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Essouflé… Lorsque je lis Maryna Yzun, que ce soit dans sa poésie ou ses romans, elle m’essouffle. Elle utilise les mots, les décortique, les soupèse, cherche la phrase qui lui correspond et l’écrit vivement dans l’ordre qui lui convient le mieux. Les chapitres courts s’enchainent comme l’écriture d’un journal écrit au jour le jour, décousu, sans ordre défini, à la volée des sentiments.
Isis est peintre. Son uniforme est la couleur. Elle respire en couleur. Elle enseigne de temps à autre au musée Bourdelle. Sa vie est parsemée de petites touches, instantanées, de manière impressionniste : « Un mur blanc paraît bleu dans une certaine lumière, et à une certaine heure du soir ».
Je repense au journal tenu par le grand peintre Eugène Delacroix durant une bonne partie de sa vie. Son mal d’amour, se ressentait constamment dans ses écrits : « Je suis malheureux, je n’ai point d’amour. Ce tourment délicieux manque à mon bonheur. Je n’ai que de vains rêves qui m’agitent et ne satisfont rien du tout. J’étais si heureux de souffrir en aimant ! » Un lien très étroit existait chez lui entre la relation érotique avec ses modèles et l’expression de la création dans son art.
Isis est proche des pensées de cet artiste. En artiste, Isis « voyait la vie comme un mélange de lignes sinueuses, de constructions asymétriques, d’arabesques et de courbes naturelles ».
À la façon du peintre Alfred Sisley qui commençait toujours ses toiles par le ciel « Isis était ivre de ciel ». Un soir, elle rentre au soleil couchant : « deux ou trois traits sortaient des nuages, comme des rayons, comme s’ils dansaient avec les bras ouverts ».
Elle est jolie Isis et aime être admirée. Lorsqu’elle marche dans la ville cela se remarque : « Je suis canon, je suis drôle, intelligente, je suis moi-même ». Elle a tellement besoin d’amour : « Tout ce qu’on fait, c’est pour se faire aimer… sinon à quoi bon vivre ? ». Elle avait connu l’amour jeune avec un de ses professeurs des Beaux-Arts. Ce curieux personnage ne vivait que dans les excès. Un poète se souvenait-elle : « Ton cul est beau comme un bateau », disait-il. Ils partirent ensemble aux États-Unis et se marièrent. Les amis de son mari étaient des débauchés, drogués. Cette vie ne lui convenait pas, elle n’existait plus et le quitta un jour d’automne, l’année de ses 29 ans et de sa rencontre avec Marc.
Isis adore ce beau Marc avec lequel elle vit à Paris et qu’elle craint de perdre. « Il était si beau qu’elle avait envie de se fondre en lui ». Leur première rencontre est très charnelle : « l’amour deux jours durant, sans manger. » Ils déambulent dans Paris, les quais de la Seine, Notre-Dame, reçoivent leurs amis, voyagent. Peu à peu, une insatisfaction s’installe chez la jeune femme. Elle aime Marc mais s’ennuie. Que cherche-t-elle ? Le sait-elle vraiment ? Elle semble perdue, dépressive, au bord d’un gouffre de mélancolie, Le dialogue avec Marc est faible : « Il ne vit pas, il hiberne ! ». Elle ne le comprend pas. Elle voudrait faire des folies, n’importe quoi : « Elle se voyait marcher dans la rue, complètement nue, sans que personne ne fût choqué, en portant de gros paquets de shopping ».
Tout allait trop vite dans la tête de cette jeune femme insatiable. Elle voulait se marier, avoir des enfants. « Sa vie était une salle d’attente ». Un jour de spleen, elle s’enferme dans une église et répète : « Je déteste la pilule, mais je ne vais surtout pas mendier pour qu’il me fasse un bébé. S’il n’y avait pas cette putain de pilule, j’aurais déjà quatre enfants avec lui, tellement on baise ! ». « Peut-on être heureux à plein temps ? » s’interroge-t-elle. Marc l’aimait mais elle lui en demandait trop, il ne pouvait suivre : « sa vie avec Marc, après un éclair d’amour, redevenait amorphe. »
Le roman se termine curieusement en conte de fée. Isis s’est décidée à quitter Marc. Un grand amour arrive de façon inattendue sous la forme du beau Raphaël qu’elle rencontre sur une plage de Deauville : « Il était charmant, même s’il sentait un peu la lessive ! ». Il ne se quitte plus. Un projet de mariage et d’enfant se dessine. Le bonheur…
J’ai eu du mal à terminer la longue pérégrination d’Isis dans sa recherche amoureuse. Pas facile de suivre cette femme fragile, constamment au bord de la rupture, proche du bonheur par instant, s’en éloignant aussitôt, s’engouffrant dans des émotions : cris, pleurs, silences, désirs inavoués, excès. Le pauvre Marc ne pouvait suivre.
L’écriture de Maryna Uzun, comme dans sa poésie, reste hystérique, fantasque, mais vraie. « Mon âme ressemble à un accordéon : ça s’étire et ça se resserre et ça s’étire de nouveau ».
J’ai noté cette jolie phrase qui correspond à Isis et peut-être à Maryna :
« Isis contemplait un papillon rouge et noir. Il était si beau sous les rayons du soleil et si fragile, au milieu des pierres austères »
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