Julien Delmaire publie
Delta Blues chez Grasset
Printemps 1932, dans le delta du Mississippi. Une chaleur suffocante écrase la campagne et menace les récoltes. Un assassin sans visage frappe la nuit, et une injustice sans nom règne le jour. Des croix brûlent sous la lune, les cavaliers fantômes du Ku Klux Klan font régner la terreur et le Mississippi prend les couleurs de l'enfer. Au milieu du désastre, deux amants : Betty et Steve. Ils sont jeunes, Noirs et pauvres, mais persuadés que leur amour les sauvera... Vaste fresque historique et musicale, aux accents faulknériens,
Delta Blues déploie une galerie de personnages : Noirs, Blancs, Indiens et métis, planteurs et bluesmen errants, prêcheurs, sorcières, politiciens véreux, bagnards, trafiquants d'alcool et Legba, le dieu vaudou, « Maître des carrefours » qui, tel un détective d'outre-monde, veille sur le destin de chacun.
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Djami toi que j’espère en ces aurores fanées
Le lait de nos émois, tes larmes d’arlequin
Djami je vais mourir, et si jamais quelqu’un
Ramène ma dépouille au gouffre où je suis né
J’emporterai la fleur de tes vingt ans, amour
Le laurier de tes reins, le charbon de tes hanches
Ton mouchoir dans mon poing, le soleil qui se penche
Au carreau de la mort, ton ombre pour toujours.
Le crépuscule réconcilie les couleurs. Les miroitements d'un étang où la lumière du jour a trébuché. Les grenouilles trouvent l'heure propice.
Les salines sont mauves. Des milliers d'algues affleurent à la surface, leurs tiges épaisses flottent sur l'eau comme les tutus de jeunes danseuses. La perspective se divise en larges aplats : bleu de Prusse au firmament, jaune clair des herbes desséchées, gris des cailloux sur la rive. Les tas de sel dégorgent au soleil, réserves blanches qui cernent le panorama et accordent au regard des passages. Au loin sont des manufactures coiffées d'un sfumato cendré. Des flamants abasourdis par la lumière égaillent le ciel. Un vernis brûlant enrobe le paysage, l'accouche d'une abstraction sensible. Ce miracle, beau à défenestrer un peintre, Benoît le reçoit en pleine poitrine, sans cesser de marcher.
Betty exprimait toute la conviction de son âme. L'organiste penché sur le clavier déployait quelques arpèges délicats ; du haut de la chaire, le pasteur Lloyd piait les réactions de ses ouailles.Le visage du maire demeurait indéchiffrable, mais son épouse semblait sous le charme, s'émerveillant que l'ordre divin eût accordé à des créatures inférieures le don d'émouvoir.
Il se précipite vers le banc sur lequel il était assis. Le sac a disparu. Qui voudrait s'encombrer d'un aussi maigre trésor ? Un misérable, un saint homme. Benoît se plait à cette pensée. Le chapelet rejoindra d'autres doigts, plus agiles que les siens, et l'eau de sa bouteille coulera dans les entrailles d'un Juste. Soulagé par cette perspective, il s'affale sur le banc. Bien qu'il ne soit pas triste, des larmes roulent à son menton.
"Sur la piste goudronnée , une charmante pagaille, de folles girations.Päris soulevait ses jupons de carbone et les Panhard déboulaient , à plus de vingt kilomètres à l'heure.Vaillant, hissé sur une borne d'incendie, dut admettre son échec..La silhouette qu'il poursuivait s'était évanouie , happée par la vitesse et le tintamarre du carrefour ........"
Les clichés ont la peau dure, les bagnards aussi. Ceux qui en sont sortis vivants vous diront que Parchman est unique par sa cruauté et sa désolation. C'est le fief du diable. Le grand goulag américain De Parchman, on ne s'évade pas.
Des miasmes d'encre et de papier. Une presse en bois et en fonte occupait le centre de la pièce. Au pied de la machine,des pierres à lithographies et des chiffons sales.Des statuettes de chats, en bronze et en marbre,étaient alignées sur une table basse.Des dizaines de tableaux,posés contre les murs,certains protégés par des draps,d'autres livrés à la poussière.
Le sanctuaire abritait une vie entière de labeur.La preuve que Théophile Alexandre Steinlen n'avait pas été qu'un illustrateur ou un affichiste de talent, mais aussi un peintre et un sculpteur. Quarante années d'acharnement envers et contre les diktats des marchands et les caprices des collectionneurs.(p.169)
La pluie sorcière ruisselle, houspille la poussière. Les ornières dégeulent,les sillons sont des rizières. Les errants de la nuit, oppossums et renards, ont le pelage dégoulinant. Est-ce la nuit ou bienle jour ?
C'est la pluie, my man, c'est la pluie...
Un xylophone furieux résonne contre la tôle.
Rosaire des ruines. Bénies soient la terre d'Artois, la terre gluante du Hainaut, la terre sucrée de Cambrésis. Bénis les cieux de Flandres. Bénies la Côte d'Opale, les falaises scalpées par le vent. Bénie la Picardie mentale qui recueille les lueurs orphelines. Bénis soient les houillères, les pétales silicosés, les cokeries muettes, les fosses à purin, les cages à lapins. Bénis les femmes et les hommes d'ici, leurs bonheurs et leurs peines.