Citations de Léna Mauger (14)
Le pic des évaporations a été atteint après l'explosion de la bulle financière, dans les années 1990. La crise économique de 2008 a entraîné une nouvelle vague de disparitions et de suicides.
L'ex-serviteur de l'État s'est forgé sa propre opinion: selon lui, les causes de ce désespoir social, suicide et évaporation confondus, sont les mêmes. Il évoque le mal-être de son peuple, façonné par des idéaux de performance, de contrition, d'oubli de soi, et démuni face aux dégâts d'une crise sans fin. Il s'en prend aux profiteurs, mafieux, usuriers, patrons qui abusent de leur pouvoir et de la misère des gens. Et attaque tous les fatalistes : " Il faut cesser de s'abriter derrière nos traditions d'évaporation, d'hara-kiri des samouraïs... Si les gens choisissent de disparaître, c'est d'abord parce que quelque chose ne fonctionne pas et que personne n'y fait rien. "
"Les proches voient dans la fugue sociale une faute de parcours. Chez nous, l'échec est inacceptable. Il signifie que l'individu n'a pas honoré sa mission, son rôle dans la société". p152
Trop vite, vient le moment où il fallut rentrer dans le rang, et abandonner cette liberté pour la routine des convenances. Je questionnai mon quotidien et j'arrivai ainsi à une vision assez claire du sens de nos vies citadines, à savoir qu'il n'y en a pas.
dicton japonais « il faut taper sur la tête du clou qui dépasse ».
Le mensonge court partout, du rire aux larmes.
Tous les rôles, toutes les illusions sont envisageables. À une seule condition: pouvoir se les offrir ! le faux ami comble la solitude. Le faux patron leurre la famille du salarié honteux de son licenciement. Le faux mari répond aux angoisses d'une femme, éternelle célibataire. Le faux père marie la fille dont le vrai s'est évaporé... même lors de funérailles, on loue les services de dizaines de personnes recrutées pour recréer une ambiance familiale. Le poids des conventions favorise ce double jeu, et les agences de location vampirisent à la fois ce souci des apparences, la détresse qui en résulte et un sentiment de solitude gangrénant la société. Nicolas soupçonne certaines agences d'employer des disparus. Jouer un autre lorsqu'on se ment à soi-même semble être, ici, une banalité.
"Vous voyez des gens dans la rue, mais ils n'existent déja plus. En fuyant la société, nous avons disparu une première fois. Ici, nous nous suicidons à petit feu."
Dans un pays de froideur pudique, de distance polie, elle prend une main, une épaule, caresse un visage et atteint les cœurs. p. 200
[…] Ce sentiment d'être redevable, si singulier, implique des devoirs. Le premier d'entre tous étant de ne pas salir sa réputation : une obligation si forte qu'au moindre écart, elle se retourne contre soi. On s'évanouit, on se suicide avant tout par politesse, pour ne pas jeter l'autre dans l'embarras.
Vous savez, une disparition est quelque chose qui vous colle à la peau. S'enfuir, c'est courir à la mort.
Chaque soir, après le dîner, les stagiaires écrivent une lettre à leur patron. L'auteur doit raconter ses échecs et ses succès, et surtout, le remercier pour le séjour. À son arrivée, shingo suzuki, jovial, bon vivant et taquin, souriait en coin. Trois jours plus tard le voilà mis au pas, rêvant, comme le groupe, selon la norme, de réussir les tests pour satisfaire le boss. Oublié, envolé, le désir naissant de rébellion. Ici, la révolte ne grandit pas un homme. Le fort doit être capable de laisser sur le bord du chemin son bonheur personnel, au profit de ses obligations. La force de caractère se révèle dans l'obéissance aux règles et non dans l'insoumission.
Arimura voit les évaporés comme cela : des hommes seuls, mais libres. La solitude pour rançon d'une liberté sauvage. p. 243
Il faut cesser de s'abriter derrière nos traditions d'évaporation, d'hara-kiri des samouraïs... Si les gens choisissent de disparaître, c'est d'abord parce que quelque chose ne fonctionne pas et que personne n'y fait rien.
Tous mourront ici, dans l'indifférence générale. "Vous voyez des gens dans la rue, mais ils n'existent déjà plus. En fuyant la société, nous avons disparu une première fois. Ici, nous nous suicidons à petit feu." Une agonie, lente et solitaire.