Chronique de l'horreur ordinaire, cet album autobiographique retrace la lente descente aux enfers d'un journaliste modéré reconverti dans la presse jeunesse car catalogué comme agitateur politique. Il pensait se mettre à l'abri des troubles qui agitent sa profession, mais le destin lui joue un sacré tour...
Irréel. C'est le premier mot qui vient à l'esprit en refermant ces quelques 200 pages. On pourrait se croire dans un ouvrage de science-fiction, tant la situation paraît absurde : dans quel monde enferme-t-on des gens plusieurs années, sans motif valable, sans procès, sans même une explication ? Dans le notre. Et ça, c'est la constatation la plus glaçante : ce qui est arrivé à Mana Neyestani se produit encore chaque jour, aux quatre coins de la planète. Pris au piège de ce système qu'il qualifie lui même de "kafkaïen", le journaliste subira pendant de long mois isolement, tentatives d'intimidations, pressions diverses, bref, tout l'attirail de la parfaite violence psychologique. Déboussolé, perdu, noyé dans l'incertitude, sa seule lumière est sa femme, Mansoureh, avec laquelle il décide de fuir son pays et de trouver l'asile politique.
Mais ses tentatives se soldent par de nombreux échecs ; la situation semble inextricable. Mana est baladé d'administrations en administrations, d'ONG en ONG qui promettent beaucoup et agissent trop peu. Le regard de l'auteur, lucide, ne se veut pas accusateur, mais le lecteur ne peut s'empêcher d'être empli de honte et de colère à l'idée qu'il vit dans un pays où la liberté de pensée et d'expression sont des valeurs incontournables, où les droits de l'Homme sont inscrits dans la Constitution, mais qui détourne si facilement le regard lorsqu'il s'agit d'aider autrui.
A cette histoire à peine croyable, Mana Neyestani oppose une narration extrêmement classique, malheureusement non dénuée de quelques maladresses... Si le choix d'un récit chronologique est à mon sens assez heureux, le découpage et la mise en case témoignent de la maîtrise imparfaite du média bande dessinée, comme le fait très justement (et bien mieux que moi) remarquer David dans sa chronique. Il est immédiatement palpable que l'auteur est plus habitué au dessin de presse qu'au travail de scénariste et d'illustrateur de BD ; son trait n'en conserve pas moins une grande expressivité, parfois proche de la caricature, qui donne à son récit une vivacité incroyable. Je suis loin d'être une grande amatrice de ce genre de graphisme, mais je ne peux que reconnaître l'étrange alchimie qui se crée entre ce sujet difficile et le style "cartoon" de Mana Neyestani.
Avec Une métamorphose iranienne, le lecteur oscille en permanence entre incrédulité et révolte à l'idée que l'on puisse bafouer en toute impunité et aussi profondément des droits sacrés. La source du conflit paraît tellement irrationnelle, anecdotique, que l'on a du mal se convaincre de la réalité des faits qui nous sont contés par l'auteur. Un album choc qui soulève de nombreuses questions et qui nous bouscule intensément.
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