Nicolas Carreau

« Un jour, un homme perd l'un de ses boutons de manchette en diamant dans l'océan, et vingt ans plus tard, jour pour jour, un vendredi, à la table d'un restaurant, cet homme commande un poisson. Il l'ouvre - mais ne trouve aucun bouton de manchette à l'intérieur. C'est ce que j'aime dans les coïncidences. »

Vladimir NABOKOV, Laughter in the dark.

Traduit de l'anglais par Nicolas Carreau.

La plupart des gens tentent par tous les moyens de se distinguer de leurs semblables. Henri Reille, lui, s'ingéniait à ne se différencier en rien de quiconque. Il était d'une incroyable banalité et d'une modération excessive, ce qui le rendait paradoxalement fort singulier.

Il ne suivait pas les modes, mais essayait tout de même de ne pas trop s'en écarter. Surtout ne pas être le premier, mais pas le dernier non plus. Ne pas se faire remarquer, passer inaperçu, c'était la seule chose en laquelle il excellait. Sinon, il était moyen en tout. Il ne suscitait jamais une admiration particulière et ne décevait pas non plus. Si l'on avait demandé un avis objectif sur lui à l'un ou l'autre de ses collègues, il aurait haussé les épaules sans savoir quoi ajouter.

Clémentine Célarié

La visite commence mal. Nous avons rendez-vous chez Clémentine Célarié dans la cour d'un petit immeuble parisien. Elle habite une maison minuscule. Elle nous y accueille, mais je ne vous pas de livres, juste une petite bibliothèque dans l'entrée. La comédienne nous prévient tout de suite que ses livres sont en haut mais qu'on ne peut pas monter à cause de l'incroyable bazar qui y règne. Déception. Mais elle a quand même pris la peine de descendre une vingtaine de ses livres préférés. Heureusement, l'accès à l'étage ne nous sera pas interdit trop longtemps...

Bonjour Clémentine Célarié. Merci de nous recevoir. On est à Paris, dans une petite maison, c'est fou ça... Une toute petite maison.

Bonjour... Une petite maison, mais une maison quand même ! Elle est toute en hauteur. Je l'ai choisie parce qu'elle a une cave. Et moi j'ai des enfants, surtout un qui fait de la musique, du jazz... Il fallait une cave, pour qu'il répète.

Par la vitre sale de la guimbarde, rien de familier. Il ne reconnaissait rien. Le paysage ne ressemblait nullement à l’idée qu’il se faisait de l’Amérique du Sud, mais il en avait certes une image assez caricaturale. Il aurait donner cher pour voir ne serait-ce que l’Inter U de Belprat.

"Trop Intime". Lorsque j'ai commencé à proposer aux gens d'aller fouiller dans leurs bibliothèques, on m'a régulièrement opposé cette réponse : c'est trop intime, une bibliothèque. Ca l'est, c'est vrai, si l'on cherche vraiment. Mais c'est aussi une démonstration sociale. D'ailleurs, la plupart du temps, cette "intimité" est exposée au vu et au su de tous : dans le salon. Alors, bien sûr, on place en première ligne les Pléiades, les livres anciens, les grands classiques. On pose les livres d'art à plat et en piles sur la table basse. Les romans de gare et les collections bas de gamme sont peu cachés. Et alors ? Premier indice sur le propriétaire : il accorde de l'importance aux livres et à la littérature. Peut-être n'est-ce qu'un vernis social, une mascarade culturelle, mais au moins les livres sont là.

Une bibliothèque, c'est un sanctuaire et un confessionnal, un palis des découvertes, un magasin de souvenirs, une école, une salle de jeux, un sous-bois, une rue passante..
Chez moi, la bibliothèque est un foutoir.

Préface de François Morel

Une bibliothèque, c'est un bistrot. Blondin est au comptoir, Verlaine à l'absinthe et Jean-Claude Carrière, dans un coin, revit son enfance devant un verre de vin bourru.
Une bibliothèque, c'est un théâtre, une salle des fêtes, un music-hall.

Une bibliothèque, c'est une carte du monde mais à la géographie inopinée: l'Ecosse côtoie la Suisse, l'Inde s'étend tout le long du canal du Midi.

Préface de François Morel

J'aime bien les mélanges. Voici un essai sur l'Etat islamique à côté de l'autobiographie de Mark Twain...
[Jul]

Le capitaine Mike, un Américain, l'accueillit à son bord, en soulignant que Julie avait eu de la chance qu'il soit tombé par hasard sur cette anse, au moment où il devait opérer quelques réparations. La petite île n'était pas répertoriée, et elle aurait pu attendre des années avant qu'un bateau ne passe. Ce à quoi elle répondit qu'elle le remerciait vivement, mais qu'il n'y avait pas de raison que les naufragés abordent toujours l'île déserte longtemps avant l'arrivée d'un navire providentiel. Statistiquement, il en fallait bien quelques-uns qui se retrouvent là concomitamment.

Une lueur d'espoir déçue vous plonge dans un désespoir un peu plus profond encore.

J’aimerais que nous ne nous posions que deux questions, mais tous les jours et tout le temps, jusqu’à en percer le mystère : que faisons-nous là ? Et pourquoi tout finira ?

L’ordinaire n’a pas de voix. Qui écoute-t-on ? Le type qui revient du monde en pédalo ou le plombier après une journée de travail ? Le héros, c’est le spectacle, c’est tout. Et pourtant, lequel a le plus œuvré ? Et pourtant, Dieu sait que tout ce manège, ce défilé permanent, cette plaisanterie trop longue, cette fête sans fin, ce divertissement grotesque… Tout ça n’a aucun intérêt.

Le simple fait qu’il soit dehors passé minuit était suspect. Jamais il n’était rentré aussi tard, hormis les vendredis. Elle poserait des questions. Quand on découvrirait le corps le lendemain, elle ferait immédiatement le rapprochement et le dénoncerait sans aucun état d’âme.

C’était le grand avantage de sa situation de célibataire fortuné. Il se levait un jour à l’autre bout de la planète et l’envie d’une bière sur la terrasse du Cheval Blanc avec son ami Henri se rappelait à lui. Alors, il quittait son hôtel, hélait un taxi, grimpait dans un avion et rentrait à Belprat séance tenante.
Belprat, pourtant, considéré avec objectivité, était somme toute assez banal. Henri en était d’ailleurs la plus parfaite incarnation. La ville n’avait pas les charmes d’une contrée lointaine, quoique l’on puisse imaginer qu’un natif de l’Arkansas ou du Botswana pourrait trouver le lieu bien exotique.

 

C’est une chasse au trésor qui recommence inlassablement et dans laquelle les chercheurs ne sont jamais satisfaits du magot découvert. Dans ce jeu incessant, on renverse le plateau à chaque nouvelle partie et on s’émerveille devant une fin nouvelle.

McVey les avait prévenus : ces gens-là ne toléraient pas de témoins, et il y avait fort à parier qu’ils seraient exécutés dans la journée. Même si ses connaissances en matière de cartels mexicains se bornaient à des informations glanées dans cinq séries et trois films américains, Henri avait admis cette possibilité….

Ce simple contact le rasséréna. Comme s’il détenait un talisman magique, la lampe du génie, une amulette sacrée, il décida que c’était là sa solution. La plus petite étincelle, dans les ténèbres du désespoir, se transforme en un phare, un mirage sans doute, mais une raison d’y croire.

Henri s’était souvent fait la réflexion que sa femme ferait une piètre héroïne de roman, tant elle était dénuée de l’ambiguïté qui fait la profondeur psychologique nécessaire à un bon personnage. Mais elle faisait l’affaire dans le tableau de sa vie et lui permettait d’afficher un statut parfaitement en règle avec les convenances. Une seule fois, l’idée de briser son couple l’avait effleuré.

On ne croirait jamais à un accident. Mais quoi ? S’il partait, il se lançait dans une cavale pour le reste de sa vie, perclus de terreur à l’idée d’être découvert, changeant constamment d’identité, de ville, de pays. Fuir ? Mais pour aller où ? Sans argent, sans papiers ? Henri tremblait, pleurait même un peu, de panique.

Il fit mentalement la liste de ses options. Elle était courte. Appeler les secours ? À quoi bon ? Il fallait se livrer à la police. Tant pis. Il expliquerait. C’était un accident, bon Dieu. Un bon avocat lui éviterait la prison à vie. Il y passerait quelques décennies mais sortirait à cinquante ans, il lui resterait quand même encore de belles années devant lui. Et cette fois, il s’en tiendrait à sa conduite, loin des problèmes. Pour de bon.