Citations de Martine Delomme (224)
Ce serait tellement agréable d’échapper à la discipline de son quotidien. Pendant des années, elle avait pesé chacun de ses actes, surveillé la moindre de ses pensées. Et si, pour une fois, elle s’accordait le droit de commettre une folie ?
Elle lui tendit la main et il posa ses lèvres sur le bout de ses doigts. Elle trouva son geste totalement démodé, mais exquis.
Hervé ne dit rien mais son regard se fit insistant. Elle percevait le contraste presque inquiétant entre sa passivité et les éclairs sombres de ses yeux. Pourquoi se sentait-elle mal à l’aise en sa présence depuis quelque temps ? Rien ne le justifiait.
Élisabeth observa l’homme de quatre-vingts ans assis en face d’elle. Droit, un brin solennel dans son costume trois pièces et sa chemise blanche. Quand elle était adolescente, elle s’était souvent demandé s’il gardait son complet pour dormir. Il semblait toujours si cérémonieux avec son port militaire, son air affirmé, jusqu’au moment où il souriait...
Il avait choisi de la sacrifier pour garder intacts les souvenirs de l’unique période de sa vie où il avait été heureux. Et aujourd’hui encore, il ne regrettait rien. Mais cela, il était incapable de le lui expliquer.
Elle était très pâle. La confrontation avec cette part d’ombre qui demeurait au plus profond de son cœur, était encore plus douloureuse qu’elle ne l’avait imaginé. Mais il fallait bien que tôt ou tard elle s’en libère.
Le jour rayonnait déjà. Les mouettes emplissaient le ciel de leurs cris. Ils posèrent ensemble leur regard au loin, dans le sillage d’un voilier qui cinglait vers l’horizon comme s’il devait en rejoindre la promesse
Je n’ai échappé à mes bourreaux que pour en devenir un à mon tour et exécuter ma sentence…
Savez-vous pourquoi les marins ont des rides ?
Parce qu’ils apprennent à contempler l’éternité sans cligner des yeux…
J'entendais mon souffle, je sentais mon cœur battre, la vie réapparaître… Je vivais, et c’était intolérable.Alors, au-delà du désespoir, de la terreur, j’ai abordé un territoire aride, celui de la haine.
Le temps n’était-il pas venu qu’elle accepte l’idée qu’Henri était mort ? Que l’entité familiale qu’elle formait avec lui ne serait plus ? Laisser perdurer cette situation n’avait plus aucun sens. Une autre vie était possible. C’était ce qu’Adam lui avait dit récemment. Mais le problème, c’est qu’elle était incapable de décider quelle vie elle voulait. Et surtout avec qui.
Quelque chose lui disait que les réponses à bien des questions résidaient dans la relation qu’entretenait Henri avec son ex-femme. Elle devait régler une fois pour toutes ses différends avec Olivia, mais elle se voyait mal l’affronter encore pour lui demander des explications. Depuis l’accident de son mari, Claire cherchait un double sens à ses souvenirs. À quoi ressemblait réellement sa vie conjugale ?
Parfois, elle éprouvait de la terreur, une terreur noire et glacée. Elle sentait que quelque chose prenait forme en elle, lentement.
l acceptait la fin comme une libération. Il laissait sa mémoire savourer une dernière fois ces mille choses délicieuses, anodines qui le ramenaient vers son enfance. Il revoyait l’enfant qu’il était, vivant près de Juliette. Il lui restait tous ses souvenirs que le temps avait épurés, taillés comme des joyaux.
Elle s’entendait encore lui dire au cours de promenades initiatiques : « Il faut aimer la vigne, ma chérie, selon les saisons, elle respire, elle pleure, on peut même l’entendre chanter parfois, le vin, c’est un art
À ses pieds, tout autour d’elle, les vignes… Lignes fuyantes des règes sombres, les feuillages vert tendre, comme une mer agitée par une houle profonde qui se perdait au-delà des arbres dans un ciel rose et gris. Fabienne disait : « un ciel de praline"
Elle avait tout fait pour ressembler à sa mère, tout appris de la vigne pour être digne d’elle, de la culture jusqu’aux secrets de l’élevage des vins, mais aussi les relations commerciales, et la comptabilité. La seule chose qu’on ne lui avait pas apprise, c’était comment oublier son violon dans le grenier, comment ne pas pleurer.
Nous avons des millésimes vieux de quarante ans, ils ont été embouteillés pour célébrer certains événements. Chaque bouteille est une étape qui raconte l’histoire de ma famille. Toute ma vie est là… »
De tout le vignoble, la colline de Moulinblanc était sa parcelle préférée. Les ceps couraient à perte de vue, chaque pied avait pris une forme différente avec le temps et leur écorce n’avait pas la même patine ; il lui semblait qu’elle pouvait tous les reconnaître.
Elle aurait voulu éprouver de la compassion, du chagrin. Tout sauf cette vague de méfiance et d’indignation. Et cet obscur besoin de vengeance. Au bout d’un temps qui lui parut interminable, elle sentit enfin les larmes couler sur son visage, mais elle ne fit rien pour les repousser.