Citations de Paul-Henri Thiry d`Holbach (57)
Les peuples ingrats ne sentent point toute l’étendue des obligations qu’ils ont à ces grands généreux, qui, pour tenir leur Souverain en belle humeur, se dévouent à l’ennui, se sacrifient à ses caprices, lui immolent continuellement leur honneur, leur probité, leur amour-propre, leur honte et leurs remords ; ces imbéciles ne sentent donc point le prix de tous ces sacrifices ?
L’homme de Cour est sans contredit la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés. Un philosophe danois compare le courtisan à la statue composée de matières très-différentes que Nabuchodonosor vit en songe. « La tête du courtisan est, dit il, de verre, ses cheveux sont d’or, ses mains sont de poix-résine, son corps est de plâtre, son cœur est moitié de fer et moitié de boue, ses pieds sont de paille, et son sang est un composé d’eau et de vif-argent. »
ÉDUCATION CHRÉTIENNE
Elle consiste à faire contracter dès l’enfance aux petits chrétiens l’habitude salutaire de déraisonner, de croire tout ce qu’on leur dit, de haïr tous ceux qui ne croient pas ce qu’ils croient. Le tout pour former à l’État des citoyens biens sensés, bien raisonnables, bien tranquilles, et surtout bien soumis au clergé.
Les dévots et les sages n’ont pu vaincre l’amour-propre ; l’orgueil semble très compatible avec la dévotion et la philosophie. C’est au seul courtisan qu’il est réservé de triompher de lui-même et de remporter une victoire complète sur les sentiments de son cœur.
Un bon courtisan ne doit jamais avoir d’avis, il ne doit avoir que celui de son maître ou du ministre, et sa sagacité doit toujours le lui faire pressentir ; ce qui suppose une expérience consommée et une connaissance profonde du cœur humain
« Si quelque chose semble devoir rabaisser l’homme au-dessous de la bête, c’est sans doute la guerre. Les
lions et les tigres ne combattent que pour satisfaire leur faim; l’homme est le seul animal qui, de gaieté de
coeur et sans cause, vole à la destruction de ses semblables, et se félicite d’en avoir beaucoup exterminé. »
IMMATÉRIEL
C’est ce qui n’est point matériel, ou ce qui est spirituel. Si vous voulez quelque chose de plus, adressez-vous à votre curé, qui vous prouvera que Dieu est immatériel, que votre âme est immatérielle. Si votre esprit trop matériel n’y comprend rien, attendez que la foi vous vienne, ou craignez que votre esprit bouché ne soit un jour matériellement ou spirituellement grillé pour avoir été trop matériel.
Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que plus ces notions se contredisent et choquent le bon sens, plus le vulgaire les révère, parce qu’il croit opiniâtrement ce que les Prophètes en ont dit, quoique ces visionnaires ne fussent parmi les Hébreux que ce qu’étaient les augures et les devins chez les Païens.
Si nous examinons les choses sous ce point de vue, nous verrons que, de tous les arts, le plus difficile est celui de ramper.
Un boudeur, un homme qui a de l’humeur ou de la susceptibilité ne saurait réussir.
La vérité est ordinairement trop mal accueillie des princes et des grands, pour séjourner longtemps dans les cours.
Nous voyons souvent des hommes corrompus se détromper des préjugés religieux dont leur esprit a senti la futilité, en conclure très imprudemment que la morale n’a point de fondements plus réels que la religion ; ils s’imaginent que celle-ci une fois bannie, il n’existe plus de devoirs pour eux, et qu’ils peuvent dès lors se livrer à toutes sortes d’excès.
Une Nation (...) peu contente d'avoir satisfait ses besoins réels par un commerce étendu, s'occupe à en inventer de fictifs et de surnaturels : la satiété l'endort ; le changement lui devient nécessaire ; la langueur et l'ennui, bourreaux assidus de l'opulence, suivent les besoins satisfaits : pour tirer les riches de cette léthargie, l'industrie est forcée d'imaginer à tout moment de nouvelles façons de sentir : les plaisirs se multiplient ; la nouveauté, la rareté, la bizarrerie ont seules le pouvoir de réveiller des êtres pour qui les plaisirs simples sont devenus insipides. Tout se change en fiction ; le luxe comme la féerie ne fait naître que des fantômes : des imaginations malades ne se soulagent que par des remèdes imaginaires. L'avidité, le désir d'acquérir des richesses, afin de les étaler et de les dissiper, sont les passions épidémiques : personne n'est content de ce qu'il a, chacun est envieux de ce que possèdent les autres ; personne ne peut-être heureux, à force de vouloir le paraître.
Un bon courtisan ne doit jamais avoir d'avis, il ne doit avoir que celui de son maître ou du ministre, et sa sagacité doit toujours le lui faire pressentir; ce qui suppose une expérience consommée et une connaissance profonde du cœur humain. Un bon courtisan ne doit jamais avoir raison, il ne lui est point permis d'avoir plus d'esprit que son maître ou que le distributeur de ses grâces, il doit bien savoir que le Souverain et l'homme en place ne peuvent jamais se tromper.
Abnégation
Vertu chrétienne qui est l’effet d’une grâce surnaturelle ; elle consiste à se haïr soi-même, à détester le plaisir, à craindre comme la peste tout ce qui nous est agréable ; ce qui devient très facile pour peu qu’on ait une dose de grâce efficace ou suffisante pour entrer en démence.
DOCTRINE
C’est ce que tout bon chrétien doit croire sous peine d’être brûlé, soit dans ce monde soit dans l’autre. Les dogmes de la religion sont des décrets immuables de Dieu, qui ne peut changer d’avis que quand l’Église en change.
C'est pour s'être reposés de l'éducation sur les prêtres enthousiastes et fanatiques que les princes chrétiens n'ont, dans leurs Etats, que des superstitieux que n'ont d'autre vertu qu'une foi aveugle, un zèle emporté, une soumission peu raisonnée à des cérémonies puériles…
" Le maréchal de D. disait à Louis XIV: " Je conçois bien que Votre Majesté trouve un confesseur qui, pour avoir du crédit, lui donne l'absolution; mais je ne conçois pas comment le Père Tellier trouve quelqu'un pour l'absoudre lui-même".
Très peu de gens dans le monde auraient un dieu si l'on eût pas pris soin de le leur donner. [ T. I, §32 ]
Quelque force d’esprit que l’on ait, quelqu’encuirassée que soit la conscience par l’habitude de mépriser la vertu et de fouler aux pieds la probité, les hommes ordinaires ont toujours infiniment de peine à étouffer dans leur cœur le cri de la raison. Il n’y a guère que le courtisan qui parvienne à réduire cette voix importune au silence ; lui seul est capable d’un aussi noble effort.