Les économistes atterrés

Plus généralement, la sobriété technologique sera nécessaire dans l'ensemble de l'industrie, en favorisant les outils et moyens de productions proportionnés aux tailles des collectifs de travail, de fabrication plus simple et locale, réparables, durables et sobres en énergies fossiles.

L'aspiration est forte aujourd'hui pour repenser l'organisation des modes de production et le partage des richesses, pour stopper la dégradation de l'écosystème, et imaginer un autre monde où chaque personne puisse avoir un travail qui lui permette de vivre et de vieillir de façon décente.

Notre économie alimentaire low-cost basée sur l'écoulement de denrées alimentaires à bas prix est un substitut de fait à des politiques sociales plus ambitieuses et plus distributives.

propos d'Olivier De Schutter

Ce modèle agroalimentaire productiviste apparaît désarmé face à l'augmentation des températures (auxquelles des variétés standards gourmandes en eau sont peu adaptées) et l'obligation d'abandonner progressivement les énergies fossiles (dont les longues chaînes d'approvisionnement dépendent). Il nous conduit à une impasse en forme de paradoxe: alors que ce modèle est né d'une volonté de faire face à une pénurie d'après-guerre et d'assurer la sécurité alimentaire, on doit constater aujourd'hui que ce système est peu résilient, et nous rend extrêmement vulnérables.

En écrivant cet opuscule, en proposant à la discussion ces analyses, les Économistes atterrés poursuivent ce qui est leur vocation : mettre entre les mains des citoyens des éléments d’analyse leur permettant de se saisir du débat, de se faire entendre afin que nul ne décide de leur avenir à leur place.

La vrai question est désormais de savoir si cette restructuration aura lieu en fonction de l'intérêt des populations ou sera négociée selon le bon vouloir de l'industrie financière

L'objectif est que la charge de remboursement ne puisse en aucun cas entraver l'exercice des fonctions souveraines de l'Etat

l’évaluation financière n'est pas neutre : elle affecte l'objet mesuré, elle construit le futur qu'elle imagine

La question de l'établissement d'une situation de plein emploi permanent et de qualité se pose néanmoins dès à présent, face à l'échec de quatre décennies de néolibéralisme qui ont installé chômage de masse, réduction du temps de travail subie et perverse (par contrats à temps partiel contraint, subi surtout par les femmes), et multiplié le bullshit jobs, pour prendre une expression de David Graeber.

Bullshit jobs = boulot à la con.

Enfin, il faut produire le plus possible sur le territoire pour le
territoire et avec les ressources du territoire, appliquer et mettre en œuvre la notion de "circuits courts" issus de l'agriculture au secteur industriel.

La bifurcation écologique et sociale appelle des changements institutionnels profonds des modes de production pour améliorer la qualité sociale et écologique des biens. Cela suppose pour l'ensemble de l'agriculture et de l'industrie un raccourcissement des chaînes de production actuellement étendues à l'ensemble de la planète. Ce raccourcissement implique d'une part une relocalisation des unités de production dans un sens de la sobriété technologique et d'une simplification des organisations du travail, d'autre part.

La fragmentation mondiale des chaînes de valeur répond à la volonté des firmes de se fournir aux prix les plus bas à chaque étape de la production afin d'accroître leur rentabilité, le plus souvent au détriment de l'emploi, de la qualité et des consommateurs.

Il est pourtant important de rappeler que la mission première de l'enseignement, et en particulier de l'enseignement supérieur, est de former des citoyens, c'est-à-dire des individus doués d'une réflexion critique et d'un degré d'adaptation les rendant aptes à s'épanouir au sein de la société, ce qui passe, bien sûr, mais pas uniquement, par l'obtention d'un emploi conforme à leurs souhaits.

Comment se résoudre à laisser l'acte premier du soin, l'alimentation, aux mains d'industriels peu soucieux de la qualité et de l'environnement.

Rompons avant toute chose avec l'idéologie de la dépense qu'il faudrait contraindre à tout prix, pour penser enfin la santé non comme un coût, mais comme un investissement devant répondre à la demande de soin et à son évolution.

Non seulement les pratiques agroécologiques sont plus intensives en main-d'œuvre, mais une partie de ces résultats provient de la relocalisation d'une partie des productions. Elles vont donc de pair avec l'objectif de souveraineté alimentaire. De plus, ces pratiques redonnent du sens à la profession des agriculteurs frappée par un taux élevé de suicides.

Enfin l'industrialisation de l'alimentation réduit le temps consacré à la préparation des repas, ce qui contribue à modifier les conditions de vie domestique des femmes et favorise l'augmentation de leur taux d'activité professionnelle.

En libérant du pouvoir d'achat, la modernisation agricole accompagne pleinement le développement de la société de consommation.

Par un de ces tours de force idéologiques dont ils ont le secret, les chantres du néolibéralisme ont imputé la crise globale aux dépenses publiques excessives, à un État social trop généreux et à des entraves à la concurrence sur des marchés jamais assez libéralisés. Passées sous silence, les innombrables largesses accordées aux riches, les niches, la fraude et l’évasion fiscales qui ont rongé les recettes publiques et creusé les déficits publics. Omis, le soutien des banques à la spéculation financière. Oubliée, la prise en charge de dettes privées colossales par les États appelés à la rescousse d’un système bancaire défaillant parce que spéculateur. Gommés, les effets délétères des traités européens. Niée, la difficulté à expliquer la montée du chômage par le coût du travail alors que les salaires sont comprimés depuis longtemps.

Les défis environnementaux de long terme réclament une véritable bifurcation de nos modes de production et de consommation, qui peut elle-même constituer un accélérateur des transformations sociales