Le directeur de la prison s’appelait Monsieur Bellier. Bellier avec deux L, avait-il tenu à préciser lors de notre premier entretien. En surpoids pour sa petite quarantaine, vêtu d’un costume trop large sous lequel on entrevoyait des bretelles bordeaux. Un personnage désuet, visiblement affligé par sa destinée professionnelle, je l’ai vite compris.
J’avais beau être un meurtrier, mon statut d’ancien universitaire semblait m’avoir attiré sa sympathie. C’est ainsi que j’avais bénéficié d’une cellule individuelle pour les détenus dits fragiles. Les anxiolytiques m’étaient d’ailleurs distribués comme des bonbons. Je dormais beaucoup et demeurais ensuqué sur mon lit une grande partie de la journée. La privation de liberté devenait presque accessoire. Je songeais parfois à Trajan. Malgré mes supplications, les policiers l’avaient abandonné dans le jardin. On m’avait poussé dans une camionnette et j’avais juste eu le temps d’apercevoir mon chien derrière le portillon. Son regard perdu me hantait parfois.
J’avais droit à une promenade quotidienne dans une annexe qui jouxtait la grande cour. Derrière les grillages, des détenus me couvraient d’insultes et me menaçaient de mort.
C’est Charlotte qui, la première, a vu son frère perché sur cette chaise, en train de nous accommoder dans la lunette de sa carabine. J’ai toujours pensé que c’était moi qu’il visait. D’ailleurs, madame Wexler s’était avancée comme pour me protéger de son corps. Je la revois battre des bras en direction de la colline et intimer l’ordre au tireur de descendre. Le père était apparu à son tour à nos côtés. Il avait juste ri et s’était tourné vers moi, l’air de me prendre à témoin. Alors, la tension entre les parents était montée d’un coup, lourde, muette, dans un furieux combat de regards.