Citations de Olivier Germain-Thomas (59)
Le vide si important pour les cultures indienne, chinoise et japonaise, est reçu de travers chez nous. En remontant on retrouve le latin vacuus, "libre" et "vacant". Etre vide est un état de disponibilité, d'attente, état poétique sans colle aux pieds. C'est un état fragile à la merci de la moindre distraction. Soyons vacant, nous saisirons le murmure des choses.
En Inde, rien n'est jamais clos, ni les réincarnations des dieux, ni les légendes, ni la nature, ni un poème, ni une croyance, ni une maison, ni une famille. Jamais de limites, de cadres ou de point final. C'est une des raisons de son exceptionnelle capacité d'absorption.
Si les indiens dorment si facilement même au milieu des fifres de la fête, comme ce jeune homme allongé quasi nu sur un muretin, c'est qu'ils ignorent l'inquiétude; ils font confiance à la vie. De notre côté, nous leur apportons les bienfaits de notre civilisation névrosé sur laquelle ils se jettent à corps perdu.
Pendant des années on s'est évertué à m'apprendre à devenir un intellectuel. Tout mon effort est maintenant à le désapprendre. Ce n'est pas forcément du gâchis.
Comprendre l'Inde ? Une des méthodes [...] consiste à regarder un escalier en spirale après avoir bu trois whiskies. Ensuite on se demande : que veut dire comprendre l'Inde ?
Pour moi, l'écriture du voyage est un art du multiple. Rester au plus près du vécu tout en y mêlant des souvenirs, des contes, des rêves, une philosophie incarnée. L'écriture du voyage traduit l'amplitude de la vie.
Je continue à me croire chez moi, mais avec un sourire. Je sais que le fossé ne sera jamais comblé. L’amour propose une semblable énigme. Seuls les mystiques comblent les fossés. Comment? On se tait.
(…)
Le plus difficile: penser hors de toute trace. Les traces sont fallacieuses: on tire à elles chaque fait nouveau. Penser dans le blanc.
Dans le compartiment, un marchand de saris qui vient de se fournir à Bénarès m'interroge sur ma famille, mon métier, mon voyage. Il manifeste une totale indifférence quand j'évoque le périple vers lequel ce train me conduit. Il faut se lever tôt pour étonner un Indien. Disons, être levé depuis quatre mille ans.
Le Merapi est le feu de la mort; il devient source de vie quand ses entrailles fertilisent les plaines qui se couvrent de vert.
On se remet d'une trahison, jamais d'une déception que l'on s'inspire.
De retour à Venise, il sait que sa mission est maintenant d'aider ses compatriotes à prendre connaissance des réalités qui existent de l'autre côté du monde. Il y est poussé par le désir d'aider les commerçants et par la mission politique confiée par la papauté.
" Le diable est l'ombre de l'ange". Ce constat apaise. L'angoisse provient d'un désir sans espoir. Plus de désir, plus de névrose. Nous voici au cœur du bouddhisme.
Que fuit-elle ? Que cherche-t-elle ? Son corps en prière redevient un corps interdit. Leurs deux respirations s’unissent enveloppées par la nuit. Voici que le souffle de Sanjana semble quitter son corps, devenir la terre si noire, l’espace, les murmures sous les feuilles, les souffles, la chouette, les étoiles, les autres mondes… La vie veut-elle qu’ils s’aiment ?
L'âme est le génie de la vie, sa part de ciel. La déchéance de l'époque n'est pas celle des moeurs, elle est d'avoir enfermé l'âme dans une cage.
Voyager
pour retrouver les yeux de l'enfant.
Pour apprendre à être confiant et méfiant, généreux et avare, dynamique et dilettante.
Pour, au retour, être interloqué par le ciel habituel.
Pour se demander où le présent disparaît quand, dans un train, dos au mouvement, on voit partir le paysage.
Pour avoir un livre d'images avec soi si on est un jour aux mains des rebelles.
Pour apprendre à jouer avec l'enfant des favelas.
Pour apprendre à parler avec les mains.
Pour revenir.
Pour savoir que personne n'est le centre du monde et qu'on ne peut jamais aller au bout du monde.
Pour apprendre que la terre est plate, qu'elle parle notre langue, qu'elle est fâchée contre l'homme.
Pour rencontrer des yeux qui regardent le ciel comme nous le faisions il y a mille ans.
Qui cherche l'universel le trouve devant l'océan.
"Je n'ai pas révélé la moitié de ce que j'ai vu, car je savais que l'on ne me croirait pas".
Marco Polo est de Venise comme la soie est de Chine.
Eric Lacharrière était seul quand il se réveilla dans la forête d'eucalyptus. Il n'en fut pas étonné, Cercle d'Eau l'ayant habitué à bien des incohérences. Il est allé chercher un mari pour une demoiselle perroquet, se dit-il.
Dans chaque lieu, avec patience et mots de passe, dès que nous grattions, nous rencontrions le monde des Esprits, le chamanisme, si vivace et si opératif. Dans ce pays lisse et poli, chaque soir des rituels font revenir les morts, abolissant une frontière qui est peut-être une construction mentale. L’usage des morts est une leçon de bon sens tant le séjour de l’autre côté remet à leur place les passions qui nous aveuglent.