AU PIANO BIGORNEAU, roman, Maryna Uzun, Livre Actualité 2022****
Début 2023, en janvier, mois à deux visages, deux regards, vers le passé et l’avenir en embrassant le présent.
Une première page, photo en NB, le blanc flou, un peu ému, monte les marches et s’imagine que le tapis est rouge.
Amour en solfège chanté et joué, imaginé comme souvenir ou une mémoire à revenir sur la charmille de charme, comme un cygne blanc dessinant un échiquier sur la surface de l’eau.
Une fois sortie de son appartement le monde en NB prend les couleurs des mots qui s’appellent et se répondent en écho, cherchent leurs contraires et en font leur compagnons insoupçonnés en y ajoutant un « vin de syllabes » et du « miel de virgules » contre la grisaille, pour éloigner l’acidité. D’autres cherchent un bon grog de janvier « quatre pétales de « v » pour ailer ton cœur, et sept pincées de « i » pour un sourire ample… » p.10 de clown ou de petite souris.
Paris, fermé par un vilain virus, s’ouvre en loukoum pour une échappée de quelques 200 pages, et l’accueille elle une plume, lui Némorino son faon qui s’en va et revient sans crier gare, et Hap de loin et de très près, et d’autres encore, plus près qu’on ne peut soupçonner.
C’est un « alpage fabuleux » avec son herbe juteuse, il porte en lui une imagination sans haie ni portillon, follement amoureuse d’une couture arlequin aux losanges en tissu ou petites pierres, qui cache quelque chose, comme une goutte nostalgique de ce qui fut un désir, de ce qui est passion et envol le temps d’une précieuse rencontre, une fin sans fin , un après, une note égarée, un oiseau qui s’envole et puis revient son cœur à 1000 battements par seconde.
Piano bigorneau, spirale s’enroulant sur elle-même, petit coquillage vêtu d’algues qu’il emporte dans son glissando, tissées de notes et de nocturnes, de poèmes en tourbillon remplis de questions, points d’exclamation et de suspension...
Maryna, tu sculptes les mots en baisers espiègles, jongleurs, équilibristes, leur donnes les couleurs de tes rêves et les fais valser avec abandon, puis, encore gourmande de quelques jongleries improvisées tu les attires dans un « complot galant » p.19 de métamorphoses, préfixes, suffixes et métaphores. Une vraie « choucroute entremetteuse »!p.19
« Fantaisie folle, anime-moi, mes variations sur la même affre ! La Tour Eiffel changera de pattes d’eph, déchiffrera mon feuilleton, le plus quotidiennement possible, contre champagne et réveillons ! » p.20
Un livre fouilles autant qu’un livre citations et hommage en leitmotiv à la Tour Eiffel, que je connais aussi, différemment.
Et des personnages, très proches portent une mantille de fiction, de souvenirs passionnés, amers ou citron, pâtes que tu souhaites de la même trempe que toi et te désoles que ce soit autrement. Et les mots s’accumulent en enfilant la toque du juge, mais une fois l’acide épuisé je crois entrevoir des éclaircis et le joli sourire du bigorneau.
Traverser les pages, les faire tourner par une envie non apaisée, oublier de suivre ou de comprendre une ligne narrative et déguster à chaque instant les nouveaux chemins que les mots empruntent en toute liberté, l’inattendu sur un tapis volant où le rêve embrasse le brouillard et le grand sourire cajole la peine, les dangers, la menace réelle ou inventée en les laissant sur le dos d’une dame dépitée qu’un ami appelle Oclès.
« Piano sans amour dans les doigts, cela ne peut pas fonctionner » p.45, piano bigorneau, tu es vie appel et souffle, marrée d’envies, flux d’histoires qui se répètent, jamais les mêmes, jamais à personne, vagabondes, uniques, instants éphémères vécus comme éternités, les identifier ? À quoi bon ? Suis pas étonnée que tu fus une bonne élève !
Oiseau aux plumes argentées ornées de quelques gouttes, perles pêchées dans les profondeurs, ornements et fardeau, tu t’élances en flèche, plonges en apnée, danses en cercles de toupie, grimpes par deux les marches du colimaçon, prends le vertige pour compagnon, vis revis et te nourris des choses de la vie qui reviennent « en boucle » p.69 comme un bigorneau.
De temps à autre, une page photo arrive comme pour changer le tempo, elle parle doucement d’une famille de galets aux couleurs du soleil et de l’eau. Une respiration nouvelle prend place et demeure laissant tout le plaisir d’une autre respiration, celle du regard, juste de lui.
Depuis que je lis ta plume, depuis que je parle avec toi, je pense de plus en plus à un lien que tu pourrais avoir avec quelques créateurs, tous colonisés par un feu, une impatience, une force fragile qui peuvent faire beaucoup de bien, du mal aussi des fois… Ils vivent le pire et le meilleur, se tiraillent, s’écartèlent, se consument et se remplissent de joie. Chacune de tes notes, chacun de tes mots sont recherchés, fouillés, déshabillés, écorchés à vif, transformés, et de ce traitement abusif le mot et la note ressortent plus forts, grâce à leur fragilité !
« Poire succulente » ou « hétère raffiné » ? Je dirais ni l’un ni l’autre mais les deux à la fois dans une alchimie heureuse de piano bigorneau !
« l’artiste ne sort jamais de lui-même »,dit Baudelaire, p.126, et moi d’ajouter mon point d’ ?, mais bien sûr que si, et c’est mon humble avis. L’artiste regarde le monde, en est impressionné, s’en imprègne, nous le fait voir autrement, peut transformer la boue en beauté, « se tirer vers le beau au prix des orages » p.127, nous aide à nous émerveiller, à trouver une petite lumière dans notre nuit profonde, on en a tellement besoin.
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