Pierre-Etienne Musson -
Un si joli mois d'août .
Pierre-Etienne Musson vous présente son ouvrage "
Un si joli mois d'août" aux éditions Denoël. Rentrée littéraire janvier 2015. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/musson-pierre-etienne-joli-mois-aout-9782207131503.html Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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En un rituel immuable, elle s'immobilisait face au lit, posait dans la paume de sa main un baiser et l'envoyait d'un souffle léger en direction d'Antoine, son bel Antoine, son Antoine chéri, devenu ce Janus à double face où l'horreur bestiale cohabitait désormais avec sa douceur d'avant, où la guerre et la paix se côtoyaient, de chaque côté de l'arête du nez, comme deux faces d'une même pièce condamnées à ne jamais se révéler l'une à l'autre.
Le 20 juin avait été un dimanche. Ainsi, au front, on se battait même ce jour - là. Il n'y avait donc jamais de trêve, même dominicale, à la barbarie des hommes.
Désormais, Antoine savait qu'une vie paisible et normale existait encore à l'arrière, avec des gens aux champs, dans les magasins, attablés aux terrasses des cafés, des joueurs de billard, des gens qui s'aiment, qui rient, qui vont au marché, qui font l'amour dans des lits confortables pendant que d'autres, au front, se font hacher comme du bétail, désespérément seuls sous les cieux noirs crachant sans relâche leurs pluies meurtrières.
Et pour la première fois depuis la permission d'Antoine, deux ans plus tôt, Inès retrouva le plaisir des sens et l'embrasement des sentiments.
On va marcher longtemps comme ça ? J'ai déjà mal aux panards ! Si ça se trouve, on est déjà en Allemagne ! ouh, ouh, les Boches, vous êtes où ? Alors comme ça, on veut jouer à cache-cache dans le brouillard ? Attention où tu mets les pieds, Lucien, il y a un tas de merde juste devant ! Trop tard, j'espère au moins qu'c'était le pied gauche !
Maurice était comme eux, un soldat qui avait connu les pires horreurs au front. Qu'il soit à la ville curé ou maquereau ne changeait rien.
inès était bien payée, deux francs cinquante par jour, plus du double de la solde de lieutenant d'Antoine. A y songer, c'était d'ailleurs ahurissant de gagner davantage ici, au chaud, au sec et à l'abri des quatre murs de l'usine, que sur un champ de bataille où l'on risquait sa vie à chaque instant. La République avait une étonnante grille de rémunération pour ses défenseurs
A quoi bon s'obstiner à rendre visite à Antoine puisque, la plupart du temps, il demeurait inconscient, abruti de morphine ou de chloroforme ? A ses rares moments d'éveil, il demeurait muet , incapable d'émettre d'autres sons que des râles ou des borborygmes plaintifs.
Mais que penser de tous ces soldats, sans blessures apparentes, gagnés par des formes étranges d'hystérie que l'on commençait à rapatrier de tous les secteurs du front ? Et quelle pouvait être la cause d'autant de désordres nerveux simultanés ? C'était du jamais vu.
Sa semaine à Nouan n'avait fait qu'exhumer ses blessures intimes et ses craintes enfouies et raviver un terrible sentiment d'injustice. La permission qu'il avait idéalisée et appelée de ses voeux s'était transformée en un supplice terrible.