Citations de Jean de la Croix (122)
DANS LA NUIT OBSCURE
Pendant une nuit obscure,
Enflammée d’un amour inquiet,
Ô l’heureuse fortune !
Je suis sortie sans être aperçue,
Lorsque ma maison était tranquille.
(…)
Ô nuit qui m'a conduite !
Ô nuit plus aimable que l'aurore !
Ô nuit qui as uni
le bien-aimé avec la bien-aimée,
en transformant l'amante en son bien-aimé.
O flambeaux de feu, ô vous
Dans les splendeurs éclatantes
De qui, les profondes cavernes du sens,
Obscur jadis et aveugle,
En d'étranges excellences
Chaleur et lumière donnent à l'Ami.
Il n’a ni plume ni papier. Plongé dans sa nuit, sans doute dans son désespoir, il « s’entretient » avec lui-même et il retient, répète, jour après jour, ces poèmes, ces chansons lumineuses qu’il tire de son obscurité, s’éclairant, se guidant à leur lumière.
Dans la cave intérieure de mon amour j’ai bu et comme je sortais
Dans cette immense plaine, je ne savais plus rien
Et j’avais perdu le troupeau qu’auparavant je suivais.
Là, il me donna son cœur, là, il m’enseigna une très savoureuse science,
Et moi je me donnai à lui, réellement, tout entière,
Là je lui promis d’être son épouse.
Mon âme s’est mise, et tout mon avoir, à son service.
Je ne garde plus les bêtes, je n’ai plus d’autre office,
Aimer est à présent mon seul exercice.
Alors si dans les prés on ne me voit ni ne me trouve,
Allez dire que je me suis perdue, qu’amoureuse je suis allée
Me perdre et que j’ai été gagnée.
L’épouse est entrée dans l’agréable jardin de son désir,
Et elle repose selon son plaisir,
La nuque inclinée sur les bras doux de son amour.
Ah, mais qui pourra me guérir ? Donne-toi à présent vraiment tout entier,
Cesse de vouloir m’envoyer de nouveaux messagers
Car aucun n’est capable de me dire cela que je désire.
Et tous ceux-là, qui errent, de toi me vont mille grâces rapportant,
Et tous toujours plus me déchirent, et me laisse mourante
Ce je ne sais quoi qu’ils ne cessent de balbutier.
Mais comment persévères-tu, Ô vie ! en ne vivant pas là où tu vis,
Et fabriquant pour que tu meures les flèches que tu reçois
De ce qu’en toi de l’aimé tu conçois ?
Pendant une nuit obscure,
Enflammée d’un amour inquiet,
Ô l’heureuse fortune !
Je suis sortie sans être aperçue,
Lorsque ma maison était tranquille.
Étant assurée et déguisée,
Je suis sortie par un degré secret,
Ô l'heureuse fortune !
Et étant bien cachée dans les ténèbres,
Lorsque ma maison était tranquille.
Pendant cette heureuse nuit,
Je suis sortie en ce lieu secret
Où personne ne me voyait,
Sans autre lumière,
Que celle qui luit dans mon cœur.
Elle me conduisit
Plus surement que la lumière du midi,
Où m'attendait
celui qui me connait très bien,
Et où personne ne paraissait.
Ô nuit qui m'a conduite !
Ô nuit plus aimable que l'aurore !
Ô nuit qui as uni
le bien-aimé avec la bien aimée,
en transformant l'amante en son bien aimé.
Il dort tranquille dans mon sein
qui est plein de fleurs,
et que je garde tout entier pour lui seul :
je le chéris
et le rafraichis avec mon éventail de cèdre.
Lorsque le vent de l'aurore
fait voler ses cheveux,
il m'a frappé le cou avec sa main douce
et paisible,
et il a suspendu tous mes sens.
En me délaissant et en m'oubliant moi-même,
j'ai penché mon visage sur mon bien aimé.
Toutes choses étant perdues pour moi,
je me suis quittée et abandonnées moi-même,
en me délivrant de tout soin entre les lys blancs.
… en échange d’une joie sensible prise dans les objets visibles, l’âme goûte une joie toute spirituelle à rapporter à Dieu ce qu’elle voit, soit de divin, soit d’humain. En échange de la joie d’entendre, à laquelle elle renonce, elle goûte cent fois autant de joie spirituelle à rapporter à Dieu ce qu’elle entend, soit de divin, soit d’humain. Et ainsi des autres sens. Au paradis terrestre et dans l’état d’innocence, tout ce qui frappait les regards de nos premiers parents, tout ce qui servait à les nourrir, etc., leur procurait une nouvelle saveur de contemplation, parce que chez eux la partie sensitive était entièrement soumise à la raison. De même, l’homme spirituel, qui a les sens purifiés et assujettis à l’esprit, tire des choses sensibles, et cela dès le premier contact, une savoureuse attention à Dieu et une contemplation pleine de délices.
Tous veulent entrer dans les profondeurs de la sagesse, des richesses et des délices de Dieu, mais peu désirent entrer dans la profondeur des souffrances et des douleurs endurées par le Fils de Dieu : on dirait que beaucoup voudraient parvenir au terme sans prendre le chemin et le moyen qui y conduit.
La blanche colombe
Est rentrée dans l’arche avec le rameau,
Et déjà la tourterelle
A trouvé son compagnon tant désiré
Sur les rives verdoyantes.
Cachez-vous, Epoux Bien-Aimé,
Tournez votre face vers les montagnes,
Et veuillez n’en rien dire,
Mais regardez les compagnes
De celle qui s’en va par les îles étrangères.
L’EPOUSE
O nymphes de Judée,
Tant que sur les fleurs et les rosiers
L’ambre répand son parfum,
Restez dans les faubourgs,
Et veillez à ne pas toucher le seuil de nos portes.
Arrête-toi, Aquilon sans vie ;
Viens, vent du Sud qui réveilles les amours,
Souffle à travers mon jardin
Afin que ses parfums se répandent,
Et le Bien-Aimé se rassasiera au milieu des fleurs.
Daignez donc ne pas me mépriser,
Parce que vous m’avez trouvé le teint noir
Vous pouvez bien désormais me regarder,
Car depuis que vos yeux se sont fixés sur moi,
Vous avez laissé en moi la grâce et la beauté.
Dieu a daigné la regarder et ce regard l’a emplie de grâces et l’a rendue digne de ses complaisances.
Ce seul cheveu
Que vous avez vu voler sur mon cou,
Que vous avez considéré sur mon cou,
Vous a retenu prisonnier,
Et un seul de mes yeux vous a blessé.
De fleurs et d’émeraudes
Cueillies dans les fraîches matinées,
Nous ferons des guirlandes
Fleuries dans votre amour
Et tressées par un seul de mes cheveux.
Notre lit est tout fleuri,
Entouré de cavernes de lions,
Tendu de pourpre
Etabli dans la paix,
Couronné de mille boucliers d’or.
En une nuit obscure
avec angoisse, en amours enflammée,
Oh, Heureuse aventure !
je sortis sans être aperçue,
ma maison étant désormais apaisée.
Il est passé, car toutes les créatures sont comme un vestige du passage de Dieu où l’on entrevoit sa grandeur, sa puissance, sa sagesse et autres vertus divines. Il est passé à la hâte, car les créatures sont les œuvres inférieures de Dieu ; il les a créées comme en passant : car les grandes œuvres de sa main […] sont l’Incarnation du Verbe et les mystères de la foi chrétienne […].