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Citations de Maryline Desbiolles (115)


Philomène Rozan ne mène pas ses paroles à la baguette, ses paroles s’envolent, elles ne se dispersent pas, elles se posent sur la tête des ovalistes, sur leur langue, des paroles qui ne font pas tourner la tête, ou qui la font tourner mais pas à la manière des ritournelles, des paroles qui n’enivrent pas, mais qui donnent soif, gagner davantage que 1,40 F, gagner 2 F comme les hommes même si c’est impensable, être payées au temps, pas aux pièces, et pas nourries logées comme des domestiques, avoir le droit de s’asseoir, prendre plus de pauses, avoir une chambre à soi, ou du moins un lit à soi, travailler dix heures et non pas douze, avoir un lit et du temps à soi, c’est pas la lune et c’est la lune à voir la tête des patrons auxquels ces doléances sont présentées le 17 juin 1869, de vive voix, bien sûr de vive voix, ces dames et demoiselles ne savent ni lire ni écrire (…).
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Au cimetière marin plus encore que dans un autre cimetière
comme la mer bat et que c'est beau on vient vérifier
qu'on a toujours de l'appétit et du goût pour les choses
et qu'on n'a pas fini de vivre

Sète, novembre
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Anchise est vieux de tout ce temps qui n'a pas passé pour de bon mais qui s'est incrusté en lui. Il boite plus qu'avant, plus souvent, plus longtemps, il danse sur une patte comme un grand oiseau des marais où on ne sait plus trop où est la terre et où est l'eau, où est la mémoire qui fume comme un brouillard cachant les joncs et les révélant tour à tour, où est ce qui s'invente entre la terre, l'eau et le ciel, qu'on devine plutôt qu'on voit.
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Maryline Desbiolles
Ma ville est touchée. Jamais je ne dis « ma » ville. Elle ne m’appartient pas, pas plus que je ne lui appartiens. Mais aujourd’hui, je voudrais la prendre par l’épaule, cette ville dont la beauté m’émeut toujours et m’a donné de la ferveur, oui, la ferveur qui ouvre la poitrine et fait respirer plus grand. Nice a fondé mon regard. L’arc parfait de la baie des Anges qui m’a toujours paru comme l’aisselle ouverte de la nageuse de crawl. L’arc parfait dessiné par la lumière incisive, violente. Ce soir-là, après le sirocco de la veille et sous la menace de l’orage, la lumière était à tomber. Comment écrire encore ces mots pour désigner un paysage, violente, menace, tomber ? Comment invoquer l’arc parfait ? La perfection n’est plus de ce monde. Et la lumière, que dire de la lumière ? Comment pourrait-elle souligner la promenade des Anglais jonchée de cadavres ? La lumière est mouillée et Nice est floue derrière les larmes.
In le Monde 16 juillet 2016
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Le bruit des machines n'est pas enrobé par le sucre du fil.La blondeur extrême de Clémence Blanc ne fait pas de compromis. On pense à l'enfance, à la petite fille qui dit non, qui tape du pied, à la petite fille pas encore résignée.

(p.84)
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Je suis un sanglier et un chien. Je suis aussi un âne. J’ânonne. Je fais des exercices que je trouve au petit bonheur sur des sites. Tout m’est bon, je ne sais rien. Dans la colline, je souffle dans ma trompette et je brais comme un âne. Longtemps je n’utilisai que la seule embouchure dont je n’arrivai à tirer un son qu’après des jours d’effort. Puis l’instrument, corps reconstitué, puis l’instrument de tout son corps qui amplifia mon braiment. Je suis un âne. J’endure, je m’évertue, je me blesse les babines. J’ai une marque rouge, une marque au fer rouge sur les lèvres, un petit cercle qui me cloue le bec.

J’ai nettoyé la trompette, je l’ai frottée, elle a pris des coups, elle est rayée par endroits, mais elle a retrouvé un peu de son lustre. C’est une vieille trompette, je ne sais pas si elle a servi. Une trompette de la marque Besson. Je ne sais pas si c’est une bonne trompette. Je ne sais pas ce qu’est une bonne trompette. Je sais que la trompette est un instrument réputé difficile, populaire, manouche, fête au village, sonnerie, fanfare, la trompette est en laiton, jouer avec le vent, jouer dans le vent, oiseau-trompette, un instrument réputé militaire, royal, trompettes de la renommée, de-la-mort. Mais elle a beau être dotée, capable d’un son brillant, elle n’est pas prétentieuse, je peux la prendre avec moi, l’escamoter, je l’ai bien en main sinon en bouche. C’est déjà quelque chose.
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Les jeunes hommes et femmes assis sur le muret ne sont pas des fantômes, ils ont franchi dans les montagnes la frontière entre l’Italie et la France, ils viennent de bien plus loin, de l’autre côté de la mer, ils ont manqué se noyer, enjambé la mort qui les tenait par les chevilles, ont traversé la vallée de la Roya, ont marché de nuit sur la route et, au petit matin, on les a dénoncés, sans doute quelqu’un qui les as vus de sa voiture comme nous les voyons et qui a appelé la police avec son téléphone portable. Quelqu’un qui courait sur le bord de la route, quelqu’un à vélo, quelqu’un dans sa voiture comme nous. Dans la nuit douteuse ou le jour traître, comme on voudra. Et j’ai honte d’habiter si près, j’ai honte d’habiter tout court, j’ai honte de continuer ma route et de rencontrer en sens inverse d’autres voitures au gyrophare bleu roulant à vive allure, un tel déferlement pour autant de silence.
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Avec notre quatuor nous infiltrons l’orchestre. Nous ne connaissons pas la musique. Avec nos quatre relayeuses, nous chantons les yeux fermés. Elles nous conduisent vers la foule des femmes en grève, la foule des ovalistes, dans les deux mille, deux mille femmes au moins, deux mille ovalistes, deux mille femme ovalistes, et pas pour s’y diluer, se fondre dans la foule comme on dit, jamais peut-être elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits-là, des mois de juin et juillet 1869, si être soi-même consiste à se mêler, à parler fort, à être d’accord, à ne pas être d’accord, à rire, consiste à marcher sans se presser dans la rue, au milieu des autres, à marcher dans la rue de nuit, à envahir les cafés, pas en famille, pas discrètement en tête-à-tête, à sortir des ateliers, des dortoirs, de soi, être soi-même en sortant de soi, consiste à éprouver ce que nous ignorons, une ferveur ? une joie ? la joie et la peur de trahir les parents, les patrons ? un déchirement ? une rage ? Un allant ? consiste à reconnaître pareils sentiments, à se reconnaître.
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"Louise entraîne François dans les genêts follement jaunes, les fleurs froissées ,les fleurs roses des cistes cotonneux, les buissons de lentisques, dans les odeurs mêlées qui infusent sous la chaleur précoce et montent à la tête ....."
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Dans la chambre sombre de la sieste
une rayure de ciel très bleu au haut des volets bien fermés
un sirop de ciel et toute l'eau du jour qui gicle à la figure

Valréas, juillet
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"Le monde lui-même a la tête dans un sac. Il n'est pas un livre dont la lecture nous donnerait peu à peu les clés. C'est à nous d'écrire indéfiniment le livre."
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"Et j'étais alors si petite que les herbes étaient toujours hautes. Et j'allais dans les champs, toujours protégée par les herbes hautes. Mon royaume d'herbes dont le ciel n'était pas le plafond, pas le toit, pas la limite, mais la démesure, la promesse de changements justement illimités. Et si j'avais le vertige en regardant le ciel, allongée dans le champ, je me sentais aussi à l'abri. Il n'y avait pas de contradiction."
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Adel je ne sais pas le décrire, il a des yeux jaunes, et tout est dit. Adel je ne sais pas le décrire, il a des dents petites, des lèvres mauves, et toue est dit. Adel je ne sais pas le décrire, il est très fin, sourire fin, esprit fin, air fin, fine bouche, fine lame, fin du fin, fin mot, Adel a des mains graciles, les ongles un peu rongés, la peau délicate, très délicate, la taille déliée, les muscles déliés, la langue, et tout est dit.
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Il est cinq heures de l’après-midi, les ovalistes commencent à se disperser, mais pour certaines il s’agit d’aller débaucher des ateliers. Elles vont en bande. Une bande de femmes. Le mot bande bien loin de son premier sens, bien loin du ruban, bien loin de la joliesse du ruban sur les cheveux des femmes ou autour de leur cou. Les femmes sont dénouées, nombreuses, dans la rue, comme on ne voit jamais, elles ne forment pas une troupe mais une bande mal indentifiable, dangereuse par conséquent. La police relève les lieux de leurs passages. Elles se dirigent en nombre vers les anciens couvents des Chartreux.
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Il est cinq heures de l'après-midi, les ovalistes commencent de se disperser, mais pour certaines il s'agit d'aller débaucher des ateliers.
Elles vont en bande.Une bande de femmes.Le mot bande bien loin de son premier sens, bien loin du ruban, bien loin de la joliesse du ruban sur les cheveux des femmes ou autour de leur cou.
Les femmes sont dénouées , nombreuses, dans la rue, comme on ne voit jamais, elles ne forment pas une troupe mais une bande mal identifiable, dangereuse par conséquent.

( p.106)
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Il pleut
deux mots
qu'on remonte sur soi comme un édredon
et l'odeur du mouillé
( la terre mouillée
les dalles de ciment mouillées
l'herbe mouillée
la chaleur mouillée )
anesthésie tout mouvement
et tire votre nuque en arrière
dans l'oreiller entier de la mémoire
on s'endort

La Fontaine de Jarrier, juillet
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-Les oiseaux migrateurs-

cette même semaine, début novembre, je dispose des boules pour les oiseaux. Elles attirent quantité de mésanges. La lumière est étincelante. Pourquoi les oiseaux désireraient-ils migrer plus au sud ? je lis les lettres que Rosa Luxemburg a adressées depuis sa prison à Sonia Liebknecht ,"Sonitschka". Je découvre avec surprise que Rosa y parle essentiellement des bêtes. Un paon de nuit à qui elle sauve la vie, son "frère bien aimé" le buffle qui traîne d'énormes charges dans la cour de la prison et se fait maltraiter par un soldat. Et surtout des oiseaux. Elle raconte qu'au moment de la migration, toutes les espèces d'oiseaux qui d'ordinaire se font la guerre "traversent la mer les uns à côté des autres, dans la plus parfaite entente", et le plus beau est qu'à cette occasion, les gros oiseaux portent les plus petits sur leur dos. Rosa croit dur comme fer à ce qu'elle appelle dans la lettre datée de la mi-novembre 1917 "une sorte de trêve de Dieu tacite . (p.83)
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Elle oublie les mauvaises pensées dans le travail qui consiste à surveiller les moulins, garnir et dégarnir les moulins, vérifier la qualité de la soie, nouer et dénouer les fils cassés, donner au fil de soie la torsion nécessaire à son tissage. Chez Détrie, le plus gros atelier des Chartreux, trente-quatre ouvrières, on est payé à l’heure et non pas à la pièce, quinze centimes de l’heure, c’est plutôt mieux payé qu’ailleurs. Comme toutes les ovalistes, elle travaille comme un homme qui gagne plus pour la même tâche, mais elle travaille non pas comme une brute, car le moulinage requiert de la concentration et de la délicatesse, mais plus que les autres qui la regardent d’un mauvais œil, elle rogne sur les pauses, le matin vers huit heures trente, neuf heures, pour manger un bout de pain, et à midi, deux heures en tout.
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«  L’air autour d'eux palpitait comme la gorge d’un pigeon , affolé, avide, mais dans un incroyable silence non pas parfait mais éclatant , un silence non pas de mort mais du monde encore à naître.
Ils se sentaient tout simplement élus par ce silence comme par l’opulence du parfum qui se déversait à brassées sur eux—- Ils ne doutaient de rien, ils auraient marché pieds nus sur le feu—-
Ce fut là leur voyage de noce » .
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Il ne faut pas perdre de vue que Vallotton a été anarchiste, dreyfusard de la première heure comme il a été nabi, c'est-à-dire d'avant-garde, contre la peinture académique-son surnom " de guerre" était "le nabi étranger" ( étranger même aux nabis ?)- Il ne faut pas perdre de vue que Vallotton a été, qu'il est rebelle, qu'il exècre la bourgeoisie. (...)
Vallotton exècre la bourgeoisie qu'il épouse, il exècre au fond sa propre espèce, sa propre engeance, il n'aura pas d'enfants.

(p. 30)
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