Citations de Pierre Guyotat (74)
Que le ciel et la terre se transforment au-dessus de ma tête et sous mes pieds. Je pense alors que travailler dehors, c’est éviter le retour de la dépression.
J’ai une pomme, d’Orléans, dans ce sac, j’ai faim mais je n’ose manger de peur de déranger l’ordre qui se réinstalle en moi ; je voudrais veiller avec cette délivrance incertaine dans la poitrine, pour l’y retenir, mais la faim me réendort.
Un débat entre littérature et vie, oui, peut-être, mais pas entre ce que moi j’écris et la vie ; parce que c’est la vie, ce que je fais.
Entre deux manèges, contre un jardin abandonné, une baraque de planches, de tôles, de peaux ; dedans, un étal de boucher [...] où est attachée une fille nue, excepté une sorte de pagne décoloré entre les cuisses : suspendu au-dessus de la fille, un écriteau:
-- Elle a deux sexes.
Tout le jour, les hommes, des poissonniers, des maçons, des mécanos, viennent soulever le pagne, toucher le double sexe, y mettre le doigt, puis ils glissent une pièce entre les cuisses la fille, rabattent le morceau de toile et sortent dans le soleil, le sexe durci. Le pagne est humide de fiel et de ciment frais, des écailles de poisson y sont collées, le cambouis, la graisse l'ont noirci. La fille gémit doucement [...]
Notre vie était une continuelle invention de plaisirs nouveaux
Moi je ne veux rien que vivre
Et je traverserai la vie sur un cheval
J'ai suivi un ordre chronologique, ce qui me paraît naturel lorsqu'il s'agit de la langue: la langue est tout à fait mêlée à l'histoire. J'ai fait partir la langue française d'assez loin. J'ai été amené à lire des auteurs comme Tacite, tout en considérant aussi les autres civilisations, la civilisation chinoise entre autres. J'ai donné quelques fondements de cette langue, qui s'est formée entre le IXème et le XVIème siècle et dans laquelle nous vivons encore aujourd'hui, je ne sais pas pour combien de temps... J'étais donc obligé de fonder cette langue dans la langue latine. La langue latine, on la connaît, elle est bien identifiée. Je l'ai moi-même étudiée. On appelait cela, à l'époque où je faisais mes études, les humanités. On apprenait le latin, le grec. C'était un enseignement qui était assez proche de l'enseignement qui avait pu être donné cinquante, cent ans avant, et même du temps de Saint-Simon, dont je vais vous parler aujourd'hui.(etc etc)
Les idéologues, ce sont ceux qui ne font pas de phrases interrogatives. Ceux dont le discours se plie à la logique de brièveté, de simplification extrême et d'infantilisation des médias.
(dans une interview pour Télérama n°3138)
Cette langue dépasse mes pauvres forces; elle va plus vite que ma pauvre volonté. Elle me scandalise, me fait rougir, à d'autres moment rire, non d'une langue de fou, mais d'artiste trop fort pour l'être, humain, que je suis encore
Toute ma joie de vivre se tient dans cette tension et ce va-et-vient, ce jeu intérieur entre un mal que je sais depuis l’enfance être celui de tous les humains à la fois, à savoir de n’être que cela, humain dans un monde minéral, végétal, animal, divin, et une guérison dont personne ne voudrait, qui me priverait, en cas de réussite, de tout courage, de tout désir, de tout plaisir d’aller toujours au delà; en avant - et dont par intérêt bien compris depuis longtemps, je ne veux pas
tremblant de tous mes os presque à cru maintenant.....
dans un village, où un surcroît d’épouvante m’a fait arrêter et descendre du car, m’asseoir sur un banc au milieu de la place centrale et de son cercle de réverbères voilés d’insectes, les voici qui bondissent de toutes les avenues convergentes
Dans ce printemps qui ne l’est que pour les autres, le mot me déchire, d’autant que par moment, dans cette saison cruelle, je fais effort pour donner à ce que je vis, sinon un sens, du moins, pour moi-même, seul, pour ma conscience, une image un peu noble, et ainsi je m’efforce de hausser, d’élever ma détresse irrespectable à celle de Job, et je me vois plutôt sur son fumier que sur la couche d’un malade ordinaire auquel l’adjectif grabataire renvoie ; autant le substantif est beau, autant l’adjectif est laid. Pour moi, qui connais la valeur des mots, cette adjectivation est une réduction de ma souffrance d’alors, sa régulation, sa normalité hospitalière
Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l'autre.