Citations de Laure Limongi (61)
Huma arrête de manger, c'est sa seule arme, et elle est exaltante, cette sensation de maîtrise totale de son corps. C'est comme si on commandait à l'univers. Elle devient presque transparente. (...) Elle se dit que plus elle s'effacera, plus elle commandera à la parole d'advenir. Elle aura enfin des explications. Mais rien ne répond aux blessures. (p. 211)
On ne lui a appris ni les mots ni les gestes de la tendresse. Ce sont des langues étrangères. (p. 175)
En réalité, ils ne savent rien l'un de l'autre. La fille est une sorte d'organe en plus pour le père, un avorton de son propre tronc. Un avatar dont il peut se vanter, à l'occasion. Pas un individu. Huma a toujours attendu le jour où elle serait enfin, dans ses yeux. Sans complément, sans adjectif. Juste être. (p. 243)
Après la débâcle, Huma se demande quel sera son héritage. Il ne sera ni de terre, ni de pierre, ni de bois, ni d'argent. Elle est à présent une insulaire sans terre, une Corse errante. (p. 239)
Elle est bien obligée de se remettre à manger, un beau matin, pour ne pas perdre sa voix, pour que la parole soit un jour possible. (p. 212)
La grand-mère est le loup. Le conte aurait dû l'avouer, nul besoin d'un détour par la forêt, et les présents ne la comblent ni ne la tempèrent. (p. 162)
Je me demande ce qui m'effraie à ce point, pourquoi le chemin est si tortueux. Comme si raconter allait guérir quelque chose que je ne voulais pas guérir. Il faut peut-être le reconnaître. On chérit certaines souffrances. (p. 13)
Elle [Huma ] se sent responsable de tout, même de choses qui ne la concernent pas, pense à la moindre conséquence du plus infime de ses actes, se perd en conjectures, a l'empathie à fleur de peau. L'exact inverse de son père, en somme. (p. 249)
Selon la légende, Avalokiteshvara fit le voeu qu'il ne se reposerait pas jusqu'à ce qu'il ait libéré tous les êtres de la souffrance. Mais devant l'ampleur de la tâche et l'intensité des tourments, sa tête explosa. Le bouddha Amitabha ramassa les morceaux et en fit onze nouvelles têtes. En réponse au souhait d'aider toutes les créatures, il lui poussa mille bras...
La musique aide. (...) Puis les livres déplient les images, offrent d'autres perspectives. Huma se nourrit de flux pour contrer la guerre qui sévit autour d'elle. Dans les partitions et les pages, elle se crée un chemin pavé de réconfort, un chemin qu'elle emprunte seule. (...)
Il n'y a pas de meilleur lieu qu'ailleurs. (p. 161)
Elle découvre que la violence est vraiment violente. (...)
l'île est considérée comme une marge explosive peuplée d'indociles profiteurs. Huma en est blessée, profondément ébranlée, mais reste toujours du côté des Indiens face aux colons. (p. 110)
Ceux qui disent : « Moi aussi j’ai mal à la tête des fois, je suis obligé de prendre du Codoliprane », « Attends, c’est un très bon champagne bio, ça ne peut pas te faire de mal ! », « T’es chiante avec tes maux de tête, quand même », « Encore ! mais c’est vachement souvent dis-donc ! », « On ne voit pas du tout que tu es malade », « Toi ? tu as eu une migraine hier ? Mais ça ne se voit pas ! », « Tu as l’air en super forme, pourtant… », « Et si c’était une tumeur ? », « Tu as fait des tests, quand même, pour vérifier si… tu vois quoi… il n’y aurait pas une grosseur… », « Comment ça ? Mais tu m’avais promis de venir ! », « Tu ne peux pas refuser, c’est la vieille prune que fait ma tante », « Tu ne bois pas de vin, OK, mais au moins un digestif ! », « Dans ces circonstances, je comprends, mais j’aimerais quand même beaucoup que tu viennes, c’est important pour moi. Si tu préfères rester chez toi avec ton mal de tête… », « Tu ne bois pas ?... Mais alors HIIIIIIIIIIIIIII !! », « Tu pourrais faire un effort, quand même », « Tu ne peux pas marcher plus vite ? », « Comment ça tu es fatiguée ? », « Attends, je regarde sur Google si on peut se défoncer avec ton Imiject. Même pas. C’est pas cool », « Mais c’est pas un peu handicapant ces migraines ? », « T’en as pas un peu marre de ces migraines ? », « J’ai un super ostéo, je te file son numéro ? », « Mais pourquoi tu n’essaies pas l’acupuncture ? », « Mais pourquoi tu n’essaies pas l’homéopathie ? », « Mais pourquoi tu n’essaies pas la méditation transcendantale ? », « J’ai entendu parler d’un étiopathe… », « Tu devrais épouser un neurologue », « Et les macarons au camphre, vous avez tenté ? », « T’es allée voir un psy ? », « Tu vois, t’as toujours été contre la psychanalyse, eh ben voilà », « J’ai un pote qui connaît un mec, on ne sait pas trop ce qu’il fait, mais ça aurait marché sur la cousine d’une amie qui s’était cassé la jambe », « La première fois que ça t’est arrivé, tu ne te serais pas disputée avec ton frère ?... Parce que la migraine… la mi-graine, quoi… la moitié de la graine… Ou alors un avortement ? », « T’es sûre que ça fait aussi mal que ça ? », « Ca ne serait pas un peu psychologique ton truc ? », « Et l’hypnose ? », « Tu devrais t’interroger sur la cause. Non mais vraiment. », « Et un rebouteux ? », « T’aurais pas vécu des trucs traumatisants ? », « C’est drôle, mais je t’aurais crue plus déprimée… »…
Une boîte d’Isoptine (vérapamil) 120 de 28 comprimés coûte, sous sa forme générique, environ 4 euros. D’après les informations qui m’ont été divulguées, un patient souffrant d’algie vasculaire de la face peut prendre entre 2 et 8 comprimés d’Isoptine par jour.
Une recharge de 2 injections d’Imiject (ou Imitrex, selon les pays) coûte environ 50 euros.
Théoriquement, un patient ne doit pas s’injecter plus de deux doses par jour. En réalité, s’ils n’ont que ça sous la main, beaucoup recourront à l’Imiject autant de fois qu’une crise survient. Ce qui est très dangereux.
L’oxygène haute pression est livré à domicile. La plupart des prestataires proposent des forfaits coûtant 600 euros par mois – comprenant donc la location de bouteilles de 3 m3, 1,5 m3 et 0,4 m3 selon les besoins.
Une injection d’Altim à l’hôpital coûte une centaine d’euros – en comptant la consultation d’urgence. En général, le protocole comprend une salve de trois injections.
Parmi les derniers recours, il y a la stimulation sous-occipitale qui coûte dans les 22 000 euros. Et enfin la stimulation cérébrale profonde du V3 par électrode flottante facturée environ 50 000 euros. Avec prise en charge sur dossier.
Diverses expérimentations étant en cours, cette liste ne se veut pas exhaustive.
Une consultation chez un médecin spécialiste vu en parallèle pour aider à soulager la douleur (hypnose, acupuncture, ostéopathie, homéopathie…) coûte en moyenne 80 euros non remboursés par la Sécurité sociale. Sans compter les traitements (non remboursés) éventuellement prescrits.
La psilocybine est une substance naturelle. Pour prendre l’exemple du traitement mis au point empiriquement par Flash, l’ingestion de psylocybine sous forme de champignons coûterait tout au plus dans les 20 euros par an – en cas d’achat illégal, mais il y a aussi la possibilité de la cueillette, gratuite (et bien sûr tout aussi illégale que les produits ci-dessous)…
Un buvard de LSD coûte environ 10 et 20 euros.
80 graines de LSA (Rivea Corymbosa) coûtent environ 15 euros.
…
Le savoir protège. Huma savoure les heures de cours quand ses camarades aux familles aimantes n’y voient que contrainte, violence du formatage. Elle, de toute façon, ne peut être conditionnée, elle est déjà feuilletée de masques qu’elle arbore avec soin.
Deux heures après la crise, personne ne peut soupçonner ce que j’ai vécu. C’est un calvaire invisible. Encore plus difficile à vivre. Les regards soupçonneux. Les suspicions de mensonge, d’exagération, de tricherie. Un ennemi qui ne laisse pas de traces de son passage. Mais qui dévore. Lentement. Il prend son temps. Je l’ai appelé le Vampire. Après tout, il attaque souvent la nuit. Et nous entretenons des rapports ambivalents. Ou bien quelqu’un qui enfoncerait un crayon dans votre œil et essaierait de former des figures. Chaque fois une nouvelle. À moins qu’il ne s’agisse d’un vaste projet général, cosmogonique. Parfois, je m’interroge sur ce dessin. J’essaie d’en percer le tracé. Peut-être, si je comprenais ce qui est dessiné, les crises ne reviendraient plus.
Elle se rend compte qu'elle n'arrive pas vraiment à échanger avec sa mère même si étrangement, depuis que leurs corps ne sont plus en présence, qu'elles ne sont plus reliées que par un fil de téléphone, Alice essaie de lui parler. Loin du quotidien et des prétextes. Elle tente de lui transmettre quelque chose. (p. 219)
Et que rien ne sera, heureusement, jamais simple. Il y a un espace d'amour, à portée de main. Mais Hippolyte abandonne le perchoir de la maison. Il a dix-huit ans, l'âge de quitter l'île, comme beaucoup, pour apprendre, voir ailleurs. Il revient parfois pendant les vacances, déjà adulte, alors même que Huma peine à vivre son enfance. les quinze années qui les séparent ressemblent à une frontière (...) (p. 187)
Tant que je parle, tant que je déroule le fil des histoires, je ne peux pas mourir. (p. 10)
On comprend alors avec effroi que le mal a pénétré notre être, est devenu une seconde nature.
Tu as choisi ton épitaphe : "Je reviens dans cinq minutes."