« - Je me suis présenté à tes amies, a dit Will en désignant la maison. Elles m’ont dit que je te trouverais près de la bière.
- Mes amies sont hilarantes.
Mes meilleures amies, Harper et Kaye, ne buvaient pas. Ca ne me dérangeait pas. Je buvais pour ma part, ce qui leur déplaisait. Au fil des ans, les tirades moralisatrices de Harper et les supplications hystériques de Kayé s’étaient muées en surveillance inquiète et en plaisanteries sarcastiques. […]
Boire à la véranda à l’arrière de la maison de Brody Larson était le mode opératoire habituel. La plupart des maisons au sud de la ville étaient alignées selon un quadrillage, et leurs jardins se touchaient. Si des parents rentraient de façon inopinée, interrompant une soirée, quelqu’un saisissait la glacière, et nous filions entre les palmiers pour recommencer chez un autre casse-cou. Si c’était là la première leçon qu’apprenait Will dans notre ville, il était mon style de mec. »
_ Nous, les anciens, pas seulement ici mais dans tout le pays, on parle d'intéresser de nouveau les jeunes pour leur apprendre à piloter. Voilà ce qu'on se dit: la plupart des gens entendent un avion qui passe dans le ciel et ils pensent: "c'est un avion", puis ils retournent à ce qu'ils faisaient. Quelques uns le cherchent des yeux, essaient de deviner quel type d'avion c'est, et le regardent du moment où ils le trouvent jusqu'à celui où il disparaît à l'horizon, parfois plus longtemps encore. Ce sont ces gamins-là qui seront des pilotes. (Il m'a pointée du doigt.) J'ai toujours su que tu viendrais. J'attendais juste que tu te décides.
Le vent était calme. Décoller ne serait pas difficile. Je l'avais fait des centaines de fois. Les papillons dans mon estomac n'étaient pas dus à la peur. Ils étaient dus à l'anticipation.
J'avais la chair de poule. J'ai serré les commandes entre mes doigts pour ne pas frissonner d'envie. Les gens normaux ressentaient ça lorsqu'ils arrêtaient de fumer. Je l'avais ressenti, ça aussi.
C'était parti. J'ai lancé l'avion sur la piste. Il suffisait que je le garde rapide et droit. La forme des ailes, la vitesse de l'air et les lois de la physique feraient le reste. L'avion avait envie de voler.
L'Atlantique caressait la terre si près de mon mobile-home. Je sentais constamment sa présence, il vivait et purifiait l'atmosphère à trois kilomètres de moi. Mais depuis que je ne volais plus, je ne le voyais que très rarement. Je l'apercevais seulement si on me conduisait quelque part, et qu'on passait à côté de jour. Et il était là, s'étendant sous mes yeux plus loin que je ne pouvais le voir, dans trois directions différentes. Je ne distinguais même pas sa vraie couleur, à cause du soleil qui scintillait sur chaque vague, comme si sa vaste étendue était faite d'or en fusion.
_ Oh! Je savais très bien que j'étais en train de séduire Ryan.
Elle a ricané à cette vieille blague entre nous.
_ Très bien, autre exemple: tu t'es retrouvée impliquée dans un million de bagarres au lycée, tu es été envoyée un million de fois dans le bureau du principal, et pourtant tu n'as jamais été exclue.
_ C'est parce que ce n'est jamais moi qui commence les bagarres, ai-je répondu sur la défensive.
_ Peut-être, a dit Molly. Ce n'est pas ce que disent les autres filles et leurs amis au principal, pourtant ils se retrouvent exclus, et toi non.
_ Alors tu penses bel et bien que je suis une traînée, ai-je conclu d'un air sombre.
_ Non. Tu ne couches pas avec le principal. Les rumeurs qui courent sur toi ne sont pas vraies. Mais elles ne sortent pas du néant. Réfléchis. Est-ce que tu as un tee-shirt qui ne montre pas ton décolleté?
J'ai posé mes deux mains au creux du V de mon tee-shirt.
_ Et puis il y a l'histoire de Mark qui vit avec toi, a continué Molly. Tu n'es pas une traînée. Tu es une fille qui a grandi sans bénéficier de beaucoup d'avantages, et tu as appris à te servir de ce que tu as. Tu ne le fais pas consciemment. C'est une seconde nature, chez toi. Tu te comportes comme une fille sans défense, et tu amènes les hommes à penser que tu es inoffensive. (J'ai dégluti avec difficulté.) Leah, on dirait que tu vas t'évanouir encore une fois. Je ne t'aide pas du tout, là.
_ Bien sûr que si, ai-je répondu. Tu es ma lumière au bout du chemin.
Perdre la compassion pour gagner la fierté était un compromis acceptable.
Patrick s'est penché plus près, comme s'il avait un secret à me livrer. J'ai incliné la tête pour l'écouter, si proche que la brise faisait voler mes boucles de cheveux sur sa joue.
_ Mark t'aime beaucoup, a-t-il dit sur le ton de la confidence.
_ Il a une drôle de façon de le montrer, ai-je répondu sur le même ton, me moquant de lui.
_ Ce que je veux dire, a soufflé Patrick, c'est que tu vas avoir du mal à te débarrasser de lui.
Avant, j’étais jaloux des rares personnes à qui tu souriais quand tu remplissais leur réservoir de carburant, comme s’ils avaient fait quelque chose de particulier et qu’ils méritaient une récompense. Mais maintenant je me rends compte que tu leur souriais parce qu’ils te donnaient ce que tu voulais : un gros pourboire, du temps de pilotage. Tu ne souris pas sans avoir une bonne raison de le faire.
Le type qui assurait le même poste que moi, qui devait être à l'université, est arrivé avec des cales pour mon avion. Il m'a jeté un regard en coin, avant d'écarquiller les yeux.
_ Vous êtes le plus joli pilote que j'aie jamais vu.
On peut faire beaucoup d’erreurs. Certains pilotes les font, et ces pilotes meurent. Les obstacles peuvent te tuer. La météo peut te tuer. Mais, comme je vais te le montrer, l’avion est ton allié. L’avion a envie de voler.