Après avoir effleuré la vie du Divin Marquis dans le Valet de Sade, Nikolaj Frobenius revient à la biographie romancée avec une autre sombre figure, tel que du moins la postérité le peint : Edgar Allan Poe. Face au poète miséreux, éternellement en quête de la gloire à laquelle il sait avoir droit, deux hommes, deux lecteurs : Rufus Griswold, pasteur manqué, anthologiste amer qui voue une haine farouche à ce mécréant de Poe mais l’accompagnera pourtant toute sa vie, et Samuel Reynolds, l’esclave albinos fasciné par le Maître, confondant littérature et réalité de la plus horrible façon.
De façon assez classique, l’auteur entrelace la biographie communément admise de Poe (la mort de ses parents comédiens, son adoption puis son rejet par un riche marchand du sud, son mariage avec sa cousine de 14 ans, ses phases d’alcoolismes, ses succès et ses revers incessants, sa pauvreté chronique et sa mort misérable autant que mystérieuse dans un caniveau de Baltimore) et ses nouvelles. « Bérénice », « L’Étrange cas de M. Valdemar » et « Double assassinat rue Morgue » sont parties prenantes de l’histoire, puisque le contrefait Reynolds se met en tête d’accomplir les meurtres fictifs pour offrir gloire et reconnaissance à Poe.
Les articles de Griswold ont durablement installé la vision d’un Edgar Poe alcoolique et brutal, impie, séducteur et fat, mort de ses travers, gloire à Dieu. Au rebours, Frobenius dessine un Edgar Poe tout en douceur, en souffrance, en faiblesses bien humaines, qui se définit comme « un incorrigible optimiste », persuadé que la chance finira de tourner, qu’il arrêtera de crever de faim et de regarder mourir sa femme, parce qu’il le mérite. Et il le mérite, c’est bien là le drame. Le drame d’Edgar Poe est de connaître sa valeur, de savoir depuis l’âge de 15 ans qu’il écrit mieux et plus juste que la plupart de ses colitttérateurs, qu’il n’est pas un monstre, mais qu’il est faible. Faible devant les flatteurs, faible devant la bouteille – beaucoup moins, semble-t-il, qu’on a voulu le faire croire. Poe, homme du sud, gentleman aux manières délicates et à l’esprit acéré, se heurtera longtemps aux rudes yankees. Un homme qui ne trouve pas sa place et la cherche avec un désespoir qui fait peine à lire. Attachant, parfois crédule – car il faut rêver très haut pour tomber dans des abîmes aussi profonds.
Au final, un roman assez sobre sur une vie gâchée, que l’ « élévation » finale rembourse à peine. On pourrait croire que la bêtise et l’étroitesse d’esprit remportent la mise. Mais qui se souvient de Rufus Griswold ?
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