Juliette Cuisinier-Raynal

Embaumer c’est mettre du baume sur le cœur des vivants endeuillés en prenant soin de leurs morts

Adèle était venue en vacances près de la mer. Elle devait être sacrément heureuse de retrouver sa maison secondaire fermée depuis trois saisons. Elle savait sûrement que les deux premiers jours seraient consacrés au ménage. Elle a ouvert la trappe en haut de l'escalier de meunier qui menait au plateau supérieur. Et puis a commencé à balayer. Je ne sais pas s'il y a eu un "effet Cendrillon" pendant lequel elle aurait chanté et virevolté en passant le balais avec les souris, toujours est-il qu'en reculant, elle a oublié la trappe ouverte. Et a atterri deux mètres plus bas. Clap de fin. (p. 23)

Quand j'ouvre sa housse, je vois d'abord ses mains. Un chapelet est enroulé autours de ses doigts qui tiennent un crucifix et une croix en bois. Trois amulettes christiques pour le prix d'une, Annie doit être sacrément bien protégée.
Je remonte la fermeture éclair jusqu'à sa tête et découvre une chevelure rouge.
Je me dis "tiens, une fan de Nina Hagen" mais vu son âge, la probabilité d'avoir sur ma table une punk septuagénaire est assez mince. C'est donc bien du sang. La tuile. (p. 126)

- Est-ce que tu penses que ce serait possible, je ne sais pas comment, de lui recréer une moustache à partir de cheveux ou de poils que tu prendrais ailleurs par exemple... ?
En cet instant, je ne sais plus si je dois rire ou pleurer. Je suis là devant le corps d'Hélène, mère d'une fille unique pour qui le monde vient de s'écrouler, écoutant l'autre me demander si je ne peux pas reconstituer une moustache à son défunt avec du scotch et des poils de cul. (p. 120)

Ouvrir la cellule réfrigérée. Pousser mon premier juron de la journée. Appeler à l'aide. Regarder dépitée les 200 kg de Gérard. Répondre "merci" à José qui me souhaite bon courage. Répondre "très drôle" à Fredo qui me dit que ma semaine commence bien. Répondre "ta gueule" à Laurent qui se marre en me proposant son cric de voiture. (p. 105)

Un soin de conservation est un acte invasif qui consiste à retarder les effets de la thanatomorphose, autrement dit du pourrissement du corps.
Dans le monde physique, tout ce qui vit finit par mourir et donc par se dégrader. C'est la loi du vivant. Baudelaire en a même fait un poème. (p. 46)

Pourtant, s'il est un endroit où la vie devrait continuer de circuler, c'est bien dans une chambre funéraire. Mais une société de consommation traite la mort comme le reste. (p. 68)