autorégulateur qui prend ses lettres de noblesse dans les sciences expérimentales avec l'invention de l'économie politique érigée faussement en tant que science. Cette religion du Capital privilégie la raison, l'intérêt, ou le calcul égoïste, qui s'oppose au civisme et aux valeurs issues, historiquement, des sociétés antérieures.
Dans cette optique, mai 68 n'a été qu'une formidable occasion pour l'économie capitaliste de faire table rase d'un passé encombrant qui freinait sa course.
La stratégie du Capital ne doit rien au hasard : ses élites se réunissent régulièrement. En 1995 : « L'assemblée commence par reconnaitre — comme une évidence qui ne mérite pas d'être discutée — que dans le siècle à venir, deux-dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale. » Reste donc une question de taille : comment gouverner l'humanité surnuméraire, négligeable en tant que force de travail potentielle rendue le plus souvent inutile par les progrès de l'automatisation.
La solution proposée sera le « tittytainement ». Un mot valise pour désigner le divertissement et l'abrutissement des masses par le spectacle diffusé par les écrans avec l‘appui des enseignants qui seront relégués pour ce faire au rôle d'animateurs. Mieux vaut dans cette optique rayer la culture classique voire la logique qui pourrait donner naissance à l'esprit critique !
Ce que met en évidence
Michéa, outre la logique implacable du Capital, c'est le cynisme des élites et l'immense pouvoir de récupération du système que servent les idiots utiles (incarnés bien trop souvent par une certaine gauche) afin de saborder la diffusion du savoir, annihiler les valeurs communes pour les remplacer par la course effrénée à la consommation (version pragmatique du calcul égoïste.)
Autant dire que je suis d'accord avec ces propos. J'ai souvent pensé : fabriquer des crétins favorise indubitablement le système. Mais je suis mal à l'aise lorsque l'auteur traite Bourdieu de "naïf" et de "scientiste". Que ces conclusions aient été récupérées par une gauche qui se voulait bêtement progressiste et mal interprétées, je n'en doute pas ; mais Bourdieu est aussi un sociologue qui n'avance rien sans l'avoir démontré de manière rigoureuse, qui étaye abondamment son raisonnement par des exemples et des enquêtes fouillées. Il ne mérite pas ces épithètes caricaturales.
Je regrette d'ailleurs que ce petit brulot n'ait pas la même rigueur et que les notes de bas de page gênent la lecture. Celles rejetées en fin d'ouvrage sont pertinentes, mais embrouillent encore plus le lecteur qui aurait préféré qu'elles soient développées et insérées dans les chapitres.
Dans l'ensemble, ce n'est pas le propos, à quelques nuances près, qui me pose question, mais la structure du livre et, malgré ces quelques réserves, je vais continuer à explorer cet auteur qui mérite vraiment le détour.