Vrai-faux jour des fous sous le château fondateur, et rappel subreptice d’un ordre social et politique toujours omniprésent – dans la langue englobante et quasiment totale du Moyen Âge intemporel de Marc Graciano.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/19/note-de-lecture-le-charivari-marc-graciano/
D’abord, au démarrage de cette immense phrase aussi panoramique que désireuse d’épouser chaque détail qui se présentera à la vue, il faudra parcourir le château (celui-là même dont on avait aperçu une dépendance bien spécifique, celle où l’on prenait soin des différents faucons du seigneur, dans « Le Sacret »).
Dès l’amorce : « D’abord il y eut le charivari et le charivari venait du bas-village et il remontait vers le château, et le château avait été édifié au sommet d’un coteau calcaire terminé d’un crêt peu haut auquel l’arrière du château s’adossait ». De manière aussi insidieuse que lorsqu’il s’agissait, officiellement, de l’art d’élever les oiseaux de proie pour la chasse, la description du charivari sera sociale et politique, sans que jamais Marc Graciano n’évoque ces mots autrement que par pur implicite : même la transgression sociale qu’implique le Jour des Fous sous sa forme « locale » procèdera comme en descente de chez le Maître du Château.
Publié en 2022 aux éditions Le Cadran Ligné, « Le Charivari » appartient au même vaste ensemble en cours d’écriture et de construction qui comprend aussi, déjà, « Le Sacret » (2018), « Le Soufi » (2020) et désormais « La Nacelle / L’Oiseleur » (2024). Il doit en constituer la pierre fondatrice, celle où les lieux déterminants de l’enfance, à savoir le château, ses dépendances et le village qu’il domine (à plus d’un titre), ont droit à leur description globale et, déjà, à certains zooms auxquels l’écriture de Marc Graciano est particulièrement propice.
La chapelle et la fontaine, dont tous les détails (y compris sous forme d’anecdotes historiques saillantes) se mettent ainsi subrepticement à incarner ici deux formes de sacré qui ne sont peut-être pas tant opposées que complémentaires (si la chapelle faisant fonction d’église semble à sa place naturelle, si l’on ose dire, il faut se souvenir comme l’auteur du rôle fantastique joué traditionnellement par l’eau commune assemblée en un lieu : la fée Mélusine, dont surent se souvenir le moment venu aussi bien Gérard de Nerval que Mathias Énard, n’est souvent jamais très loin – même lorsqu’un poisson-chat vient prétendre le contraire). Et c’est bien ce sacré non directement religieux (le choix de l’espèce du faucon retenu pour le texte cité ci-dessus ne pouvait ainsi être un pur fruit du hasard) qui occupe la place centrale de l’œuvre immense toujours en train d’être bâtie.
Plus même que le Carnaval (dont la mascarade tenait le rôle principal chez Brueghel et donc dans le magnifique « Cendres : des hommes et des bulletins » de Sergio Aquindo et de Pierre Senges) à la fois rabelaisien et bakhtinien, le charivari (jadis étudié notamment par le grand médiéviste Jacques Le Goff) tient une place à part parmi les rituels conjuratoires de l’ordre social établi – tel qu’il s’illustre au Moyen-Âge réel, et davantage encore dans celui, intemporel et minutieusement trafiqué, imaginé par Marc Graciano grâce à une langue bien spécifique. Prétendu objet même de ce texte, où il apparaît dès la première ligne, il n’y fait son véritable retour qu’à la page 48 (sur 68) : aucune innocence, ici, mais bien la marque d’un statut objectif, secondaire, malgré les espoirs subversifs éventuellement placés en lui.
Le sacré que l’auteur cherche à matérialiser au fil de ses pages et de sa longue phrase unique – où les virgules et les conjonctions de coordination tiennent lieu de marques géographiques de fortune – ne naît jamais, au fond, des processions-processus, officielles ou contre-officielles, mais bien de la juxtaposition sans fin des détails qui font le monde tel qu’il est, mystère d’accumulation sans prééminence déclarée : et c’est bien ainsi que la langue, seule, est à même de révéler quelque chose de ce fouillis sublime qui nous sidère et nous enchante.
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