Citations de Jules Renard (989)
Une bouche. Ses lèvres épaisses faisaient rouge dans sa barbe inculte comme un oiseau tout nu dans un nid mal fait.
Il y a des Anglais qui ont l'air d'Oscar Wilde traduit en français.
Né pour bêcher un coin, je voudrais remuer toute la terre.
La bonté n'est pas naturelle : c'est le fruit pierreux de la raison. Il faut se prendre par la peau des fesses pour se mener de force à la moindre bonne action.
Il voudrait donner à manger aux mots dans le creux de sa main.
S'évanouir, c'est se noyer à l'air libre. Se noyer, c'est s'évanouir dans l'eau.
« Paresse : habitude prise de se reposer avant la fatigue. »
Tout le monde ne peut pas être orphelin.
L’escargot
Il se promène dès les beaux jours, mais il ne sait marcher que sur la langue.
L’araignée
Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux.
Le lézard
Fils spontané de la pierre fendue où je m’appuie, il me grimpe sur l’épaule. Il a cru que je continuais le mur parce que je reste immobile et que j’ai un paletot couleur de muraille.
Le bouc
Son odeur le précède. On ne le voit pas encore qu’elle est arrivée.
Il s’avance en tête du troupeau […].
Il a des poils longs et secs qu’une raie partage sur le dos. […] Quand il passe, les uns se bouchent le nez, les autres aiment ce goût-là.
[…]
La journée finie, le soleil disparu, il rentre au village, avec les moissonneurs, et ses cornes, fléchissant de vieillesse, prennent peu à peu la courbe des faucilles.
Le cheval
Chaque fois que je l’attelle, je m’attends qu’il me dise : non, d’un signe brusque, et détale.
Point. Il baisse et lève sa grosse tête comme pour remettre un chapeau d’aplomb, recule avec docilité entre les brancards.
Aussi je ne lui ménage ni l’avoine ni le maïs. Je le brosse jusqu’à ce que le poil brille comme une cerise. Je peigne sa crinière, je tresse sa queue maigre. Je le flatte de la main et de la voix. J’éponge ses yeux, je cire ses pieds.
Est-ce que ça le touche ?
On ne sait pas.
Il pète.
Monsieur Vernet : Quelle gamine !
Madame Vernet : Ô jeunesse !
Henri : Forte fille !
Monsieur Vernet : Et rieuse !
Madame Vernet : Et pas méchante !
Henri : Et bonne !
Monsieur Vernet : Et aimante !
Nous défilons le chapelet aux perles blanches.
Monsieur Vernet : Toutefois, je ne la crois pas des plus intelligentes !
Henri : Et ne trouvez-vous pas, vous, Madame Vernet, qui la peignez, qu'elle a dans ses cheveux... une odeur ?
Madame Vernet : Elle est trop grasse. Hier soir je suis entrée dans sa chambre : la petite dormait, les poings fermés, la bouche en ballon. J'ai relevé le drap : elle a au ventre et aux cuisses des plis de chair qui font peur.
Henri : A son âge ! quel malheur !
Madame Vernet : Elle de viendra grosse !
Monsieur Vernet : Énorme !
Henri : Difforme !
Nous défilons le chapelet aux grains noirs.
«C'est comme cela. Je n'ai jamais pu faire le premier pas. Je ne me rends compte de ce que peut être une déclaration que par mes lectures. Je me mettrais volontiers à croupetons aux pieds d'une femme si j'étais sûr de son amour ; je lui dirais que je l'aime, à quatre pattes ou sur le dos, après. Mais avant, j'ai peur de me tromper, une peur bizarre, bleue. Je n'exige pas que les rôles soient intervertis, mais il faut que la femme me fasse signe d'approcher, me promette la réussite par une télégraphie nette. Sans cela nous pourrions rester indéfiniment côte à côte.»