Vendredi 11 août 1944
Fresnes. Gigantesque bateau-désespoir à la poupe tronquée comme une baille. Des doubles flancs de huit mètres de haut espacés par un chemin de ronde, sur un rectangle de plus d'un kilomètre de tour. Sur le château arrière, à bâbord, la cuisine et les ateliers. A tribord, le quartier des femmes. Trois divisions au toit rouge barrent le pont central. Cinq cents cellules chacune. Quatre étages de cabines, de passerelles, du blanc et du vert, du fer, des portes closes, une odeur de soupe et d'angoisse.
Et puis, au nord, une proue à peine pointue où, chaque matin, arrivés au bout de la peur, les condamnés à mort voient frissonner une dernière fois la cime de deux grands peupliers. C'est là qu'on les exécute.
Les prisonniers essayaient de deviner ce qu'il allait décider. Ils savaient leur vie suspendue à l'humeur de cet homme.
Le typhus apparaissait sur sa peau en petites taches brunâtres. La fièvre lui brouillait les yeux. Ses genoux gonflés ne fonctionnaient plus. Il marchait sans détacher les pieds du sol, les bras collés à la couverture qu'il portait sur l'épaule. Il glissait droit et raide, sans paraître avancer. Ses membres n'obéissaient plus à une volonté de continuer, ils bougeaient mus par un réflexe mécanique. Suivre...
D'un côté, les blindés alliés dont il imagine les roues chenillées mordre le goudron des routes de France. Et de l'autre, Brunner et sa clique de bandits qui se démènent pour trouver assez de wagons pour vider tout le camp. Lesquels vont l'emporter ?
Il ignorait qu'il offrait ainsi son corps et sa vie aux expériences du médecin S.S. Trzebinski. Un cobaye dans un laboratoire.