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Citations de Pierre Guyotat (74)


Pierre Guyotat
A propos de sa réanimation (entretien France Culture 2010)
Témoignage de ce territoire entre vie et mort :

C'est terrible, vous êtes écartelé, quand vous sortez de là, vous êtes damné, vous avez encore un aspect humain, presque rien ne reste. Vous avez envie de partir, vous ne pouvez plus dire "je" et pourtant il faut revenir et tout reprendre. Il faut replonger là-dedans, dans l'affect, alors que vous êtes dans un monde qui risque de devenir agréable, détaché...
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Vous, hommes libres, vous aimez boire le sang, et recevoir la semence des esclaves ; alors, pénétrés jusqu'au fond de l'âme, par un feu ancien : la liberté par soumission aux forces du ciel, frissonnants, glacés par votre solitude, à ces esclaves couchés contre vous insensibles aux forces de la terre, dans leur flanc, vous injectez votre semence empoisonnée.
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Les soldats, casqués, jambes ouvertes, foulent muscles retenus, les nouveau-nés emmaillotés dans les châles écarlates, violets : les bébés roulent hors des bras des femmes accroupies sur les tôles mitraillées des GMC ; le chauffeur repousse avec son poing libre une chèvre projetée dans la cabine ; au col Ferkous, une section du RIMa traverse la piste ; les soldats sautent hors des camions ; ceux du RIMa se couchent contre les pneus criblés de silex, d'épines, dénudent le haut de leur corps ombragé par le garde-boue ; les femmes bercent les bébés contre leurs seins...
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Dans le couloir, les vivants triturent les dépouilles.
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...mes yeux renversés au-dessus de moi, une forme parfumée se penche sur ma face, d'elle, étoffe et chair, sort un sein, des mots que je ne détache pas les uns des autres chantent, plus haut ; un téton aréolé de gris-rouge approche mes lèvres, des veinules bleues palpitent sur le globe du sein, j'y flaire l'odeur du lait...
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Après la clinique, c'est l'entrée dans la dépression douce, la guérison lente : la récompense de cette traversée de la mort, c'est, au lieu du palais enchanté que l'on croit avoir gagné à la sueur de son sang mort, un monde désenchanté, sans relief ni couleur notables, des regards ternes qui ne vous voient plus, des voix toujours adressées à d'autres que vous qui revenez de trop loin, une obligation quotidienne à survivre, un cœur qui ne fait passer que du sang, et du sang qui ne chauffe plus. Il faut attendre. S'appliquer à se nourrir, à dormir, à se laver, à se vêtir, à marcher...
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J'écris sur une feuille de carnet - mais n'est-ce pas plutôt un dessin, un signe, une formule que de l'écrit ? Les lignes se chevauchent, se brouillent comme des simultanéités d'un temps de pensée, j'ai à ce moment la sensation que tout ce que j'écris c'est de la cendre et qu'inclinant la page cette cendre glisse avec son sens - cette supplication que j'enfouis sous le gravier.
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Dehors, nuit , neige et silence, sauf le torrent divin qui fait tinter la glace : les instruments du lavement brillent encore sur le plancher dans un angle de la chambre. Notre mère pose sa main réchauffer au bol sur mon ventre douloureux ; des voix éclatent sur le quai : notre mère, son pouls, à la jointure du poignet et du bras, accélère ; le claquement des portières rend un son autre que celui qu'on entend aux voitures civiles, ces voix se renforce il se précipite avec les poussées de force du torrent, de mon oreille à mes entrailles : la langue du diable dans celle, glacée, de Dieu le Père.
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C'est par le récit de la tour de Babel et l'écho de quelques voisins allemandes que je comprends que d'autres parles d'autres langues, et qu'il y a beaucoup d'autres d'humains que nous
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« …sous le surplomb du roc, les soldats soufflent sur un feu de branches dressé sur la bouche ouverte d’une femme morte […] ; je frotte ma poitrine à la toison de son sexe, une alouette y est prise ; à son cri, chaque fois que ma poitrine pèse sur le corps, jaillissent des larmes sur mes yeux ; un sang chaud ruisselle hors de mes oreilles ; la pluie d’excréments éclabousse le rocher ; les sangs, dans la vasque, brûlent, bouillonnent ; un jeune rebelle, ses pieds nus enduits de poudre d’onyx, ses lèvres de farine, sort de terre, se penche sur la vasque, plonge sa tête, ses poings […] ; au camp, les femmes pèsent sur les barrières, le sexe des soldats se tend vers leurs mères, venues de métropole, sur ordre de l’État-major, pour les Fêtes du Servage ; ma mère, je l’emporte dans ma chambrée de bambou, je la couche sur la litière de paille empoisonnée ; tête, épaules plongées sous sa robe, je mange les fruits, les beignets d’antilope sur son sexe tanné tandis qu’elle, fatiguée par le voyage en cale, en benne, s’endort ; à l’aurore, elle s’est échappée de dessous mon corps ; étreinte par les soldats sous le mirador où je veille éjaculant, leurs genoux la renversent sur le sable… »
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« /le mirador surplombe la palmeraie calcinée ; la sentinelle peuhl, iris jaune glissant sur le globe bleu, laine crânienne ensuée, bascule le projecteur : le faisceau fouaille les chairs ensuées des soldats arc-boutés sur la femme ; la sentinelle broie son membre dans son poing, tourne le projecteur : le faisceau traverse le lit asséché de l’oued, saisit une vibration, sous le zéphir, des lauriers-roses empoussiérés : une troupe de chacals y déchire une charogne d’âne […] ; la sentinelle roule le projecteur sur le châssis, le faisceau arde les seins qui palpitent, pubescents, semés de sucre sous les pans encrassés du treillis […] ; la sentinelle, du poing, fait pivoter le projecteur vers la stratosphère… »
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« / Les soldats, casqués, jambes ouvertes, foulent, muscles retenus, les nouveaux-nés emmaillotés dans les châles écarlates, violets : les bébés roulent hors des bras des femmes accroupies sur les tôles mitraillées des G.M.C. ; le chauffeur repousse avec son poing libre une chèvre projetée dans la cabine ; / au col Ferkous, une section du RIMA traverse la piste ; les soldats sautent hors des camions ; ceux du RIMA se couchent sur la caillasse, la tête appuyée contre les pneus criblés de silex, d’épines, dénudent le haut de leur corps ombragé par le garde-boue ; les femmes bercent les bébés contre leurs seins : le mouvement de bercée remue renforcés par la sueur de l’incendie les parfums dont leurs haillons, leurs poils, leurs chairs sont imprégnés : huile, girofle, henné, beurre, indigo, soufre d’antimoine — au bas du Ferkous, sous l’éperon chargé de cèdres calcinés, orge, blé, ruchers, tombes, buvette, école, gaddous, figuiers, mechtas, murets tapissés d’écoulements de cervelle, vergers rubescents, palmiers, dilatés par le feu, éclatent : fleurs, pollen, épis, brins, papiers, étoffes maculées de lait, de merde, de sang, écorces, plumes, soulevés, ondulent, rejetés de brasier à brasier par le vent qui arrache le feu, de terre ; les soldats assoupis se redressent, hument les pans de la bâche, appuient leurs joues marquées de pleurs séchés contre les ridelles surchauffées, frottent leur sexe aux pneus empoussiérés ; creusant leurs joues, salivent sur le bois peint ; ceux des camions, descendus dans un gué sec, coupent des lauriers-roses, le lait des tiges se mêle sur les lames de leurs couteaux au sang des adolescents éventrés par eux contre la paroi centrale de la carrière d’onyx ; les soldats taillent, arrachent les plants, les déracinent avec leurs souliers cloutés d’autres shootent, déhanchés : excréments de chameaux, grenades, charognes d’aigles ;[…] »
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J'ai appris qu'il nous faut connaître intimement une humiliation et un doute profonds ; sinon, nous vivons sans avoir fait l'expérience ou ressenti quoi que ce soit.
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Je passais tout mon temps à vivre mon texte. Il était difficile de résister non pas au désir de me suicider mais à la vision du suicide. En 1981, j'ai eu besoin de me confronter à ce qu'il y a de l'autre côté du suicide.
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Refusant toute classe de gymnastique et tout jeu de ballon, je passe beaucoup de temps dans les latrines du préau, le temps du moins que le cours s'épuise : j'ai tout loisir alors, dans la tension, de lire, de dessiner, de sentir et de regarder les excréments, la coulée de ceux qui m'ont précédé - la forme des étrons c'est la forme des culs -, les virgules de merde et les vers qui se tordent sur les murs, l'excitation des mouches, et j'y ressens beaucoup mieux mon corps, dans ce à quoi il est promis, sexe - et si par une œuvre il devenait public ? - et mort. Plutôt avoir le nez dedans que d'obéir aux sifflets du gymnaste en survêtement.
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Tout ce que je fais, je le fais pour me débarrasser de la sexualité ; je n'en veux pas, je veux évacuer ça ; ça prendra le temps qu'il faudra, ça prendra même tout mon temps. On peut lire "Progénitures" comme un cri de révolte maximum contre le sexe. Plus on l'évacue, plus il y en a ; (...) Cette obligation à la sexualité qu'il y a en l'homme, c'est une des tâches les plus terribles de l'homme, à mon avis, contrairement à ce qu'on dit, bien entendu. C'est une hantise, une obsession. Enfin moi je l'ai dit, là-dessus je ne fais pas le malin. Je pense que c'est vraiment l'une des tâches les plus monstrueuses que le "Créateur" ait imposé à sa créature.
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J'ai toujours entendu, dans les grandes pièces, le son, le bruit et voix, de l'arrière-cuisine ; maintenant je vois, j'entends, de plus en plus la face farce, le son farce du grand texte tragique. Quand je dis comique, c'est dans le rythme et le son, mais c'est aussi dans le texte, un texte comique, à cause du jeu avec la Loi, le roi, avec les interdits, les parentés, les apartés, etc.
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Écrivant, je suis dans l’axe central de la Terre, mon existence d’ « humble laboureur de la langue » est fichée dans cet axe, dans l’axe de ce mouvement, plus grandiose que le seul mouvement humain : le mouvement planétaire : le roulement de la planète, avec son soleil et ses astres : ainsi d’échapper même à la sensation de mort.
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Débarrassé de ma dépression, je peux enfin regarder le monde en oubliant mon moi.
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Mais une fin d'après-midi, sur la terrasse qui se vide de ses voix et de ses pas, en bas, une amie et moi écoutons un bouvreuil chantant sous le couvert des feuilles. Ce chant si léger, trébuchant, fragile, par moment si bas, si ténu qu'il paraît venir de l'au-delà, c'est celui que je cherche à composer avant la dépression, et que je n'ai pas voulu interrompre par le voyage. Ce chant interdit maintenant, inaccessible. Le mot "bouvreuil" lui-même, dans sa rondeur pulmonaire, avec le tremblement du "r" et du "il", ce plaisir, ces mots me sont interdits : d'un jugement supérieur à la morale, à l'Art. "Inaccessibles". Des lois "physiques" m'en écartent. Aisance des oiseaux, quel supplice quand la dépression vous retire du monde : la non-dépression, c'est les pieds ailés, quels que soient les obstacles.
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