Aujourd'hui je vais évoquer
L'embaumeuse récit intime de
Juliette Cuisinier-Raynal. L'auteur n'est pas écrivain, elle raconte une année, décomposée en quatre saisons, d'une expérience professionnelle insolite et méconnue.
A l'occasion d'une bifurcation de vie,
Juliette Cuisinier-Raynal s'oriente vers un métier du soin ; elle explique : « au terme de cette introspection et d'un concours, thanatopractrice je devins. » Elle évoque avec tendresse et bienveillance son activité qui consiste à pratiquer des soins mortuaires. Elle ne néglige aucun détail sur la succession des gestes : « masser, inciser, ponctionner, mécher, nettoyer, suturer, coiffer, habiller, maquiller. » Son quotidien dans la région de Bordeaux ce sont des dizaines de kilomètres en voiture pour effectuer cette mise en valeur des corps des défunts. Ils sont hommes et femmes, jeunes et vieux, beaux et laids, maigres et corpulents ou obèses. A tous elle consacre la même attention désintéressée. Elle explique ce à quoi elle est confrontée, la difficulté de cette profession, avec les poids à porter, les corps à remettre en forme, la douleur des familles à supporter. Les embaumements se font soit dans des chambres mortuaires, soit dans des hôpitaux ou des EPHAD et parfois aussi chez des particuliers dans des conditions rocambolesques. le récit est fait de brefs chapitres, chaque mort est identifié par son prénom et souvent un signe distinctif, tout est fait dans l'écriture pour humaniser le mort quel qu'ait été sa vie. le ton malgré le sujet est assez enjoué, parfois ironique ou humoristique avec quelques blagues. Cette évocation est un hommage à ceux qui accompagnent les familles en tentant de rendre des corps mutilés ou abîmés présentables.
Juliette Cuisinier-Raynal est souvent indignée par les pompes funèbres qui incitent même quand ce n'est pas nécessaire (par exemple avec un nourrisson mort-né) les parents à acheter ces prestations onéreuses. Dans un chapitre sensoriel le lecteur est frappé par la relation de la mort à l'odorat, et à l'ouïe et à la vision. Ainsi avec des mots pouvant faire penser à Rimbaud elle écrit : « Blanche, la peau ridée touchée par l'anémie. Bleues, les ecchymoses qui colorent l'épiderme. Jaune, l'ictère des hépatiques vaincus par la cirrhose. Verte, la tache abdominale où grouillent les bactéries. Violet, le visage de l'asphyxié au grand coeur brisé. Noir, le sang digéré que le défunt vomit. Rouge, l'hémoglobine jaillissant quand la jugulaire se rompt. Gris, le teint artificiel que le formol donne aux défunts. Rose, le maquillage aux joues qui donne bonne mine. » Au-delà des anecdotes ce récit est une réflexion sur le rapport des vivants aux morts et aux cadavres dans la société contemporaine. L'auteur explique son choix : « on dit des techniciens de la mort qu'ils n'arrivent jamais dans leur métier par hasard, qu'ils réparent un souvenir funèbre douloureux ou qu'ils rendent à autrui la facilité d'un deuil serein. » Elle a quelques formules marquantes qui résonnent comme des évidences : « embaumer, c'est mettre du baume sur le coeur des vivants endeuillés en prenant soin de leurs morts. (...). Laver un défunt, c'est le faire passer du statut d'ancien mourant à celui d'ancien vivant. (...). La thanatopraxie consiste à transformer le cadavre en défunt »
L'embaumeuse est un joli témoignage, une catharsis personnelle après ces longs mois vécus au contact des dépouilles dans tous les états possibles, avec pour la protagoniste le sens du devoir à accomplir et son attachement à réaliser le soin adéquat. Ce livre m'a fait penser à
Vide sanitaire de
François Durif autre témoignage intime très fort d'un contact prolongé auprès de la faucheuse.
Voilà, je vous ai donc parlé de
L'embaumeuse de
Juliette Cuisinier-Raynal paru aux éditions Grasset.
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