J'ai lu, jadis, je ne sais où, dans un vieux livre, que lit moelleux rend le cul tendre et le coeur dur ...
Il y a dans le village où je vais d'abord descendre une famille ancienne, riche et solidement unie par les liens du devoir et de l’obéissance.
Elle pourrait s'opposer à mon œuvre.
Je m'attaquerai d'abord à elle. Je sèmerai la division entre le père et les fils.
Le plus jeune s'enivrera ; il sera maudit par son père ; et pour que le vieux refuse de pardonner, je le prendrai par l'orgueil qui tue la pitié.
Une femme, par son dévouement et son amour, essayera d'arracher son mari au mal, de la réconcilier avec son père, et me tiendra tête avec sa seule bonté.
Mais j'espère bien venir à bout d'elle, comme de tant d'autres, et si elle résiste à mes ruses, je l’amènerai à devenir elle-même ma proie en se donnant volontairement la mort.
Maintenant que je vous ai expliqué mes projets, je vais prendre place derrière la toile pour reparaître au bon moment.
Il y a déjà là d'autres personnages qui attendent.
L'un d'eux est un vieux paysan bavard. Il achèvera de vous raconter tout ce qu'il est nécessaire de savoir pour bien comprendre la pièce.
Je l'entends déjà qui aiguise sa faux pour me faire signe qu'il est temps de lui céder la place car il est pressé de parler....
(extrait du prologue/lever de rideau de la pièce "le diable marchand de goutte" de Maurice Pottecher représentée pour la première fois à Bussang le 1er septembre 1895)
Le prologue, sous la forme d'une femme enveloppée de voiles gris, s'élève lentement hors de terre et apparaît entre les rideaux écartés.
- Je dormais depuis des siècles, oubliée au fond de la vallée noire.
A l'heure où le soir tombe comme un manteau sur les épaules du géant d'Alsace, une voix m'a éveillée et m'a fait sortir hors de l'ombre.
Me voici. Je vais parler pour vous et évoquer le secret enseveli sous les joncs de l'étang desséché, la tragique histoire de Morteville....
(lever de rideau de "Morteville", pièce écrite et mise en scène par Maurice Pottecher à Bussang en 1896)
Quand on juge à postériori le succès de la pièce, il faut bien convenir qu'il est dû en grande partie à l'originalité du lieu scénique, mêlant l'art et la nature selon le souhait de l'auteur.
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La presse parisienne, elle aussi a rendu compte de la pièce, lui donnant un retentissement national : l'auteur, Mr Maurice Pottecher, est un jeune écrivain dont les débuts ont été fort remarqués (...) Mais épris de vie et d'action, il s'est bientôt lassé d'écrire, (...) pour le petit nombre.
Il a voulu s'adresser à la foule, il a cherché à l'émouvoir directement....
(extraits de "Un siècle de spectacle au théâtre du peuple", chapitre du volume "Au pays de Maurice Pottecher" paru aux éditions "Casterman" en 1995)
Cependant une seule critique vient assombrir cette unanimité, concernant les représentations gratuites : "ne rien demander en paiement d'une distraction, c'est traiter le Peuple comme un enfant, c'est faire la charité et, devant la charité faite à l'esprit, la dignité se révolte autant qu'en présence de la charité faite au corps.
En tous cas la logique semble interdire qu'un Théâtre dont la devise est :
"Par l'Art pour le Peuple" ait des spectacles réservés aux touristes, aux baigneurs, et d'autres réservés aux humbles.
C'est d'autant plus absurde que la fusion des classes se fait de plus en plus dans les endroits publics.
(Carl Roederer, "le Sillon", 25 septembre 1900)
Le célèbre verrier Emile Gallé - qui avait fait inscrire sur le fronton de ses ateliers la devise : "Nos racines sont au fond des bois, au bord des sources, sur les mousses" - fait cadeau au Théâtre du Peuple de la lampe brandie par Camm (lady MacBeth) dans la scène de son errance somnambule.
(extrait de "Au pays de Maurice Pottecher", volume paru aux éditions "Casterman" en 1995)
"Je ne conteste ni les bonnes intentions de cette fondation candide, ni le dévouement désintéressé de ses collaborateurs.
Seulement je me demande ce que le "Théâtre du peuple" peut faire de bon et d'utile.
Je ne le vois pas.
Pourquoi vouloir enseigner aux braves paysans l'art de bafouiller des banalités, de faire des grimaces, de se maquiller ?
Laissez-leur donc le peu de simplicité et de naturel qu'il leur reste encore.
Ça vaudra mieux".
("Charivari", 30 août 1897)
Le marchand de goutte passe la tête à travers les rideaux et s'avance sur le proscenium. Il est vêtu comme un colporteur. Un chapeau aux larges bords couvre ses cheveux roux ; il porte au côté, suspendu en bandoulière, un tonnelet de bois.
-. Bon ! Me voilà encore une fois passé.
Les douaniers peuvent courir après moi. S'ils savaient comme ils perdent leur peine.
(Il rit).
Nous venons vous offrir un spectacle tout nouveau, qui n'a point encore été vu autre part ; et je me vante de bien connaître le monde, pour en avoir fait plus d'une fois le tour avec mon pied boiteux.
Vous ne me connaissez pas sous ce costume d'emprunt ?
Vous apprendrez mon nom à la fin de la pièce.
Tant mieux pour vous si nous n'avons jamais d'autres rapports !....
(extrait du prologue/lever de rideau de la pièce "le diable marchand de goutte" de Maurice Pottecher représentée pour la première fois à Bussang le 1er septembre 1895)
Le succès populaire ne se dément pas, sans doute parce que Maurice Pottecher exhorte ses acteurs à ne pas déclamer, mais à parler avec le naturel qui caractérise la sincérité : "les rôles sont choisis suivant leurs aptitudes, leur naturel, leur sincérité d'art.
Ils ne se préoccupent pas de faire des artistes, mais de rendre avec conviction ce qu'ils ressentent de leur rôle dans la pièce, faite pour eux.
Les acteurs sont des habitants de Bussang et des environs : industriels, médecins, ouvriers d'usine, ouvriers des champs...On trouve toutes les professions de la contrée en cette troupe très dévouée et très disciplinée....
(extrait de "Un siècle de spectacle au théâtre du peuple", chapitre du volume "Au pays de Maurice Pottecher" paru aux éditions "Casterman" en 1995)
Le château magique, construit par les génies, forces primitives de la montagne, est édifié sur des souterrains qui pourront tenter un jour la curiosité de quelques chercheurs.
Mais il n'est pas utile que la foule y accède et s'y promène ; elle risquerait de s'égarer dans une ombre au fond de laquelle ses yeux ne sauraient pas découvrir la clarté dont elle a besoin pour accepter allègrement le songe souvent tourmenté de l'art et de la vie ...