J’ai reçu le livre de Maryline Desbiolles dans le cadre d’une masse critique. Je n’en connaissais pas le sujet, et en lisant la quatrième de couverture, j’avoue avoir été hésitant à me lancer dans la lecture.
Une fois mon hésitation vaincue, le livre de Maryline Desbiolles s’est révélé passionnant, attachant et profond.
Passionnant, parce qu’il nous révèle la vitalité des années de l’entre deux guerres, dans la ville de Nice et à Paris, foisonnantes de personnages qui ont donné à la culture française une dimension universelle pour ne pas dire internationale, en explorant des domaines nouveaux.
Attachant parce qu’en nous racontant le parcours d’un compositeur de musique de films originaire de Nice, Maurice Jaubert, Maryline Desbiolles re-situe ce récit dans ce qu’est Nice aujourd’hui, le Nice qu’elle connait, dans lequel elle se lance sur les traces de Jaubert.
Profond parce qu’il va au-delà d’une simple biographie et nous interroge sur la relation que nous avons aux lieux, à leur histoire et à l’histoire de ceux qui nous ont précédés dont nous sommes quelque part les héritiers.
Maurice Jaubert est un jeune homme de bonne famille. Enfant, il partage les mêmes jeux que les enfants Renoir. Un père avocat et tout à la fois musicien et chansonnier l’amène à choisir le barreau, il devient le plus jeune avocat de France en 1919, mais ne néglige pas pour autant la musique dont assez rapidement il envisage d’embrasser la carrière.
«(...)devenir musicien est pour lui aussi envisageable et aussi difficile que parvenir au somme des monts Gelas ou Argentera (3297 mètres), les plus hauts du Mercantour.»
«Pour Maurice Jaubert la musique et la foi sont étroitement mêlées. L’une et l’autre sont d’accès difficile et réclament l’ascèse.»
L’autre passion de Maurice est la mer. «On ne peut guère oublier la mer. Elle sous-tend la musique de Jaubert et mon penchant pour elle.»
Nice est alors un lieu de villégiature pour de grands compositeurs : « Berlioz, Wagner, Massenet ou Fauré qui en 1911 inaugure la nouvelle salle de l’Artistique et accueille Camille Saint Saëns en récital. Stravinsky réside quelques années à Nice où il compose intensément.»
C’est ce Nice là qui a fait Maurice Jaubert.
Après avoir suivi l’enseignement d’Adeline Bailet au conservatoire de la ville, il en obtient à 16 ans le premier premier prix, en même temps que son baccalauréat.
A Paris, il est surveillant à l’Institut Bossuet. Il correspond presque chaque jour avec sa mère, Haydée. Il est membre actif du cercle Montalembert et fréquente Mounier, le fondateur de la future revue Esprit.
«Les jeunes gens de sa trempe et de sa génération méprisent les carrières (...) ils préfèrent la grâce du renoncement à «l’amour éperdu de la sécurité et du bonheur.» Mounier dira «la grâce du renoncement et de l’engagement pour le spirituel.»
Il épouse Marthe Bréga - «(...) une jeune femme pétulante, belle, séductrice, fantasque(...) un antidote à la tristesse sévère d’Haydée.» - le 5 octobre 1926, en l’église de la Trinité à Paris dans le 9ème arrondissement. Son témoin est Maurice Ravel.
Albert Groz, Jean Gremillon, Marcel Delannoy, Arthur Honneger, sont ses compagons de l’époque.
Il travaille pour la maison Pleyel,
A la façon d’une détective, Maryline Desbiolles nous entraine à la chasse aux indices et nous rend familier de Jaubert. En la lisant, nous n’ignorons plus rien de son parcours, de son séjour en Algérie, de sa correspondance, de son apparence, de ses craintes, de ses espérances, de ses questionnements.
Rien ne lui échappe. Rien ne nous échappe. Nous devenons familier de Jaubert.
Maryline Desbiolles nous parle de Jaubert, plus qu’elle n’écrit sur lui, ou du moins écrit-elle en nous en parlant à la façon d’une amie impatiente de nous faire partager sa découverte du musicien.
Sans prêter attention, dans un premier temps, à la chronologie des faits, mais en nous entrainant dans le cheminement de sa pensée et dans l’avalanche de sentiments qu’il lui inspire.
Cela commence par son intervention auprès des élèves du collège Maurice Jaubert à Nice :
«Je ne sais pas qui est Maurice Jaubert. Je ne sais pas qu’il est un compositeur de musique et qu’il est né à Nice, ce qui vaut à son nom d’apparaître sur la façade d’un collège qui est niçois et qui l’est si peu.»
Elle fouille le passé de Maurice - «Je trouve l’acte de naissance de Maurice Jaubert, Fascinants papiers officiels, Leur trop plein de réalité m’éclate à la figure.» «Maurice Jaubert a vingt ans.(...)Il est sapeur de deuxième classe au 7ème Génie d’Avignon. Je déniche même son numéro matricule : 2777.» - le relie à son présent. Elle regarde une fois de plus La chambre verte de Truffaut dont elle nous apprends qu’il admire Jaubert depuis qu’il a entendu les illustrations musicales de ce dernier pour les films de Vigo, L’Atalante et Zéro de conduite.
L’écriture de Desbiolles est invasive, une écriture insistante, répétitive, elle ne laisse pas le lecteur indifférent.
En lisant le dernier paragraphe de la page dix-neuf, j’éprouve le besoin de re-visionner le DVD de la chambre verte. Un film que j’ai vu à sa sortie. Je n’avais pas prêté attention aux crédits musicaux de la bande annonce. Mais comme Maryline Desbiolles, je cherche le nom de Jaubert au générique. Il y figure effectivement. Ce nom qui ne m’a rien inspiré alors, devient, à la lecture de ce livre, un nom signifiant.
Je ne peux plus dès lors ignorer l’existence Jaubert, de son Nice, de ses amis, de ses parents, de son apport à la musique de film, de ses engagements, du Front Populaire, de la guerre.
Maryline Desbiolles, à l’instar de Julien Davenne pour ses morts, personnage principal de La chambre verte, joué par Truffaut lui-même, construit une passerelle entre nous et Jaubert :
«je marche avec Maurice Jaubert. Je soulève des pierres; Dessous, quelquefois, se cache un menu trésor. J’avance ainsi, sans dessein, en m'accroupissant de temps à autre pour scruter des brimborions révélés par la lumière.»
«Un soir du 15 aout, je suis sur la plage de Nice pour regarder les feux d’artifice tirés depuis la mer. A côté de moi, des touristes, mais aussi des familles niçoises venues notamment des quartiers périphériques. Une grosse dame voilée et ses trois enfants âgés de cinq à dix ans portent sur la tête des petites cornes clignotantes.»
Le Nice de Maurice Jaubert, celui qu’elle interroge, existe-t-il toujours ?
«Qu’est-ce que Maurice Jaubert a entendu de Nice, de la plage, des montagnes, quels sons les paysages ont-ils plantés en lui ?»
La démarche de Maryline Desbiolles est comparable à celle de Agata Tuszynska, la biographe de Singer, dans son ouvrage «Les paysages de la mémoire». (Les personnages de Singer sont des ombres, qu'une imagination affutée peut encore croiser dans les rues de Varsovie désormais refaite à l'identique de ce qu'elle avait été avant sa destruction).
En interrogeant les lieux et leurs occupants, parviendrais-je à faire revivre ceux qui n’y vivent plus ?
«Un type lave sa voiture dans la rue, je lui demande s’il connait la villa Mektoub, il me répond plutôt sèchement qu’il n’y a pas de Mektoub ici, mektoub, le destin de l’homme fixé par Dieu, le fatum, en arabe (est-ce Maurice qui a trouvé le nom ? Bien entendu, j’ai tendance à le penser) (...) La villa ne s’appelle plus Mektoub mais le Clos Marjac. (...) Mais la villa, son ventre clos, ne me dit rien. Privée de son nom des Mille et Une Nuits, elle est muette.»
La ville de Nice est la Méditerranée sont les autres personnages du roman. Son titre, Le beau temps, en atteste. C’est une Nice, loin de la Nice actuelle, qu’il nous est donnée de connaître :
(en 1936) «Nice n’est pas en reste, le 3 mai, vingt-mille Niçois étaient descendus dans la rue pour fêter la victoire du rassemblement populaire et ses trois députés élus dont Virgile Barel, grand figure du communisme alors très implanté à Nice.»
L’opposition entre le Nord et le Sud est l’un des thèmes qui traversent le roman. Jaubert ne se définit-il pas lui même à Paris comme un «Ouistiti tropical», tournant en dérision ce que les Parisiens pensent des gens du Sud ?
Et Maryline Desbiolles d’abonder dans ce sens : «Je me souviens d’une amie niçoise, très brillante, à qui le jury d’agrégation avait reproché le bronzage.»
Maryline Desbiolles s’interroge, à la page 63 :
«Comment se tenir près de Jaubert et ne pas faire corps avec lui ? Comment ne pas se fondre dans ses lettres et plus encore dans sa musique sans plus ajouter un seul, un traitre mot ? Comment s’engager toute entière dans cette histoire et en même temps tenter de décoller, tenter de dégager une épaule, deux épaules, le torse, comment prendre la tangente ? En somme, comment ne pas assujettir Maurice Jaubert ? Comment ne pas en faire mon sujet ? Comment le laisser libre et, ce qui va de pair, comment rester libre moi-même ?»
Au terme de la lecture, je serai tenté de dire, moi l’humble lecteur, qu’elle y est parvenue, elle nous a restitué Maurice Jaubert, en nous permettant de mettre un nom, une histoire, sur ce musicien (relégué au second plan par des images, des acteurs, des dialogues), qui fut à l’origine de sentiments que nous avons éprouvés sans prêter attention à celui qui en était à l’origine.
Le travail musical de Maurice Jaubert m'a inspiré un quiz :
http://www.babelio.com/quiz_resultats.php?q=15722&scores=1
Lien :
http://desecrits.blog.lemond..